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Educavox

Une série animée sur la seconde guerre mondiale : Les grandes grandes vacances

2 jours 21 heures ago
Je me suis passionné récemment pour une série animée diffusée sur la plate-forme France TV intitulée "Les grandes grandes vacances".…

A l'été 1939, Ernest et Colette, deux petits Parisiens, sont envoyés chez leurs grands-parents à Grangeville, un village de la campagne normande. Leur séjour, qui devait durer quelques semaines, va en fait s'étendre jusqu'à 1944. Ils vont y suivre les grands et petits événements du conflit, de l'exode à l'Armistice, puis au Débarquement.

L'auteure et co-scénariste Delphine Maury s'est largement inspirée des souvenirs d'enfance que lui narrait sa grand-mère, complétés des témoignage d'une vingtaine de personnes qui ont eux aussi vécu leur enfance durant la guerre. C'est l'illustrateur et auteur de bandes dessinées Emile Bravo qui donne vie aux personnages. Un cours d'histoire destiné aux 8/12 ans, sans mièvrerie, que l'on peut très bien regarder en famille.

Évoquer la guerre sans traumatiser tout en restant réaliste n'est pas chose facile.

Pourtant la série en dix épisodes le réussit très bien en ne faisant l'impasse sur aucun sujet : déportation, résistance, collaboration, ravitaillement et marché noir... Même une histoire d'amour entre un soldat allemand et une française. Rien n'est jamais véritablement ou tout blanc ou tout noir. Tout est traité avec finesse et sensibilité sans tomber dans la fin heureuse systématique. Le potentiel lacrymogène de la série est bien dosé sans atteindre heureusement les records du Tombeau des Lucioles ou d'Oseam (qui en ont traumatisé plus d'un).

 

Le dessin se rapproche énormément du style japonais bien qu'il soit produit entièrement en France, ce qui lui donne un charme indéniable. J'avoue que c'est ce qui m'a attiré au premier abord, étant plutôt intéressé par l'animation japonaise que par d'autres styles. Il faut dire que celle-ci emprunte à l'unievrs graphique d'Émile Bravo dont la réussite n'est plus à mentionner vis-à-vis de son travail sur Spirou où il a su créer de nouvelles histoires très éloignées de l'univers initial mais sans jamais trahir.

La série peut être un réel atout en classe comme support mais aussi se regarder en famille, permettant d'ouvrir le débat sur d'autres combats ceux-ci malheureusement toujours actuels.

Chaque épisode se clôt sur un témoignage en lien avec l'épisode d'une personne ayant vécu la guerre enfant, permettant ainsi d'éffectuer une transition du fictionnel vers le réel.

À regarder sur : https://www.france.tv/france-3/les-grandes-grandes-vacances/

 

Initialement publié sur : Upcycle Commons

 

  • Outils pour la classe
  • Sites éducatifs
  • Bibliographie
    Cauche Jean-François

    Prendre soin des revues savantes

    3 jours 12 heures ago
    Dévoilement de recommandations pour préserver et renforcer la publication scientifique francophone. Dans le cadre du 91ème Congrès de l’Acfas tenu…L’activité organisée dans le cadre du Congrès de l'Acfas rendait public les recommandations issues du Symposium pour les différents acteurs de la publication scientifique.

    Après un mot d’ouverture de Rémi Quirion, scientifique en  chef du Québec, Anne-Marie Fortier, professeure à l’Université Laval, directrice de la revue Études littéraires a fait la présentation des recommandations, suivi d’un panel "Accompagner et financer : pour la vitalité des revues savantes" animé par Francis Gingras, professeur à l’Université de Montréal, directeur scientifique des Presses de l'Université de Montréal avec Carla Barroso da Costa, professeure à l'Université du Québec à Montréal, directrice de la revue Mesure et Évaluation en Éducation,  Leigh-Ann Butler, bibliothécaire des communications savantes, Université d’Ottawa, Simon van Bellen, conseiller principal à la recherche, Érudit. Madame Sylvie A. Lamoureux, vice-présidente à la recherche, Conseil de recherches en sciences humaines du Canada a présenté le mot de clôture.

    Voici le communiqué de presse de cette activité : Un rôle essentiel, mais un travail peu reconnu

    Il existe environ 800 revues savantes au Canada, dont 160 au Québec, qui publient chaque année plusieurs milliers d’articles.

    En offrant des perspectives diverses et des analyses rigoureuses, ces revues jouent un rôle indispensable dans la diffusion des recherches, en particulier pour celles portant sur le Québec et le Canada. Leur contribution est fondamentale pour permettre des prises de décision éclairées et favoriser une compréhension approfondie des enjeux de notre temps. Pourtant, ces revues évoluent dans un environnement sous tension, dominé par un oligopole de quelques grands éditeurs internationaux qui priorisent les profits à la circulation des connaissances et qui imposent des pratiques avantageant les publications en anglais, accélérant l’anglicisation des échanges scientifiques et la marginalisation des autres langues, dont le français. 

    “Les revues savantes canadiennes sont des joyaux de notre patrimoine scientifique et intellectuel: elles révèlent la très grande qualité des recherches menées ici et l’immense apport de nos communautés de recherche à l’avancement des connaissances, notamment en français” souligne Sophie Montreuil, directrice générale de l’Acfas. “À cet égard, elles sont sans nul doute le fer de lance de la découvrabilité des savoirs en français.” complète-t-elle.

    Des propositions issues de la communauté

    Le Symposium québécois des revues savantes a été organisé par l’Acfas et Érudit en réponse à ces constats. L’événement, tenu à Montréal à l’automne 2023, a rassemblé de nombreux responsables de revues et bibliothécaires pour plonger au cœur des enjeux actuels de la publication savante.

    De cette rencontre a abouti une série de recommandations présentée publiquement ce lundi 13 mai lors d’une activité spéciale organisée dans le cadre du 91e Congrès de l’Acfas.

    “Les discussions tenues lors du Symposium ont entre autres insisté sur l’importance que soient mieux reconnues les différentes fonctions occupées par les revues au sein du cycle de la recherche” rapporte Anne-Marie Fortier, directrice de la revue Études littéraires et membre du comité de pilotage du Symposium. ”Les recommandations présentent plusieurs solutions concrètes, notamment pour réaffirmer la place clé des revues dans la diffusion des connaissances et de l’accès aux savoirs en français”. 

    Ces recommandations sont adressées aux différents acteurs de l’écosystème de la recherche et ont pour objectif de contribuer au dynamisme des revues et, par conséquent, à la visibilité des recherches réalisées dans les différentes communautés scientifiques canadiennes et québécoises. Le soutien accru des universités, des organismes subventionnaires, des bibliothèques et des infrastructures numériques est l’une des voies pour appuyer les revues dans cette période de grands bouleversements. Le développement de stratégies de découvrabilité est un des autres leviers importants pour favoriser le rayonnement national et international des revues savantes d’ici. 

    “Les revues québécoises et canadiennes sont fondamentales pour l’avancement des connaissances sur notre société et constituent un pilier de notre patrimoine scientifique. Il est ainsi essentiel que ces revues puissent compter sur un appui concerté”, conclut Tanja Niemann, directrice générale d’Érudit.

    L’ensemble des recommandations est disponible en ligne et peut être partagé librement

    https://acfas.us5.list-manage.com/track/click

    [i]  Érudit

      https://www.erudit.org/fr/

    • Québec CA
      Ninon Louise LePage

      Bien-être des élèves à besoins éducatifs particuliers et numérique

      3 jours 13 heures ago
      Le 8 juillet 2013, la loi de refondation de l'École consacrait le principe de l'École inclusive en ces termes : « Le…Ainsi, il est maintenant question de garantir à tous l’accès à l'École, en tant qu’infrastructure mais également en tant qu'institution.

      Plus que de permettre à tous les élèves d’être physiquement présents dans les classes, il s’agit alors de rendre accessible les apprentissages et d’offrir à tous les mêmes opportunités d’apprendre.

      Ainsi, l'École inclusive a pour objectif d’affirmer que l’École est un lieu où tous les élèves, y compris celles et ceux qui ont des besoins éducatifs particuliers, peuvent réussir, être autonomes (Ebersold et al., 2016) et acquérir un socle commun de connaissances, de compétences et de culture nécessaires au bon déroulement de sa scolarité et à son insertion sociale et professionnelle (décret n° 2015-372 du 31 mars 2015).

      Et si ces enjeux d’accès aux apprentissages viennent aisément à l’esprit quand on évoque l'École, cette dernière a une seconde mission tout aussi importante à remplir auprès de ses élèves : celle de garantir leur bien-être en son sein.

      En effet, la loi de 2013, évoquée précédemment, met également l’accent sur l’importance d’un climat scolaire favorisant le bien-être et l’épanouissement des élèves. Vincent Peillon, ministre de l’Éducation nationale cette année-là, parlait d’une « école de la confiance, de l’estime de soi et, osons le mot, de la bienveillance ». Dès lors, ces termes apparaîtront dans diverses circulaires de rentrée jusqu’à la rentrée 2023, où la question du bien-être à l’École est annoncée comme « priorité absolue » notamment dans le cadre du plan interministériel de lutte contre le harcèlement (27 septembre 2023). L’objectif de l'École inclusive est donc double : permettre à tous les élèves, indépendamment de leur statut, d’avoir un accès (physique et cognitif) aux apprentissages tout en leur offrant un climat scolaire propice à leur épanouissement et à leur bien-être.

      Parallèlement à cette transition vers une éducation plus inclusive et soucieuse du bien-être des élèves, l’École fait également face à un autre mouvement qui vient questionner ses pratiques : l’apparition et la présence de plus en plus fréquente des outils numériques dans les sphères éducatives.

      Assude (2019) parlera même d’une convergence entre inclusivité et numérique en éducation tant du point de vue des politiques éducatives que de celui de l’accessibilité. Deux questions se posent alors : « À l’heure actuelle, est-ce que l’inclusion en classe ordinaire permet effectivement aux élèves à besoins éducatifs particuliers de s’épanouir à l’École ? » et « Comment les outils numériques peuvent-ils contribuer à améliorer le bien-être de ces élèves ? ». Pour tenter d’amener quelques pistes de réponse à ces questions, nous ferons d’abord un état des lieux de ce que produit actuellement l’inclusion sur les performances et le bien-être des élèves à besoins éducatifs particuliers, puis nous verrons comment les outils numériques s’inscrivent dans ce paysage.

      Les effets de l'inclusion sur les performances et le bien-être scolaire des élèves à besoins éducatifs particuliers

      D’une manière générale, les études tendent à prouver que la scolarisation en milieu ordinaire a plutôt un effet neutre à positif sur les performances académiques des élèves à besoins éducatifs particuliers comparativement à une scolarisation en milieu spécialisé, notamment chez celles et ceux ayant un handicap sensoriel, des troubles des apprentissages (Sakiz, 2016 ; Alshutwi et al., 2020 ; Sermier Dessemontet et al., 2014) ou une déficience intellectuelle (Szumski & Karwowski, 2014). Parfois, l’inclusion a également des bénéfices sur d’autres variables sociales et émotionnelles. L’étude de Wiener et Tardif (2004) montre ainsi que les élèves ayant des troubles des apprentissages scolarisés en milieu ordinaire dans les contextes les plus inclusifs étaient mieux acceptés par leurs pairs, avaient des relations de meilleure qualité avec ceux-ci et présentaient moins de problèmes comportementaux.

      Cependant, s’ils sont très encourageants, ces résultats sont tout de même à nuancer.

      En effet, dans l’étude de Kausik et Hussain (2021), si les élèves ayant un trouble des apprentissages scolarisés en milieu ordinaire ressentent plus de motivation que ceux scolarisés en milieu spécialisé, ils ne se sentent pas plus compétents et rapportent également un bien-être inférieur dont l’explication est à envisager au sein même de la classe.

      En effet, les chercheurs pointent un manque de formation des enseignants en milieu ordinaire et un manque de pratiques destinées à soutenir les besoins des élèves en situation de handicap. Les expériences de maîtrise dans le domaine académique sont rares pour ces élèves alors même qu’elles sont le principal prédicteur de la réussite scolaire (Norwich & Kelly, 2004). Enfin, dans le contexte français, Godeau et al. (2015) rapportent que les élèves à besoins éducatifs particuliers qui sont en classe ordinaire et qui n’ont pas d’accompagnement en ULIS manifestent une moins bonne satisfaction concernant leur vie, une plus grande probabilité d’être victimes de brimades, une santé perçue comme étant moins bonne et un taux de redoublement supérieur à ceux qui en bénéficient.

      Ainsi, alors même que les élèves à besoins éducatifs particuliers ont tendance à être plus performants en milieu ordinaire qu’en milieu spécialisé, ils peuvent paradoxalement s’y sentir moins bons et ressentir moins de bien-être. La piste des adaptations mises en place dans l'environnement est alors interrogée par les chercheurs : si les apprentissages étaient plus accessibles, si les élèves avaient plus d’expériences de réussite, se sentiraient-ils mieux à l’école ? Autrement dit, existe-t-il un lien entre pratiques pédagogiques inclusives et bien-être des élèves ?

      Bien qu’il soit difficile de donner une définition claire et communément partagée du bien-être scolaire, ce qui représente une limite importante quand il s’agit de comparer différentes études, des chercheurs se sont intéressés aux facteurs qui pouvaient le promouvoir en milieu scolaire.

      La revue de littérature de Baudoin et Galand (2021) montre que, parmi différentes variables étudiées qui concernent les caractéristiques physiques et structurelles des établissements, les interactions entre les individus évoluant au sein de l’environnement scolaire ou encore les pratiques enseignantes, ce sont ces dernières qui semblent être les plus prédictives du bien-être des élèves. Ainsi, les pratiques soutenant l’apprentissage (grâce notamment à des objectifs clairs, des rétroactions ou de la guidance) ou encore le soutien social apporté par les enseignants semblent des variables clés. Proposer des pratiques pédagogiques soutenant la réussite scolaire, en plus d’être un pilier de l'École inclusive, semble donc être incontournable afin d’améliorer le bien-être scolaire de tous les élèves.

      Le numérique comme outil promoteur du bien-être scolaire ? C’est dans cette optique qu’il est alors intéressant de questionner la place et les usages des outils numériques comme promoteurs de pratiques inclusives et de bien-être chez les élèves.

      En effet, si la loi du 8 juillet 2013 est une loi constitutive d’une École accessible à tous, elle portait également de nombreux espoirs sur le numérique qu’elle dépeignait comme étant un « formidable moteur d’amélioration du système éducatif et de ses méthodes pédagogiques » (loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'École de la République) en offrant notamment de nouvelles perspectives d’apprentissage pour les élèves en situation de handicap.

      L'Observatoire des Ressources Numériques Adaptées recensera notamment une multitude d’outils à destination des enseignants afin de faciliter l’accès technique et cognitif aux apprentissages avec des outils parfois plus facilement transportables et moins stigmatisants qu’auparavant (Ledbetter-Cho et al., 2018 ; Mazon et al., 2017). Si ces outils sont présentés comme étant pertinents et performants auprès de certains élèves et qu’ils présentent des avantages en termes de coût et de temps d’accompagnement (Fage et al., 2018), leurs effets font encore l’objet de nombreux mythes infondés notamment concernant les bénéfices des outils numériques sur la motivation ou encore sur l’autonomie des apprenants (Amadieu & Tricot, 2014). De plus, de nombreuses études portant sur l’efficacité des outils numériques sur le terrain comportent des faiblesses méthodologiques non négligeables (Ledbetter-Cho et al., 2018 ; Fage et al., 2018) qui limitent la généralisation des résultats positifs.

      Si la recherche reste donc prudente sur les performances des outils numériques en eux-mêmes, il apparaît néanmoins clairement qu’ils ne peuvent se substituer à l’enseignant ou à l’adulte (Pellecchia et al., 2020 ; Grossard & Grynszpan, 2015).

      Les outils numériques « ne sont efficaces que dans la mesure où les procédures d'enseignement sous-jacentes le sont aussi, et il est peu probable que des procédures d'enseignement inefficaces deviennent efficaces par le simple fait d'être transmises par un dispositif à écran tactile » (Ledbetter-Cho et al., 2018, p. 3 033, traduction libre). Cette utilisation des outils numériques doit alors être préparée et investie par les enseignants, que ce soit pendant sa conception, l’intervention en elle-même ou même son évaluation (Fage et al., 2018). Elle doit également s’inscrire dans une volonté de penser leur opérationnalité inclusive, c'est-à-dire leur capacité à contribuer à l’accessibilité pédagogique universelle (Benoit & Feuilladieu, 2017). Ainsi, plus que de se concentrer sur les possibles difficultés liées au handicap de l’élève (bien que cela n'exclue pas les réponses compensatrices individuelles), c’est la prise en compte des besoins éducatifs de l’élève dans sa singularité qui devrait guider la pratique (Fage et al., 2018).

      Pour Benoit et Feuilladieu (2017, p. 32), si « on ne peut affirmer que le développement du numérique serait naturellement générateur d’environnements accessibles, attaché qu’il est traditionnellement à la suppléance, la rééducation ou la réparation de facultés cognitives, sensorielles ou mentales déficientes », il ferait davantage sens en adoptant une démarche d’accessibilité pédagogique à destination de tous les élèves. Par exemple, si l’usage du correcteur orthographique dans un traitement de texte soulage la charge cognitive des élèves atteints de dyslexie, il peut s’avérer être profitable en réalité pour tous puisqu’il présente l’avantage de proposer une rétroaction immédiate comme un pointage des erreurs et des propositions de correction (Bacquelé, 2016) qui, nous l’avons vu, est une piste probante pour augmenter le bien-être des élèves (Baudoin & Galand, 2021).

      Comme l'ajoutent Benoit et Feuilladieu (2017), l’enjeu est alors de sortir d’une vision compensatoire que peuvent induire les outils numériques, surtout ceux conçus pour de l'accompagnement individualisé qui ne sont pas forcément vecteurs d'accessibilité. En effet, ce ne serait pas la fonction qui ferait qu’un outil est inclusif ou non mais comment on emploie cette fonction dans une démarche et une posture inclusive. L’usage en contexte serait alors primordial, un contexte et une démarche qui mettent l’élève en capacité d’avoir le même accès aux apprentissages que ses pairs. L’outil ne serait finalement là que pour « réaliser, renforcer, démultiplier » l’action de l’enseignant et ne pourrait se substituer à celui-ci. Même si équiper et former les enseignants et les élèves aux outils numériques restent essentiels (Ledbetter-Cho et al., 2018), ce serait une condition nécessaire mais non suffisante afin de d'œuvrer à l’inclusion. Pour penser cette dernière, tant d’un point de vue des performances que du bien-être, il faudrait également penser les outils numériques comme n’étant pas un moyen de compenser un retard à une norme scolaire mais plutôt comme une façon d’établir une nouvelle norme, plus équitable pour tous.

      Conclusion

      Penser le bien-être des élèves à besoins éducatifs particuliers ne peut être décontextualisé des enjeux d’accessibilité portés par l'École inclusive et qui sont au cœur des Technologies de l'Information et de la Communication pour l'Enseignement.

      Si le numérique est, en effet, un formidable levier et une opportunité pour les enseignants d’explorer de nouvelles pistes d’adaptations possibles, il ne pourra à lui seul ériger des rampes d’accès cognitives vers les apprentissages sans une modification profonde des conceptions éducatives et des pratiques enseignantes, rampes essentielles pour se sentir épanoui à l’École. Il est alors du rôle de l’enseignant d’inscrire l’accessibilité pédagogique dès la conception de ses enseignements comme le préconise la Conception Universelle de l’Apprentissage, considérant qu’il est moins efficace et plus coûteux en ressources de ramener un élève à une norme scolaire établie en gommant sa différence individuelle plutôt que « de penser la classe comme un lieu où se côtoient autant de différences qu’il y a d’élèves » et en « leur offrant une variété de stratégies et de ressources qui leur sont adaptées » (Bergeron et al., 2011, p. 93-94).

      Maïssa TOUBAL, doctorante en Sciences de l’Éducation, Laboratoire Acté, Université de Clermont-Ferrand
       Bien-être des élèves à besoins éducatifs particuliers et numérique -

      Réseau Canopé (reseau-canope.fr)

      Recommandations
      • Considérer que permettre l’accès aux apprentissages à tous les élèves grâce à des pratiques enseignantes inclusives est un facteur important dans la promotion du bien-être scolaire.
      • Ne pas envisager les outils numériques comme étant une solution miracle pour rendre les enseignements accessibles mais plutôt comme un outil au service des enseignants et des élèves, qui ne peut se substituer au travail d’adaptation de l’enseignant.
      • Considérer que mettre au cœur de ses enseignements une pédagogie inclusive dès leur conception n’est pas uniquement profitable pour les élèves à besoins éducatifs particuliers mais bel et bien pour tous les élèves.
      • Concevoir des enseignements qui suivent les principes de la Conception Universelle de l’Apprentissage présentés dans le tableau du CAST « Lignes Directrices de la Conception Universelle de l’Apprentissage » (Référence dans la Section « Voir aussi »).
      • Voir davantage les outils numériques comme ouvrant un nouveau champ des possibles quant à la mise en place d’une pédagogie inclusive au sein des classes plutôt que comme un moyen d’individualiser l’accompagnement de chaque élève à besoins éducatifs particuliers.
      • Utiliser ou s’inspirer d’outils numériques existants et profitables à tous les élèves qui suivent les principes de la Conception Universelle de l’Apprentissage (Voir référence Turgeon & Van Drom, 2019, dans la section « Voir aussi »).
      Voir aussi Bibliographie
      • Alshutwi, S. M., Ahmad, A. C. & Lee, L. W. (2020). The Impact of Inclusion Setting on the Academic Performance, Social Interaction and Self-Esteem of Deaf and Hard of Hearing Students: Systematic Review and Meta-Analysis. International Journal of Learning, Teaching and Educational Research, 19(10), 248‑264. https://doi.org/10.26803/ijlter.19.10.14
      • Amadieu, F. & Tricot, A. (2014). Apprendre avec le numérique. (Mythes et réalités). Retz Eds.
      • Assude, T. (2019). Éducation inclusive et éducation numérique : quelles convergences ? Une étude de cas avec les tablettes numériques. La nouvelle revue - Éducation et société inclusives, 87, 11-29. https://doi.org/10.3917/nresi.087.0011
      • Bacquelé, V. (2016). Lire et écrire avec des outils informatiques : le tissage d’un projet de compensation pour des adolescents dyslexiques (Thèse de doctorat, Université Lumière Lyon 2, France).
      • Baudoin, N. & Galand, B. (2021). Les pratiques des enseignants ont-elles un effet sur le bien-être des élèves ? Une revue critique de la littérature. Revue française de pédagogie, 211, 117-146. https://doi-org/10.4000/rfp.10559
      • Benoit, H. & Feuilladieu, S. (2017) De la typologie des outils numériques dans le champ des EIAH à leur opérationnalité inclusive. La Nouvelle Revue de l’adaptation et de la scolarisation, 2 (78), 25-45.
      • Bergeron, L., Rousseau, N. & Leclerc, M. (2011). La pédagogie universelle : au cœur de la planification de l’inclusion scolaire. Éducation et francophonie, 39(2), 87–104. doi.org/10.7202/1007729ar
      • Circulaire n° 2014-068 du 20-5-2014, Préparation de la rentrée scolaire 2014.
      • Décret n° 2015-372 du 31 mars 2015 relatif au socle commun de connaissances, de compétences et de culture.
      • Ebersold, S., Plaisance, E. & Zander, C. (2016). École inclusive pour les élèves en situation de handicap. Accessibilité, réussite scolaire et parcours individuels. [Rapport de recherche] Conseil national d’évaluation du système scolaire-CNESCO, Conférence de comparaisons internationales. halshs-01445378.halshs-01445378.
      • Fage, C., Mazon, C. & Sauzéon, H. (2018). Inclusion scolaire des enfants TSA et interventions basées sur les nouvelles technologies : une revue de littérature. Universitaires de France, 2018, 1, 103-130.
      • Godeau, E., Sentenac, M., Liz, D., Alfaro, P. & Ehlinger, V. (2015). Élèves handicapés ou porteurs de maladies chroniques : perception de leur vie et de leur bien-être au collège. Éducation & formations, Climat scolaire et bien-être à l’école, 88-89 (08), 145-161.
      • Grossard, C. & Grynszpan, O. (2015). Entraînement des compétences assistées par les technologies numériques dans l’autisme : une revue. Enfance, 1, 67-85. https://doi.org/10.3917/enf1.151.0067
      • Kausik, N. H. & Hussain, D. (2021). The impact of inclusive Education on Academic Motivation, Academic Self-Efficacy, and Well-Being of Students with Learning Disability. Journal of Education, 203(2), 251‑257. https://doi.org/10.1177/00220574211031957
      • Ledbetter-Cho, K., O’Reilly, M. F., Lang, R., Watkins, L. & Lim, N. (2018). Meta-analysis of Tablet-Mediated Interventions for Teaching Academic Skills to Individuals with Autism. Journal of Autism and Developmental Disorders, 48(9), 3021‑3036. https://doi.org/10.1007/s10803-018-3573-2
      • Loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République.
      • Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
      • Mazon, C., Fage, C. & Sauzéon, H. (2017). Impact des interventions numériques pour favoriser l’inclusion scolaire des élèves avec Troubles du Spectre Autistique. Les Cahiers de l’Actif, Actif information, 20. ffhal-01939720ff
      • Norwich, B. &Kelly, N. (2004). Pupils’ views on inclusion: moderate learning difficulties and bullying in mainstream and special schools. British Educational Research Journal, 30(1), 43‑65. https://doi.org/10.1080/01411920310001629965
      • Peillon, V. (2013). Refondons l’école. Pour l’avenir de nos enfants. Paris : Seuil.
      • Pellecchia, M., Marcus, S. C., Spaulding, C. J., Seidman, M., Xie, M., Rump, K., Reisinger, E. M. & Mandell, D. S. (2020). Randomized trial of a Computer-Assisted intervention for children with Autism in schools. Journal of the American Academy of Child and Adolescent Psychiatry, 59(3), 373‑380. https://doi.org/10.1016/j.jaac.2019.03.029
      • Sakiz H. (2016). Impact of an inclusive programme on achievement, attendance and perceptions towards the school climate and social-emotional adaptation among students with disabilities, Educational Psychologyhttps://doi.org/10.1080/01443410.2016.1225001
      • Sermier Dessemontet, R., Benoit, V. & Bless, G. (2014). Synthèse des résultats d'un projet de recherche sur l'intégration scolaire d'élèves ayant une déficience intellectuelle. Revue Suisse de pédagogie spécialisée, 4, 6-12.
      • Szumski, G. & Karwowski, M. (2014). Psychosocial functioning and school achievement of children with mild intellectual disability in Polish special, integrative, and mainstream schools. Journal of Policy and Practice in Intellectual Disabilities, 11(2), 99-108.
      • Wiener, J. & Tardif, C. Y. (2004). Social and Emotional Functioning of Children with Learning Disabilities: Does Special Education Placement Make a Difference? Learning Disabilities Research and Practice, 19(1), 20‑32. https://doi.org/10.1111/j.1540-5826.2004.00086.x
      • Enseignants
      • Chercheurs
      • Individualisation
      • Pratiques numériques
        Agence usages Canopé

        La croissance de l’économie numérique dépasse celle de l’économie dans son ensemble dans les pays de l’OCDE

        3 jours 13 heures ago
        Le secteur des technologies de l’information et des communications (TIC) a progressé en moyenne de 6.3 % entre 2013 et…Si tous les pays de l’OCDE affichent en moyenne une croissance du secteur des TIC positive sur 10 ans, un écart de 10 points subsiste entre les pays en tête et ceux en queue de peloton. Pour ce qui est de l’intelligence artificielle, les Perspectives révèlent que les investissements – et les risques – sont en augmentation, mais que l’adoption reste très concentrée.

        Par exemple, l’investissement dans l’intelligence artificielle générative est passé de 1.3 milliard USD en 2022 à 17.8 milliards USD en 2023, tandis que le nombre d’incidents et de dangers connexes mentionnés dans les médias de bonne réputation, à l’échelle mondiale, depuis fin 2022, a été multiplié par 53. L’adoption de l’IA se concentre dans le secteur des technologies de l’information et des communications (TIC), où en moyenne 28 % des entreprises de la zone OCDE l’ont utilisée en 2023, un taux inégalé dans les autres secteurs. Or pour que les avantages de l’IA soient partagés plus largement, les taux de diffusion doivent progresser dans les autres secteurs.

        « Le secteur des technologies de l’information et des communications (TIC) est un moteur essentiel de la croissance mondiale. Pour autant, on observe de fortes disparités entre les pays, avec un écart de taux de croissance moyen du secteur de plus de 10 points entre les économies en tête et celles en queue de peloton, entre 2013 et 2023. Ce premier volume de l’édition 2024 des Perspectives de l’économie numérique de l’OCDE apporte de nouveaux éclairages et des données inédites destinés à aider les décideurs à concevoir des politiques efficaces afin d’exploiter l’extraordinaire potentiel des technologies numériques, tout en gérant les risques et les perturbations qu’elles font naître », a déclaré Mathias Cormann, Secrétaire général de l’OCDE.

        « Si des technologies telles que l’infonuagique et l’internet des objets se généralisent, l’adoption des technologies dépendantes des données, à l’instar de l’IA, reste faible. Or pour que les bienfaits de l’IA soient partagés plus largement et contribuent en particulier à une croissance durable, résiliente et inclusive, les taux d’adoption doivent progresser dans les autres secteurs. »

        L’édition 2024 des Perspectives aborde également un certain nombre de questions liées aux politiques du numérique, dont la protection de la vie privée dans le cadre des technologies immersives comme la réalité virtuelle, l’avenir de la connectivité sans fil et la multiplication, dans l’environnement en ligne, des comportements négatifs qui nuisent à la santé mentale, à l’instar du cyberharcèlement. On y découvre par exemple que le pourcentage total de jeunes faisant état de difficultés à fonctionner au quotidien et d’un mal-être à cause de l’utilisation des médias sociaux a augmenté de 49 % depuis 2017, la part des filles ayant progressé deux fois plus rapidement que celle des garçons. Cette analyse complète du paysage numérique constitue un outil précieux pour les décideurs qui souhaitent se tenir au fait des incidences des évolutions technologiques sur l’élaboration des politiques publiques.

        Les estimations du secteur des TIC exposées dans les Perspectives se fondent sur un modèle inédit de l’OCDE qui exploite des données massives et des techniques d’apprentissage automatique pour fournir à bref délai des données à jour comparables sur la croissance économique du secteur. Ces nouvelles estimations comblent un manque, puisqu’elles permettent de disposer de données actuelles sur les performances du secteur des TIC, et sont essentielles pour évaluer l’efficacité des politiques mises en œuvre.

        Pour en savoir plus et accéder à l’intégralité de la publication, rendez-vous sur la page web dédiée aux Perspectives de l’économie numérique de l’OCDE 2024.

        Coopérant avec plus d’une centaine de pays, l’OCDE est un forum stratégique international qui s’emploie à promouvoir des politiques propres à sauvegarder les libertés individuelles et à améliorer le bien-être économique et social des populations du monde entier.

        • Société
        • Economie
          An@é

          Lente régression

          3 jours 13 heures ago
          Tout au long du vingtième siècle, les enfants ont acquis une vraie reconnaissance de leur statut de personne à part…

          Mais, les progrès de la pédiatrie, l'évolution des moeurs, les apports de la psychologie, le développement des pédagogies coopératives, une éducation moins répressive en famille ont permis de transformer la représentation de l'enfance dans nos sociétés contemporaines.

          Et pourtant, le tableau est loin d'être idyllique !! Les droits de l'enfant sont régulièrement bafoués.

          Trop nombreux sont celles et ceux qui dorment dans la rue, livrés à eux-mêmes, quand ils ne sont pas  battus voire interdits dans certains lieux! ! Considérés comme gênants pour la tranquillité d'adultes qui ne supportent pas le bruit !!

          Mais ce n'est tout. Il Commence à se faire entendre une petite musique réactionnaire qui fleure bon les temps anciens où l'humiliation et la coercition étaient l'usage !! De beaux esprits trouvent que nous avons été trop laxistes et qu'il conviendrait désormais de remettre un peu d'autorité comme s'il suffisait de le dire pour la restaurer...

          L'uniforme, la fin du collège unique avec l'instauration des groupes de niveaux participent de ce revirement conservateur. Le premier ministre parle d'ailleurs du "retour de l'autorité à l'école" qui stigmatise les élèves faibles, enferme les récalcitrants, entretient la confusion immigration-/échec scolaire-/délinquance.

          Pas d'angélisme bien entendu !! Il faut sanctionner les incivilités, instaurer des cadres, donner des repères, développer les pratiques coopératives, travailler avec les familles et tenter de comprendre dans le respect de leur statut de mineur vulnérable, par une compréhension fine les problèmes qui se posent collectivement à nous.

          Ecouter le podcast

          Figeac Patrick

          Derrière nos écrans : L’aventure de nos écosystèmes

          4 jours 12 heures ago
          Anne Cordier : « Malgré les faits scientifiques, le débat autour de la place desdits écrans dans notre société se polarise, et se…Et une certaine radicalité qui s’installerait aiderait-elle à résoudre la complexité de notre monde désormais acculturé au numérique ?

          https://www.educavox.fr/edito/une-reference-insistante-et-inappropriee-aux-ecrans

          Voilà les dernières pistes de réflexion relevées dans les publications récentes sur Educavox.

          Comprendre comment le « travail expressif » – consistant en partie à « se raconter » sur des plateformes socio-numériques comme YouTube ou des applications sociales telles que Instagram, Snapchat ou Tiktok » ;

          Faire face à des thématiques complexes comme la protection des données personnelles des mineurs ou encore le phénomène de (cyber-) harcèlement ;

          Développer l’Education aux médias et à l’Intelligence Artificielle Générative, l’esprit critique ;

          Développer des systèmes de protection à tous les niveaux de nos sociétés ;

          Proposer des scénarios pédagogiques permettant des pratiques numériques, former les enseignants plus que les informer…Plutôt que bannir l'IA comme une menace à l'authenticité auctorialle, faisons-la rentrer dans les écoles pour apprendre aux enseignants comme aux élèves à s'en servir. (Yann Houry)

          Objectif de carrière : influenceur-influenceuse

          Cette étude de Laurence Allard - Extrait d'Etudes digitales 2019 publié sur l’archive ouverte pluridisciplinaire HAL - destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés -se propose d'apporter une contribution documentée aux études digitales de la thématique du talent et s'appuie pour ce faire sur in corpus de vidéos et commentaires associés postés par des célébrités d'Internet qui ont connu une carrière d'influenceur.

          À ce terrain numérique sont adjoints des entretiens réalisés avec des collaborateurs de réseaux multi chaînes ou de startups de curation vidéo ou encore d’entreprises de financement participatif.

          Notre perspective est de comprendre comment le « travail expressif » – consistant en partie à « se raconter » sur des plateformes socio-numériques comme YouTube ou des applications sociales telles que Instagram, Snapchat ou Tiktok – peut conduire des formes socioéconomiques légitimées « d’égo entreprenariat ».

          On se demandera donc comment la « valeur-talent » incarnée idéalement par les youtubeurs pour les jeunes internautes peut devenir l’horizon générationnel de la valeur travail et quelles en sont les promesses, les limites, les critiques notamment à l’heure des mobilisations pour le climat.

          C’est donc à une interrogation sur l’économie créative des talents numériques, ses acteurs, ses publics, ses formats, ses marchés à laquelle invitent ces observations et hypothèses faisant partie d’une réflexion plus générale sur les liens entre identité, travail et numérique à l’âge dit anthropocène.

          Laurence Allard :Youtubeuse, youtubeur, travailler à être soi-même à l'âge du talent numérique ?

          https://www.educavox.fr/alaune/youtubeuse-youtubeur-travailler-a-etre-soi-meme-a-l-age-du-talent-numerique

          Education aux médias et à l'information (EMI) & Intelligence artificielle (IA) Universcience dévoile les résultats de son Baromètre de l'esprit critique

          Quel est le rapport de nos concitoyens à la science, aux médias et au débat d’idées ? Gardent-ils un bon souvenir des maths à l’école, font-ils plus confiance aux scientifiques ou aux Youtubeurs, pensent-ils que l’homéopathie est une science ? Pour s’informer, préfèrent-ils se fier à la radio ou aux réseaux sociaux ? Sont-ils aptes à changer d’avis en débattant avec des personnes qui ne pensent pas comme eux ?

          Pour la 3ème année consécutive, Universcience, l’établissement public qui regroupe le Palais de la découverte et la Cité des sciences et de l'industrie, sonde les Françaises et les Français sur toutes ces questions, et bien d’autres, pour mieux cerner leur rapport à l’esprit critique. Pour cette édition 2024, le Baromètre questionne en ouverture leur perception et leur compréhension de l'intelligence artificielle. Quels secteurs va-t-elle changer, est-elle fiable et neutre, et pourrait-elle un jour recevoir un prix Nobel ?

          Voici ci-dessous le lien vers le Baromètre de l’Esprit critique, les grands enseignements de cette étude en 5 points :

          1. Les Français et l'intelligence artificielle : intéressés, ils ne sont pas prêts à la laisser piloter un avion ou prescrire un médicament

          2. Les Français et la science : un intérêt confirmé pour la science, mais des interrogations éthiques et des disparités de genre, économiques et territoriales

          3. Les Français et l'esprit critique : un rapport différencié

          4. Les Français et les moyens d'information : des différences générationnelles et de genre

          5. Les 18-24 ans : plus intéressés par les sciences, plus connectés et ouverts à l'IA que la moyenne du panel

          Accès à l’article : Universcience dévoile les résultats de son Baromètre de l'esprit critique

          https://www.educavox.fr/accueil/breves/universcience-vous-devoile-les-resultats-de-son-barometre-de-l-esprit-critique

          A la Cité des sciences et de l'industrie le 22 mars 2024 ont eu lieu les rencontres annuelles Culture numérique.

          Dans notre société transformée par les éco-systèmes numériques et bouleversée par des crises qui contribuent à générer une propagation sans précédent de fausses informations et de théories complotistes, le déploiement d’une politique d’éducation aux médias et à l’information à destination de tous les publics revêt une importance fondamentale pour le ministère de la Culture.

          Cette rencontre co-organisée par le ministère de la Culture (Délégation générale à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle) et Universcience dans le cadre du Printemps de l'esprit critique a abordé ces enjeux.

          On y trouve cette Note de l’UNESCO : IAG (Intelligence Artificielle Générative) et EMI (Education aux médias et Information):

          L’intelligence artificielle et l’IA générative influent grandement sur les rapports des individus à l’information, aux technologies numériques et aux médias. Mais cela ne va pas sans inquiétudes quant à leur contrôle, au pouvoir d’action et à l’autonomie dont disposent les utilisateurs vis-à-vis de l’information, à la prise de décisions, à l’égalité des genres et aux libertés en général.

          • Pour constituer une réponse à l’IAG, technologie qui en est à ses balbutiements, l’autonomisation des utilisateurs grâce à l’éducation aux médias et à l’information (EMI) doit être pleinement déployée, et les autorités publiques doivent s’efforcer de la promouvoir dès le début.

          • L’EMI est indispensable pour garantir une utilisation éthique des médias synthétiques, c’est-à-dire des vidéos, textes, images et sons totalement ou partiellement créés à l’aide de systèmes d’IA.

          • L’IAG offre de nombreuses opportunités sociales dans différents domaines, dont l’accès à l’information, la participation, l’employabilité, la créativité, l’apprentissage tout au long de la vie et les industries créatives, entre autres.

          • Il existe cependant des risques sociaux potentiels aggravés par l’IA générative, dont : la désinformation, la perte de contrôle sur la confidentialité des données, les menaces pour l’intégrité des élections, la surveillance, le manque de fiabilité des sources, la discrimination notamment fondée sur le genre et les stéréotypes raciaux et les violations des droits d’auteur.

          • Pour mettre à profit la familiarité face à l’urgence, la maîtrise de l’IA pourrait être intégrée dans les programmes d’EMI afin d’éduquer et de former des communautés très diverses (éducateurs, bibliothécaires, animateurs pour la jeunesse, réseaux de femmes, etc.).

          • Pour bien concevoir non seulement les programmes d’EMI mais aussi la gouvernance de l’IAG et les politiques connexes, l’IA explicable joue un rôle essentiel.

          • Pour renforcer la confiance dans l’information et l’éducation, la fiabilité des sources doit être réexaminée pour englober tous les différents types de « preuves » fournies par l’IAG.

          • L’EMI peut former des acteurs éclairés n’appartenant pas au secteur de la technologie afin qu’ils contribuent à la conception, à la mise en œuvre et à la réglementation de l’IA d’une manière qui reste centrée sur l’humain, sensible au genre et soucieuse de l’intérêt public.

          • La formation dans le cadre de l’EMI relève des gouvernements et des établissements d’enseignement supérieur, qui doivent veiller à ce que les actions politiques en la matière soient soutenues et renforcées dans la durée, pour s’adapter aux évolutions constantes de l’IA/IAG.

          Rencontre culture numérique : Education aux médias et à l'information (EMI) & Intelligence artificielle (IA)

          https://www.educavox.fr/innovation/dispositifs/rencontre-culture-numerique-education-aux-medias-et-a-l-information-emi-intelligence-artificielle-ia

          Actions de prévention et de lutte contre le harcèlement

          En juillet 2020, la Région Nouvelle-Aquitaine a adopté un Plan de lutte contre le harcèlement en milieu scolaire. Depuis cette date les actions se multiplient : appel à projets, assises régionales, campagnes de prévention....

          Plan d’actions de prévention et de lutte contre le harcèlement en milieu scolaire mis en place dès juillet 2020 :

          Accompagner des actions des associations au sein des établissements scolaires via un appel à projets (AAP) annuel ;

          Former des agents des lycées (en lien avec des plans de formation proposés par la direction des Ressources humaines) ;

          Organiser des Assises régionales chaque année ;

          Proposer une campagne de prévention.

          Une enveloppe de 245 000 euros a été allouée pour ce plan d’actions avec pour objectif de soutenir les associations luttant contre le harcèlement au sein des établissements scolaires, de former les agents des lycées et mettre en place cette campagne de prévention.

          Elle répond ainsi aux enjeux suivants : rompre l’isolement des jeunes, organiser une coordination entre les acteurs, harmoniser les différentes pratiques, et développer des initiatives innovantes.

          Accès à l’article : Région Nouvelle-Aquitaine : plan d’actions de prévention et de lutte contre le harcèlement

          https://www.educavox.fr/innovation/dispositifs/region-nouvelle-aquitaine-plan-d-actions-de-prevention-et-de-lutte-contre-le-harcelement

          Faire entrer l’IA dans les écoles pour apprendre aux enseignants comme aux élèves à s'en servir

          Yann Houry : Ce n'est pas peu dire que l'IA et ses potentielles utilisations sont en train de faire couler beaucoup d'encre. Mais si les possibilités se laissent entrevoir, il est parfois plus difficile de développer des usages concrets.

          Quelques exemples d'utilisation de l'intelligence artificielle en classe (ou avant ou après la classe).

          10 scénarios pédagogiques avec l’Intelligence Artificielle

          https://www.educavox.fr/innovation/pedagogie/10-scenarios-pedagogiques-avec-l-ia

          Itinéraire d’un lecteur gâté : du papier à la machine à lire en 10 épisodes

          https://www.educavox.fr/innovation/pedagogie/itineraire-d-un-lecteur-gate-du-papier-a-la-machine-a-lire

          15 exemples concrets d'utilisation en classe de l'Intelligence Artificielle

          https://www.educavox.fr/innovation/pedagogie/15-exemples-concrets-d-utilisation-en-classe-de-l-ia

          En conclusion

          La conclusion de l’édito d’Avril :« L'intelligence artificielle, processus en cours » s’impose encore dans cet édito de mai : On brandira toujours les dangers pour notre jeunesse comme on l'a fait jadis pour l'écriture ou pour la télévision...éthique, choix sociétaux, éducatifs, choix politiques sont à l'ordre du jour... on n'a pas fini d'en entendre parler...

          Michelle Laurissergues

          Un grand merci aux contributeurs !

          Laurissergues Michelle

          Youtubeuse, youtubeur, travailler à être soi-même à l'âge du talent numérique ?

          5 jours 18 heures ago
          Cette étude de Laurence Allard - Extrait d'Etudes digitales 2019 publié sur l’archive ouverte pluridisciplinaire HAL - destinée au dépôt…

          À ce terrain numérique sont adjoints des entretiens réalisés avec des collaborateurs de réseaux multi chaînes ou de startups de curation vidéo ou encore d’entreprises de financement participatif.

          Notre perspective est de comprendre comment le « travail expressif » – consistant en partie à « se raconter » sur des plateformes socio-numériques comme Youtube ou des applications sociales telles que Instagram, Snapchat ou Tiktok – peut conduire des formes socio économiques légitimées « d’égo entreprenariat ».

          On se demandera donc comment la « valeur-talent » incarnée idéalement par les youtubeurs pour les jeunes internautes peut devenir l’horizon générationnel de la valeur travail et quelles en sont les promesses, les limites, les critiques notamment à l’heure des mobilisations pour le climat.

          C’est donc à une interrogation sur l’économie créative des talents numériques, ses acteurs, ses publics, ses formats, ses marchés à laquelle invitent ces observations et hypothèses faisant partie d’une réflexion plus générale sur les liens entre identité, travail et numérique à l’âge dit anthropocène.

          Qu'est-ce qu'un talent ? La génération Licorne et la scène Youtube

          Comme l’a fait remarquer Pierre-Michel Menger en se penchant sur le couplage entre talent et créativité, « dès que la notion de talent a été consolidée au xviiie siècle, elle a été couplée avec la valeur d’originalité dans les domaines des arts et des sciences, qui est […] le principal indice de la créativité (6) ».

          Il rappelle également comment « le talent a constitué le fondement d’une nouvelle société fondée sur le mérite », et combien « l’originalité et la créativité dans les arts et les sciences étaient données en exemple de réalisation de soi à partir du déploiement complet de ses talents (7) ».

          Et de conclure, « nous voyons là le produit du modèle expressiviste et individualiste qui avait été inventé avant le romantisme et auquel celui-ci empruntait ses lettres de noblesse (8) ».

          Il reprend alors l’hypothèse de Charles Taylor (9) pour lequel ce modèle expressiviste constitue l’une des sources du moi moderne. Modèle qui nous a aussi inspiré l’hypothèse de « l’individualisme expressif » afin de comprendre comment l’expression de soi numérique est devenue l’un des éléments constitutifs de la formation de l’identité personnelle et collective contemporaine dans un contexte de modernité tardive réflexive (10).

          L’expressivisme romantique constitue les bases d’une individuation nouvelle et émancipatrice la corrélant à l’expression d’une intériorité qui, suivant le philosophe Herder, doit se comprendre au double sens de «s’auto-formuler» et de «donner forme».

          Le soi exprimé constitue dès lors la réalité sociale du sujet moderne. Une réalité sociale qui suppose que chaque être humain ait « sa propre mesure ». Cette mention de Herder met en valeur, en suivant Charles Taylor, l’idée que chacun d’entre nous doit suivre sa propre voie, ce qui impose à chacun l’obligation de se mesurer à sa propre originalité – et, pour ce faire, d’exercer une créativité exprimant son talent.

          «Je suis une licorne»

          Dans le corpus sélectionné, les talents reconnus le sont à la fois par les « superpublics » d’internet comme les désigne Danah Boyd, ces publics larges et diversifiés, visibles et absents, ici et là (11), mais également par les agents de l’économie créative des talents qui gèrent en partie les relations à ces « super-publics » ainsi que par ceux que l’on peut qualifier de « mauvais publics » entre publics haineux et algorithmes robotiques.

          En effet, ces « super-mauvais-publics » sont non seulement non-humains tels que l’algorithme de Youtube ou le robocopyright venant de façon incontrôlée limiter les recommandations ou supprimer des vidéos, mais ils sont aussi humains.

          Ils sont ces « rageux » (haters) et autres prédateurs de ce marché émergeant avec lequel il s’agit de faire interface (12). Au sein de ce corpus, ce sont les singularités des unes et des autres qui sont expri mées comme dans cette vidéo – qui s’avère être aussi une promotion de la version filmée de Dumbo (2019) par Tim Burton – de la chaîne Lena Situations avec en invités le chanteur pour l’eurovision Bilal Hassani et le jeune Youtubeur Sparkdise (13). Les trois protagonistes échangent autour de leur côté « Dumbo » et traduisent l’histoire originale dans un anachronisme significatif ainsi que le reflètent notamment les termes employés :

          En fait, ce qui nous a touchés et nous qui nous a amenés à vous parler aujourd’hui, c’est qu’on a vu Dumbo et qu’on s’est reconnu en lui. Sa différence était une grande force et pendant que tous les rageux étaient cloués au sol, il volait.

          Et chacun à leur tour, ils évoquent leurs différences ainsi que les moqueries qu’elles suscitent et les abonnés sont invités à poster sous le tag #commeDumbo leurs anecdotes.

          Ce qui saute aux yeux dans cette vidéo comme dans le corpus des vidéos de Lucas Adorable est la pseudo-performance de « trouble dans le genre » qui vient transformer des youtubeurs garçons en « pro » du tutoriel de maquillage.

          Dans une vidéo parmi de nombreuses autres consacrées à la lecture des questions des abonnés sur son androgynie et sa confiance en lui, Lucas Adorable (14) répondra « je suis moi et je suis mon seul juge ». De même, dans le corpus des vidéos de Sulivan Gwed (autrefois connu sous le nom de Panda Moqueur) dont les titres attisent la curiosité pour le dévoilement de certains aspects cachés de sa vie, les séances de maquillage ou de confession sur son homosexualité sont assez récurrentes (15). On le voit également dans une vidéo au format «Qui de nous trois» avec Sparkdise et Bilal Hassani alimenté un jeu visant à promouvoir l’individualité « la plus étrange », dans un concours de bizarreries et de singularités propres à chacun.

          Cette insistance sur la mise en question de la différenciation sexuelle ne vaut que par l’expressivité photogénique qu’elle suppose à travers des figures masculines surmaquillées (16).

          Elle ne remet pas en question les rapports sociaux de sexes mais performe de façon tout à fait efficace la singularité que se doit d’incarner un talent numérique érigé en chef de file d’une génération que l’on peut qualifier de « licorne ».(17)

          En effet, cette chimère emblématique d’un monde pseudo-transgressif peuple le web vernaculaire mais se rencontre aussi dans les allées des conventions Vidéo City ou Get Beauty auxquelles nous avons assisté entre 2016 et 2018.

          La valeur-talent pour ces youtubeurs qui se sont professionnalisés en influenceurs, comme nous le verrons plus loin, est indexée à leur performance expressive d’une personnalité singulière, à la manifestation créative de leur caractère unique.

          Ce qui devient la norme est justement d’être hors-norme, d’être un soi-même comme personne et non la simple reproduction des stéréotypes de genre comme certaines études portant sur la vidéo juvénile la décrivent. Entre hyper ou hypo-sexualisation, les talents ne sauraient, par définition, être standards et stéréotypiques. Les commentaires saluant ces mises en scène de l’originalité individuelle propre aux talents numériques sont légion, comme dans la vidéo de Lena Situations sur les différences et selon les témoignages personnels des unes et des autres, dont parmi les plus populaires :

          On se moquaient de mes yeux bridés ! Aujourd’hui c'est ce qui me rend unique et très attirante. genre it’s the first compliment qu’on me répète H24.

          Merci pour cette vidéo ! Perso les gens de mon lycée (je suis en terminale S) se moque de moi parce que je souhaite de tout coeur devenir fleuriste, c’est une passion et je passe au-dessus de toutes ces moqueries même si au début elles me touchaient. Merci d’être la vous trois ! Je vous adore !!! Coeur sur vous.

          Je kiffe de ouff cette vidéo, utilisé un partenariat, pour faire une aussi belle vidéo aussi +=+ ! Faites des doubles des triples et c’que vous voulez de ses trois là, ils sont si précieux ! 

          Vous êtes tellement choupis tous les 3 ! J’ai 37 ans et aujourd’hui j’assume totalement mes différences et je m’éclate sur ma chaîne Youtube et dans ma vie… Mais quand j’étais ado j’étais aussi une Dumbo ! J’aurai adoré avoir Youtube et avoir Lena et Bilal (Je connaît moins Johann) pour me rassurer et me faire du bien ! J’adore regarder tes vidéos pleines de peps Lena (j’ai commencé à te regarder sur tes vidéos Seule a LA car j’aurai tellement kiffé faire ça a ton âge !), et j’en profite pour féliciter Bilal que j’aime beaucoup : Tu mérite les belles choses qui t’arrivent… Ta chanson est très belle et je te souhaite de remporter l’Eurovision Bisous à vous 3 !

          La reconnaissance par les pairs

          La validation et les discussions autour de ces narrations de soi par les abonnées de ces talents numériques rappellent, comme le fait remarquer Antoine Lilti dans ses ouvrages consacrés à l’histoire de la culture de la célébrité (20) depuis la Révolution française, que «dès que le talent commence à remplacer le statut ou la naissance comme fondement de la valeur sociale, la question de sa reconnaissance devient cruciale (21) ».

          À cet égard on peut distinguer trois formes de reconnaissance, la première par les pairs, la deuxième par le « mercato des talents » et la troisième, de nature institutionnelle, par l’état culturel que nous déplierons dans les deuxième et troisième parties de cet article.

          Avec l’émergence du talent comme nouveau principe d’évaluation de la valeur individuelle d’un être humain, le « talent est mesuré par les autres qui l’infèrent des oeuvres et des actions (22) ».

          Cette mesure peut notamment être constituée par l’évaluation de la performance d’un soi unique sur le plan de l’authenticité. C’est par exemple le cas, au sein du corpus, de la vidéo de PaolaLct. Celle-ci est plus présente sur les stories Instagram que sur Youtube, selon un choix typique de cette quatrième génération de talents numériques qui va utiliser le smartphone comme caméra-stylo et livrer une sorte de journal filmé à l’appui de la créativité visuelle programmée par les applications de messagerie sociale (23).

          Dans les commentaires de la vidéo de cette très jeune youtubeuse (15 ans en 2019) consacrée aux préjugés la concernant dont celui selon lequel elle n’irait jamais en cours, «Je ne vais plus à l’école (24) ?!» – l’autre grande thématique de ce corpus, comme si la célébrité était incompatible avec la méritocratie scolaire, thématique qui demanderait une étude à part entière – ce sont les qualités personnelles qui sont mises en avant, la dimension authentique dévoilée enfin sous des apparences de cover-girl trop vite grandie à l’ombre des shooting Instagram.

          Je trouve que tu renvoies un peu une image hautaine sur tes photos instagram, mais dans tes vidéos heuuuu omgaad tu renvoie carrément le contraire, vraiment un sucre.

          Au début j’avais une mauvaise image de toi car je trouvais que comme certains haters : “Tu t’affichais trop”, “Tu fais trop la meuf en mode : Je suis la plus belle et tout” mais finalement je m’aperçois que tu as une personnalité en or. Paola reste comme tu es, change pour personne mais par contre ne t’affiche pas trop sur Insta car je te rappelle ton âge, tu as 14 ou 15 ans. Et les pédophiles et les hypocrites que j’ai vu sur ma jeune carrière… je ne peux plus les compter.

          J’ai l’impression qu’en décrivant ta personnalité tu décris la mienne c’est ouf.

          J’aime vraiment comment tu t’exprimes et je te trouve vraiment honnête, “sans filtre” continue je t’aime beaucoup.

          Coucou Paola (je suis une fille noire) j’ai bientôt 24 ans ds quelques jours et je te suis quand même oui oui !! Tu es très très inspirante pour moi (ta vie familiale, professionnelle et ta beauté) comme tous hein nous avons des défauts d’ailleurs ceux que tu possèdes certaines personnes proches ou moins proches de moi m’ont dit que j’avais les mêmes (impulsive lunatique et ça part 3 min âpre) mais ça c’est pck nous sommes des personnes très entières en tt cas Je suis agréablement surprise de toi En plus d’être belle intelligente non vulgaire et superficielle tu possède une grande sagesse humilité et un vocabulaire très large pour ton âge !!! C’est tout à ton honneur !!! En espérant que les méchants commentaires non constructifs te passent au dessus pour toujours continue ce que tu fais !! continue d’inspirer les gens continue de rêver… sans faux pas hein. Prend soin de toi que Dieu te bénisse ds tt les domaines de ta vie toi et ta famille.

          L’hypothèse de « l’authenticité réflexive» – empruntée au philosophe Alessandro Ferrara – que nous avions formulée et qui se définit comme la validation entre pairs de cette logique d’individuation expressive, semble désormais valorisée par l’économie créative des talents (25).

          Transposant le modèle de jugement esthétique au domaine de la philosophie morale, Ferrara propose de juger un cas individuel en termes d’exemplarité : l’expressivité, s’alliant à la singularité, se trouve reconnue dans sa généralité comme un modèle digne d’admiration.

          Au travers des vidéos, notamment au format type vlog consistant à filmer le cours de la vie quotidienne, ou au travers des faq permettant de répondre aux questions envoyées par les abonnés, le youtubeur ou la youtubeuse émet en quelque sorte une prétention à l’authenticité en « performant » qu’il ou elle est un individu unique et original et qu’il ou elle veut être jugé(e) en tant que tel.

          En tant que prétention à la validité expressive, l’authenticité porte une revendication quasi artistique suivant l’extension de la logique culturelle du talent dans le champ de la création numérique. Elle est soumise à un jugement réfléchissant ou encore un jugement de goût qui suppose d’évaluer la prétention à l’authenticité en examinant si la vidéo exprime de façon exemplaire la singularité du youtubeur ou de la youtubeuse (26).

          Le talent médiatique : la culture de la "micro-célébrité"

          La reconnaissance entre pairs obtenue par la mise en adéquation d’un soi exprimé et d’une individualité, telle que la postule l’hypothèse « d’authenticité réflexive », se trouve secondée, au sein de l’économie créative des talents numériques, par la culture de la « micro-célébrité », version contemporaine de la logique de la célébrité qui naît au XVIIIe siècle en parallèle de la figure élective du talent, voire du « génie ».

          Antoine Litli montre comment la célébrité devient, à la seconde moitié du XVII siècle, un phénomène médiatique qu’il convient de corréler avec les nouvelles formes de visibilité disponibles au sein de l’espace public des Lumières. Celui-ci se structure en effet autour d’ouvrages et de revues favorisant les premières interactions à distance dont les « super-publics » d’internet ne sont que la continuation numériquement instrumentée.

          La célébrité suppose d’être un talent à la fois au sens d’une individualité singulière qui se manifeste à travers ses travaux mais également au sens médiatique, à savoir une « disposition qui permet à certains de se maintenir sous le feu de la rampe, d’attiser la curiosité du public » pour sa vie privée, ce qui suppose une capacité à la mettre en scène, à la théâtraliser, à la performer. Ainsi vont coexister deux figures du succès et de la reconnaissance individuelle oscillant entre figure publique et vie privée.

          Il s’agit « d’une part, [de] la réussite par le talent, inscrite dans le droit par la Révolution, fondement idéologique de la société méritocratique articulant exigence d’utilité sociale et injonction au perfectionnement individuel. De l’autre, la célébrité recon naissance fondée sur l’exposition médiatique et la curiosité publique (27).»

          Cette compétence consistant à faire de sa vie une quasi oeuvre d’art exposée sur une scène socio-numérique et à développer ainsi une « stylistique de l’existence (28) » est précisément celle recherchée par les agents des talents numériques. Ces derniers partent ainsi en chasse d’une «personnalité médiatique.»

          Comme l’explique le fondateur d’un groupe média en ligne disposant d’une agence de talents numériques :

          Ce ne sont plus des youtubers mais des socialtubeurs. Des talents sociaux. Ils postent aussi des mini-vidéos sur Instagram ou Vine, des stories [histoires courtes à épisodes qui s’effacent] sur Snapchat, ils discutent et annoncent leurs événements sur Twitter, qui est leur courrier des lecteurs. Ils font de Facebook le siège social de leur mini-entreprise. Tous ces réseaux sociaux, ce sont autant d’accès directs à leur public. Les youtubeurs incarnent aussi un certain modèle de réussite démocratique. Alors que montent sur scène tant d’enfants d’acteurs et de chanteurs, eux ont démarré en tournant des vidéos dans leur chambre d’ado (29).

          Il faut cependant remarquer que si la scène Youtube représente un théâtre de performance identitaire, c’est un théâtre de poche disposant d’une multitude de scènes ; et les acteurs passent justement d’une scène à l’autre.

          L’âge du talent numérique relève plus précisément non pas seulement de la célébrité comme art de l’exposition médiatique mais également de la micro-célébrité, définie par Theresa Senft comme pas sage de l’audience aux communautés :

          Le concept de microcélébrité reprend la notion de célébrité instantanée de Warhol en ajoutant l’observation du musicien-blogueur Momus : « À l’avenir, nous serons tous célèbres à quinze personnes ». En tant que pratique sociale, la microcélébrité change le jeu de la célébrité. La « célébrité à quinze personnes » associe auditoires et communautés, deux groupes qui exigent traditionnellement des modes d’adresse différents.

          Les publics souhaitent que quelqu’un leur parle ; les communautés désirent que quelqu’un parle avec elles. Les publics et les communautés requièrent également des participants qu’ils répondent à des codes sociaux différents. Si un membre de l’auditoire attire l’attention sur lui, il attire souvent la censure (« qui prend la place de la star ? »). Ce n’est pas le cas dans les communautés, où l’attention se déplace nécessairement d’un membre à l’autre. […] Ainsi la pratique de la micro-célébrité (que je définis comme cette activité dévouée au déploiement et au maintien de son identité en ligne comme s’il s’agissait d’un bien de marque avec l’espoir que les autres fassent de même) est passée des marges de l’internet à une pratique massive (30).

          La culture de la micro-célébrité contemporaine suppose d’identifier des « talents expressifs » que l’exposition numérique donne pour des « marques ».

          Une telle exposition va alors nourrir une économie de l’influence utilisatrice des plateformes numériques.

          Ces dernières sont caractérisées comme des entités bifaces ou multifaces, suivant la définition désormais classique de Jean-Charles Rochet et Jean Tirole. Elles fournissent des biens ou des services à des groupes distincts d’utilisateurs, jouent un rôle d’intermédiaire, diminuent fortement les coûts de transaction et créent des effets croisés d’externalités positives valorisant tant les uns que les autres (31).

          Du talent expressif à l'influenceur : l'économie de la « topocratie »

          Ce « réseau conceptuel » articulant talent, originalité, créativité et expressivité a émergé, comme il vient d’être rappelé, avec la modernité culturelle.

          L’appréhension que celle-ci fait du talent s’associe à la culture numérique de la microcélébrité pour faire émerger une figure marchandisée des individus que l’on peut désigner comme «influenceurs». Dans cette économie des talents numériques, les valeurs culturelles des arts et des industries culturelles se trouvent étendues à tout un pan d’activités liées entre elles comme la publicité et le design mais également et désormais les plateformes socio-numériques et leur économie d’intermédiation.

          Qu'est-ce qu'un talent ?

          Nous avons donc questionné plusieurs types d’acteurs socio-économiques dont l’activité participe de l’économie de Youtube au regard de leur définition de la «valeur-talent», qui peut être considérée comme « l’or jeune », de différentes entités entrepreneuriales utilisatrices de la plateforme Youtube.

          Nous avons cherché à comprendre comme étaient transformées des individualités en marques au service d’autres marques par le biais d’une reconnaissance de nature marchande et compétitive.

          Comme l’explicite cette jeune startupeuse, co-créatrice de Youdéo curation de chaînes de vidéos Youtube incubées un temps à Station F34 : «Un talent ? C’est la cohérence entre propos et personnalité. Il y a un problème d’éthique dans le mimétisme des formats. Il faut rechercher l’originalité .»

          Pour ce faire, une partie de l’activité de la startup consiste à faire de la veille sur des blogs et des vidéos pour détecter des talents aux contenus qualitatifs dans les domaines de la culture, des jeux vidéo et des sciences et de donner à individus talentueux la possibilité de vivre de leur passion.

          Pour C., qui gère les talents d’un média en ligne destiné aux 18-30 ans :

          Un talent c’est avoir du potentiel, être positif, représenter une individualité avec laquelle on peut travailler. Dans une talent house, il ne peut y avoir deux talents qui se ressemblent. Il faut mettre en avant son caractère unique, être différencié.

          Ma fonction est d’accompagner les talents au quotidien pour travailler avec les marques (cible, budget, date). On réalise de la valorisation native, c’est-à-dire une publicité qui n’en a pas l’air. On joue avec les talents comme des relais des marques pour relayer des opérations publicitaires avec différents points de vue avec comme impératif de ne pas trahir la communauté de l’influenceur.

          Un partenariat va de 140 000 euros mais en moyenne c’est 3 000 euros. Cela consiste en un placement en sponsoring dans une vidéo dédiée : la marque paye pour la production vidéo sans apparaître forcément pour la vidéo. Une autre partie de mon temps de travail est du conseil aux agents en tant qu’agents pour ne pas casser les prix idée de maintenir une grille de prix.

          Mon rôle est enfin est de « donner des conseils » à ces jeunes talents influenceurs car ils mènent une vie d’adolescents confrontés à un monde d’adultes. «Tu es un chef d’entreprise », je leur dis souvent et c’est ma façon à moi de les faire grandir. C’est un monde d’adultes et le talent est comme une proie avec des prédateurs (marques, agents) c’est tout ce système professionnel qui les brosse dans le sens du poil et leur dit « t’es génial, je vais changer ton monde, je vais te permettre d’être une star de cinéma ». Parfois les parents sont un peu envahissants : ils veulent être l’agent de leurs enfants et ce n’est pas toujours bon. Il y a des mineurs sous contrat, donc, parfois le chèque qu’ils touchent c’est le salaire des parents de toute une année. Ce sont des influenceurs sous influence.

          L’entretien avec cette professionnelle de l’économie des talents numériques nous engage vers une prise en compte du talent non pas seulement du point de vue de la singularité expressive et de la valorisation qui peut en être faite par les jeux d’acteurs intermédiés par des plateformes, mais également du point de vue des mutations du travail et de la mise en place d’un égoentreprenariat.

          Ce «langage des talents» (John Carson) se diffuse, en effet, de façon toute contemporaine dans le monde du travail en général et dans le secteur du management en particulier ainsi que nous l’avons entendu de cette directrice des ressources humaines d’un groupe international de publicitaire, dont le poste est également intitulé Chief Talent Officer :

          Dans notre groupe, un talent cela peut être un créatif comme une comptable. J’ai été embauchée comme DRH avec une formation de juriste car je savais comment faire entrer les gens et les faire sortir. Maintenant mon job consiste à garder les talents. En France, « ressources humaines » est devenu « capital humain ».

          Dans la culture anglo-saxonne depuis quinze ans on parle de Talent officer. C’est une vision plus dynamique que la simple gestion des ressources humaines. Dans nos industries, on ne vend que des idées (stratégies, consultations) donc notre ressource première ce sont les gens dont on doit chercher les talents d’où la nécessité d’anticiper les risques et de mettre en place un programme de talents. Comment s’assurer de la loyauté du talent ? Comment construire une stratégie d’entreprise pour les talents ?

          Cette logique de « talentification » renvoie à un mouvement plus global de culturalisation du monde du travail dans le cadre d’un « capitalisme cognitif et affectif » qui suppose que le travailleur se produise comme sujet doté d’une subjectivité et d’une expressivité.

          Mais comme le suggère Pierre-Michel Menger, cette « talentification » du monde du travail pose la question de savoir « comment procéder à une évaluation des oeuvres et des personnes quand la compétition entre elles est gouvernée par l’impératif d’originalité qui pousse à la différenciation illimitée et que rien ne peut en toute logique, être tenu pour commensurable dans un tel espace de différenciation.»

          C’est pourquoi, poursuit-il « la valorisation du talent et de la créativité place assurément l’individu et la performance individuelle au centre du jeu.» D’où la mise au point d’épreuves et de compétitions dans des domaines où la réussite est incertaine comme le sport, l’art ou la culture.

          La topocratie ou la réinvention du starsystem Cette mise en concurrence des talents s’observe de façon paradoxale en milieu numérique, ce qui nécessite des sciences humaines et sociales qu’elles renouvellent leur appréhension du social, de l’individu et du collectif.

          L’hypothèse du «phénomène collectant» formulée par Bruno Latour, Pablo Jensen, Tommaso Venturini, Sebastian Grauwin et Dominique Boullier nous y invite avec pertinence.

          Selon ces auteurs, l’individu doit désormais être conçu comme un « centre de calcul » car plus un profil est individualisé, plus il est singulier ; plus il est connecté, plus il est étendu.

          Sur le terrain du numérique, « grand » veut dire plus « connecté », ce qui explique comment, dans cette économie des talents, des micro-célébrités deviennent influentes. Grâce à des techniques de recommandations algorithmiques, ces figures sélectionnées pour leur capacité à créer une communauté de fans sont ensuite instrumentées afin de constituer des carrefours d’audienciation (41).

          Un chercheur en informatique, César Hidalgo, a, de son côté, démontré à travers l’analyse de graphes sociaux d’influenceurs que, loin de représenter une méritocratie, la construction socio-technique de l’influence délimite une « topocratie » fondée sur la concentration de noeuds de réseaux par quelques hubs et dont le schéma en forme d’étoile rappelle le principe du star-system (42).

          Un instagrammeur influent dans le domaine de la photographie mobile, Neriad, expliquait ainsi : « Je suis resté deux ans sur cette liste de recommandation, c’est presque effrayant. Quand on est suggéré, l’audience est gonflée, il y a des spams, des bots. La machine se nourrit elle-même car plus on est exposé plus on est suivi (43).»

          La topocratie est donc un avatar numérique du star-system.

          Elle suppose des technologies de sélection et de classement qui permettent de fixer par exemple des échelles de prix des prestations au sein du mercato des talents comme indiqué plus haut par la manager d’une talent house de micro-célébrités influentes.

          L’une des technologies sociales employées par les acteurs de cette économie des talents numériques qui délimite in fine une topocratie est constituée par « l’appariement assortif ».

          Pierre-Michel Menger fait relever cet appariement assortif d’une « écologie sélective » consistant à associer des talents pour mul tiplier les retours sur investissement (44). Notre corpus fourmille de tels appariements assortifs qui se manifestent à travers les apparitions et les participations de youtubeurs ou de youtubeuses qui peuvent par ailleurs appartenir à différentes agences. Ils sont signalés par le terme « FT» marquant la présence au générique d’un youtubeur ou d’une youtubeuse alliés.

          Ainsi, Lucas Dorable vient tourner dans une vidéo de Lena Situations (« On échange nos styles (45) »). Les deux youtubeuses imitent mutuellement la façon que chacune d’elles a de se maquiller. Cette vidéo est l’un des plus vues de la chaîne de la jeune fille. Notons par ailleurs que les deux protagonistes sont sous contrat avec la même agence à l’heure où nous écrivons ces lignes.

          Ces échanges de bons procédés de maquillage forment également un échange de communautés de fans, comme l’attestent certains commentaires :

          Le duo iconic tant attendu.

          Un vrai duo d’enfer. On adore . À refaire absolument.

          Ptn meilleur collaboration ever

          Yaaaaaaaaaaaaaaaaas !!!!!!! Lucas is back on the Lena's Game  (je sais pas trop si c’est anglais mais c’est pas grave). Vous me tuez tout les deux à chaque fois !

          Une manifestation de cette stratégie des appariements assortifs consiste également à inviter d’autres youtubeurs ou youtubeuses influents lors d’un voyage professionnel qui « se transforme en un voyage fou entre potes ! ».

          Cette stratégie offre surtout la possibilité de citer, dans le paratexte de la vidéo, les comptes Instagram des participants. En effet, si Youtube est à la fois scène et place de marché, ces comptes pourraient être analysés comme leurs coulisses. Ceci apparaît notamment à travers l’usage du format « story » d’Instagram, qui renouvelle le journal intime.

          Ces comptes permettent ainsi de filmer la vie quotidienne de la célébrité. Les appariements peuvent prendre également la forme d’apparition dans les vlogs des uns et des autres. Par exemple, un invité de passage entre dans le champ de la vidéo, sans prendre la parole. Un tel artifice favorise la mise en scène d’une bande de copains formée par ces youtubeurs influents, bande à laquelle les fans peuvent participer depuis leurs écrans. Se forme alors l’une de ces drôles de rencontres entre youtubeurs qui se questionnent au fil de leurs vidéos sur ce qui les rassemble et les distingue. C’est notamment le cas du trio Sulivan Glew, Sparkdise et Bilal Hassani, qui multiplie les performances de coming out de bisexualité et autres révélations queer. On y voit par exemple Sparkdise (46) insister sur le collectif comme une sorte « d’association de bienfaisance (47)…»

          Cette formalisation de la «génération licorne vue par elle-même» vient cependant camoufler une stratégie économique sous un vernis socio-psychologisant.

          À l’âge des talents numériques, l’originalité et l’expressivité sont donc aussi « des leviers d’une conception exclusive, hiérarchique et éliminatoire, des qualités individuelles (48). »

          Le travail créatif rend pos sible une auto-réalisation individuelle revendiquée par ces youtubeurs qui gagnent leur vie à être eux-mêmes comme elles ou ils l’énoncent parfois explicitement. C’est le cas de Léna Situations qui, interrogée sur sa réussite par le site Au féminin, confie qu’elle n’a jamais su choisir entre ses différents centres d’intérêt, la mode ou la communication.

          Elle précise qu’en tant que « youtubeuse influenceuse » elle s’épanouit car elle a créé son entreprise. Et d’ajouter : « pour réussir dans ce milieu-là, tu es obligée d’être un couteau suisse, tu ne fais jamais qu’une seule chose à la fois, […] mon kif c’est qu’aucune journée ne se ressemble (49). »

          Ce rapport individualisant et hédoniste au travail qui est exprimé par cette jeune influenceuse (c’est «mon kif ») et cette revendication de compétences diverses (je suis un «couteau suisse») peuvent faire écho, dans une version relevant du témoignage, à des études sur la réalisation de soi entendu comme «art de faire soi-même ».

          C’est la démarche d’un Richard Sennett ou d’un Mathieu Crawford qui revalorise par exemple le rôle de l’artisan ou interroge le sens et la valeur «travail» dans le monde contemporain (50).

          Dans ce régime de l’égo-entreprenariat, le travail du youtubeur et de la youtubeuse consiste «à être soi-même», c’est-à-dire un être original, expressif, créatif, bref un talent reconnu comme un « copain modèle » par les autres, mais aussi comme un « élu » parmi d’autres par les acteurs de l’économie de l’influence plateformisée.

          La jeunesse de ces youtubeurs qui, au cours de leurs études, se lancent dans la carrière d’influenceurs après avoir été reconnus comme talents et repérés comme micro-célébrités, explique également pourquoi tant de vidéos abordent la question des choix de vie, à l’instar de « L’argent sur Youtube », cette vidéo canonique de la chaîne Le rire jaune.

          Dans une activité où «mon salaire dépend de mon nombre de vues», l’un des frères du duo Le Rire Jaune, en dernière année d’école d’ingénieurs à l’époque du tournage, se pose – et pose à ses fans – une interrogation existentielle : « Dois-je finir mes études d’ingénieur ou continuer à faire des vidéos ? » Cette question ouverte depuis 2015 suscite des milliers de commentaires significatifs quant aux représentations du travail au sein de la « génération licorne (51) ».

          Cette vidéo a donné lieu à 24 457 commentaires depuis quatre ans et continue à inspirer des internautes avec ce type de réponses :

          Tu devrais continuer tes études et devenir ingénieur et faire quelque vidéo de temps en temps quite à ce qu’elle soit pas d’une qualité de ouf.

          Tu peux faire ingénieur et youtubeur ?

          Je regarde cette vidéo en 2019 mais je te conseil te faire ingénieur et une vidéo de temps en temps.

          Ingenieur ca vaut mieux.

          Moi je dit essaye d’avoir un travail bien rémunéré mais qui te laisse du temps pour t’es vidéo comme ca tu est content et ta un parachute toujours la et je t’encourage a faire des placements car en plus comme ca tu vois les vrais et les faux abonné commentaire écrit en 2018 par un mec de 13 ans donc dsl pour les faute.

          Je sais pas car c sur que pour toi c important d’avoir un bon métier mais ce serait trop d’hommage qu’il n’y est plus de rire jaune.

          Formes de reconnaissance institutionnelle : le retour de la vertu et de l'utilité sociale dans un monde incertain ?

          Cet article a, jusqu’à présent, décrit des formes de reconnaissance du talent expressif que représentent un youtubeur ou une youtubeuse influents, talent à la fois interne à la communauté de la micro-célébrité et caractéristique de l’économie créative de la plateforme.

          Ce faisant, l’histoire de la notion de talent passant d’un premier usage culturel à un second usage managérial a été ici résumée depuis l’âge romantique jusqu’à l’époque du capitalisme affectif qui voit émerger les notions de « micro-célébrité » et d’« influenceur ». Une success story dans le monde merveilleux des youtubeurs (52) emprunte donc à la fois au talent, à la micro-célébrité et à l’influence impliquant que le circuit de la marchandisation de la subjectivité exprimée de manière créative s’accomplisse jusqu’au devenir marque des individualités.

          Coexistent donc, au sein de l’économie numérique des talents, pour reprendre les mots de l’historien Antoine Lilti

          ...ces deux figures du succès : d’une part, la réussite par le talent, inscrite dans le droit par la Révolution, fondement idéologique de la société méritocratique articulant exigence d’utilité sociale et injonction au perfectionnement individuel. De l’autre, la célébrité reconnaissance fondée sur l’exposition médiatique et la curiosité publique. Le talent est soutenu par des institutions avec des épreuves formalisées de sélection et la seconde repose sur la culture populaire et médiatique avec des mécanismes mystérieux voire arbitraires (53).

          Il nous faut cependant nuancer les conclusions de l’historien de la célébrité en précisant d’une part, que la culture algorithmique que met en forme l’économie créative des plateformes est venue rationaliser le caractère irrationnel de la célébrité à travers la configuration topocratique, comme nous l’avons indiqué plus haut.

          D’autre part, la topocratie n’élimine pas la reconnaissance méritocratique des microcélébrités influentes en tant que talents légitimes. En effet, des formes traditionnelles de reconnaissance par le concours se trouvent ré-institutionnalisées avec la création d’une commission «Talent » du Centre national de la cinématographie français.

          Un fonds d’aide aux créateurs vidéo sur internet (CNC Talent), dédié aux projets d’expression originale française en première diffusion gratuite sur internet, a été créé en 2017. Il comporte deux aides sélectives avant réalisation. Une aide à la création, allant jusqu’à 30 000 euros, pour les créateurs vidéo ayant au moins 10 000 abonnés ou ayant été primés dans un festival au cours des cinq dernières années.

          Une aide à l’éditorialisation des chaînes, allant jusqu’à 50 000 euros, pour les créateurs vidéo ayant 50 000 abonnés ou plus. Ces aides sont attribuées sur avis d’une commission composée de dix membres (créateurs, producteurs, entrepreneurs du web…).

          La commission se réunit cinq fois par an et se trouve présidée par l’artiste JR, célèbre pour avoir exposé notamment des photographies des visages de gens ordinaires au Panthéon. Elle comprend également le pionnier des youtubeurs, Cyprien. Si l’on étudie les lauréats de ce concours «Talents CNC», on remarque le peu de présence de vidéastes lifestyle ou beauté.

          Ce sont bien plutôt les genres culturels et scientifiques qui sont récompensés, à l’image de la consécration de trois cent cinquante chaînes Youtube proposées par le Ministère de la Culture (54).

          Lors de la commission du 21 février 2019, le vidéaste Clément Montfort, auteur d’une websérie documentaire sur la mouvance collapsologiste (55) a pu obtenir une aide à la création (56). D’autres vidéastes proches de cette inspiration, comme la chaîne Tout le Monde s’en fout, ont également été aidés.

          On observe que ces youtubeurs se trouvent engagés vers des mobilisations vidéo autour de la crise climatique. Ils ont ainsi collaboré à la vidéo chorale de lancement de l’initiative « Il est encore temps (57) » ainsi qu’à un manifeste pour le développement d’actions en faveur du climat plus radicales, à l’image du mouvement anglais Extinction Rebellion.

          Cette légitimation de youtubeurs engagés dans des problèmes publics par le fonds «Talent CNC » rappelle ici les vertus démocratiques du talent, « son utilité sociale (58) » .

          Et pendant que, une fois obtenu son diplôme d’ingénieur en 2016, Le Rire Jaune poursuit son travail de youtubeur, pour « vivre de sa passion », d’autres ingénieurs font parler d’eux, tel cet élève de l’école Centrale Nantes dont le discours de remise de prix a donné lieu à une vidéo virale dans laquelle il explique que sa génération ne travaillera pas à refaire le monde mais à en vivre la fin et que son diplôme n’a guère de sens dans ce contexte (59) :

          Comme bon nombre de mes camarades, alors que la situation climatique et les inégalités ne cessent de s’aggraver, que le Giec (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat) pleure et que les êtres se meurent : je suis perdu, incapable de me reconnaître dans la promesse d’une vie de cadre supérieur, en rouage essentiel d’un système capitaliste de surconsommation.Quand sobriété et décroissance sont des termes qui peinent à s’immiscer dans les programmes centraliens, mais que de grands groupes industriels à fort impact carbone sont partenaires de mon école, je m’interroge sur le système que nous soutenons. Je doute, et je m’écarte.

          Ce discours de défection par l’un de ces « loyaux critiques», comme les désigne la sociologue Cécile Van de Velde (60), que sont ces ingénieurs et autres diplômés d’écoles de commerce qui renoncent à des carrières de cadres est peut-être l’annonce d’un nouveau talent, celui de savoir vivre dans « les ruines du capitalisme» (Anne Lowenhaupt Tsing 61).

          Laurence Allard Université Lille 3 Université Sorbonne nouvelle (Ircav)

          https://classiques-garnier.com/etudes-digitales-2019-1-n-7-youtoubeurs-youtubeuses-inventions-subjectives-youtubeuse-youtubeur-travailler-a-etre-soi-meme-a-l-age-du-talent-numerique.html

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          1. Pierre-Michel Menger, «Le talent et la physique sociale des inégalités», in Pierre-Michel Menger (dir.), Le talent en débat, Paris, PUF, 2018 p. 15.

          2. Ce corpus comporte les vidéos postées sur Youtube d'influenceurs qui sont sous contrat dans deux agences les mettant en relation avec des marques. Deux d'entre eux apparaissent chez AdCrew : Lenamahfouf (20 ans) (592 573 abonnés) ; LucasAdorable (19 ans) (408 844 abonnés) et deux autres chez Follow : PaolaLct (15 ans) (495 850 abonnés) et Sulivan Gwed (18 ans) (1 676 061 abonnés). Nous citerons également Bilal Hassani, Sparkdise et Gloria_Nbr que l'on retrouve dans les contenus des uns et des autres. Ces bandes et ces teams font partie de la deuxième et de la troisième génération de youtubeurs célèbres en France ayant ouverts leur chaîne entre 2013 et 2015 quand Norman et Squeezie l'effectuaient en 2011, quelques années après le pionnier Cyprien qui s'est lancé en 2007 alors que Youtube n'avait alors que deux ans d'existence.

          3. «Un réseau multichaîne, réseau de chaînes ou network (de l'expression anglaise multi channel network, donnant le sigle mcn) est une entreprise travaillant conjointement avec les sites de partage de vidéos (par exemple, Youtube) et proposant aux vidéastes des services ayant trait à la monétisation et la promotion de contenus, à la gestion des droits, à l'aide au développement et aux relations avec les annonceurs et partenaires commerciaux, en échange d'un pourcentage sur les revenus de leur chaîne. En termes de chiffres d'affaires et de vues associées à leurs chaînes, Webedia, Finder Studios, Wizdeo, Maker Studios, BroadbandTv, Machinima, Fullscreen, Divimove et Brave Bison se comptent parmi les plus importants networks. » source Wikipédia.

          4. Ainsi, en 2018, 56% des élèves de 5e sondés font usage des réseaux sociaux pour regarder des vidéos, 40% pour partager des photos et des vidéos, 27% pour suivre des célébri tés. La volonté de s'informer est faible : seuls 13% s'y informent sur l'actualité et 4% partagent des liens et des articles. Chiffres de la troisième édition du baromètre «Born Social» de l'agence Heaven, en partenariat avec l'association Génération numérique.

          5. Sur cette notion voir Philippe Bouquillion, «Industries, économie créatives et technolo gies d'information et de communication », tic&société, vol. 4, no2, 2010. https ://journals. openedition.org/ticetsociete/876.

          6. Pierre-Michel Menger, op. cit., p. 25.

          7. Comme l'atteste l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen : «Tous les citoyens, étant égaux aux yeux de la loi, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.»

          8. Pierre-Michel Menger, op. cit., p. 32.

          9. Les sources du moi. La formation de l'identité moderne, Paris, Le Seuil, 1998.

          10. Laurence Allard, «Express Yourself 2.0. Blogs, podcasts, fansubbing, mashups… : de quelques agrégats technoculturels à l'âge de l'expressivisme généralisé » in Éric Maigret et Eric Macé (dir.), Penser les Mediacultures, Paris, Armand Colin/ina, 2005.

          11. «En parlant de "super-publics", je veux parler de l'état modifié des publics – à quoi ressemblent les publics lorsqu'ils sont imprégnés des caractéristiques des architectures numériques ? Que signifie parler à travers le temps et l'espace à un public inconnu ? Que se passe-t-il lorsque vous ne pouvez pas prédire qui sera témoin de vos actes car ils ne sont pas visibles maintenant, même s'ils le seront demain ? Comment les gens apprennent-ils à traiter avec un public plus large et plus diversifié que celui qu'ils ont appris à comprendre adolescents ? Comment les adolescents sont-ils affectés par le fait de grandir dans un environnement où ils peuvent assumer des super-publics ? Je veux parler de ce que signifie parler pour tous les temps et tous les espaces, devant des publics que vous ne pouvez pas conceptualiser.» «Super Publics», Apophenia Blog, 22 mars 2006 (traduction de l'auteur).

          12. Ainsi C., 36 ans, gère la « talent house » d'un groupe média internet pour la cible des 18-30 ans. Elle raconte comment elle a eu à gérer le cas d'une vidéo traitant de singe la Youtubeuse noire Mademoiselle Gloria puis le piratage de son compte Instagram. « J'ai pris contact avec Youtube et autres réseaux sociaux. Le conseil que je donne à nos talents par rapport aux haters, c'est de se déconnecter. Je leur donne aussi d'autres conseils car ils mènent une vie d'adolescents confrontés à un monde d'adultes. C'est un monde d'adultes et le talent est comme une proie avec des prédateurs (marques, agents) c'est tout ce système professionnel qui les brosse dans le sens du poil et leur dit "t'es génial, je vais changer ton monde, je vais te permettre d'être une star de cinéma !". » Entretien réalisé le 30 janvier 2018 à Paris.

          13. «Comment avoir confiance en soi ? nos anecdotes ! || Léna Situations feat. Bilal Hassani & Sparkdise» (https ://www.youtube.com/watch ?v=q2fpcFBgZXA, ajoutée le 27 mars 2019).

          14. Lucas dorable / faq : / clash / androgyne / bac / (https ://www.youtube.com/ watch ?v=xXfmUAO0LLY, ajoutée le 23 juillet 2017).

          15. https ://www.youtube.com/watch ?v=1UvBZi-QJxM, vidéo ajoutée le 27 juin 2018.

          16. Ce qui suppose que le maquillage des jeunes youtubeuses beauté représente l'étalon du genre.

          17. Allusion à une célèbre vidéo d'une youtubeuse pionnière, Natoo, « La chanson des licornes » (2014, https ://www.youtube.com/watch ?v=a021WhobrLc), qui a popularisé notamment un type de déguisement-travestissement emblématique, selon nous, de la norme socio-numérique qu'est devenue la singularisation individuelle comme nous le discutons dans ce paragraphe.

          18. Ils sont reproduits ici avec leur graphie propre, sans que la mention «sic » ne vienne à chaque fois stigmatiser leur spécificité ou impropriété.

          19. «Comment avoir confiance en soi ? nos anecdotes ! || Léna Situations feat. Bilal Hassani & Sparkdise » (https ://www.youtube.com/watch ?v=q2fpcFBgZXA&t=53s, ajoutée le 27 mars 2019), avec plus de mille commentaires en avril 2019.

          20. Antoine Lilti, Figures publiques, l'invention de la célébrité (1750-1850), Fayard, Paris, 2014.

          21. Antoine Lilti, « Faut-il du talent pour être célèbre ?» in Pierre-Michel Menger, op. cit., p. 108.

          22. Antoine Lilti, op. cit., p. 119.

          23. Instagram complète la scène et place de marché que représente Youtube en proposant à la fois des posts comme des photographies interactives de magazines grâce à des fonc tionnalités comme le «swipe up » et le «tap » mais également des séquences de vie avec les stories d'une durée d'une journée. Voir Laurence Allard, «Des mobiles, des apps et autant de nuances d'images », Théorème, no 29, Mobiles : enjeux artistiques et esthétiques, Presses universitaires de la Sorbonne nouvelle, 2018.

          24. https ://www.youtube.com/watch ?v=5LZHnM6TgwA. Commentaire en date du 3 avril 2019.

          25. Alessandro Ferrara, Reflective authenticity. Rethinking the Project of Modernity, Routledge, Londres, 1999.

          26. Laurence Allard, Frédéric Vandenberghe, « Entre légitimation technopolitique de l'individualisme expressif et authenticité réflexive peer to peer», Réseaux, no117, 2003.

          27. Charles Litli, op. cit., p. 126-132.

          28. Michel Foucault, «À propos de la généalogie de l'éthique », Dits et écrits, 1954-1988, vol. 4, Gallimard, Paris, p. 609-632.

          29. Alexandre Malsch, créateur du groupe media pure player Melty, entretien Le Monde/ Pixels, 8 mai 2015.

          30. Theresa Senft, «Micro-celebrity and the Branded Self », in Jean Burgess et Axel Bruns (eds), Blackwell Companion to New Media Dynamics, Blackwell, Londres, 2012.

          31. Jean-Claude Rochet, Jean Tirole, «Platform Competition in Two-Sided Markets», Journal of the European Economic Association, vol. 1, no4, 2003, p. 990-1029.

          32. Voir Phililppe Bouquillion, Bernard Miège, Pierre Moeglin, L'industrialisation des biens symboliques : les industries créatives en regard des industries culturelles, pug, Grenoble, 2013.

          33. Laetitia Chatillon, entretien réalisé au festival NéoCast 2016, consacré aux youtubeurs scientifiques et culturels, Strasbourg, le 24 avril 2016.

          34. Laetitia Chatillon, entretien cité.

          35. Entretien réalisé le 30 janvier 2018 avec C. qui gère les influenceurs de la talent house d'un groupe média en ligne à destination des 18-30 ans et qui a tenu à rester anonyme.

          36. Entretien réalisé par téléphone le 14 août 2016.

          37. On peut citer les travaux de Yann Moullier-Boutang, Le capitalisme cognitif : la nouvelle grande transformation, Éd. Amsterdam, Paris, 2008 ; Michael Hardt, «Affective Labor», Boundary 2, Duke University Press, vol. 26, no 2, p. 89-100 ou Yves Citton, Pour une écologie de l'attention, Le Seuil, Paris, 2014. Voir aussi la synthèse pour le champ des sciences de l'information et de la communication de Fabienne Martin-Juchat, «Le capitalisme affectif : enjeux des pratiques de communication des organisations», in Sylvie Parrini Alemanno (dir.), Communications, organisationnelles, management et numérique, L'Harmattan, Paris, 2014.

          38. Pierre-Michel Menger, op. cit., p. 29.

          39. Pierre-Michel Menger, op. cit. p. 30.

          40. Bruno Latour, Dominique Boullier et alii, «Le tout est toujours plus petit que ses parties. Une expérimentation numérique des monades de Gabriel Tarde », Réseaux, no177, Politiques des algorithmes, 2013.

          41. Voir Laurence Allard, op. cit., 2018.

          42. Cesar A. Hidalgo et al., «To Each According to its Degree : The Meritocracy and Topocracy of Embedded Markets », Nature, janvier 2014. On peut également citer sur la topographie du web les travaux de Roger Bautier, notamment «Les réseaux de l'internet : des artefacts bien (trop) vivants», Les Enjeux, 2007. https ://lesenjeux.univ-grenoble-alpes. fr/2007-meotic/Bautier/home.html.

          43. Propos tenus lors d'une rencontre-débat que nous avons organisée le 29 avril 2015 dans le cadre des activités du groupe «Téléphone mobile et Création» et transcris dans Laurence Allard, «Des mobiles et des apps : 50 nuances d'image », Théorème, no 29, «Mobiles : enjeux artistiques et esthétiques», Presses de la Sorbonne nouvelle, 2018.

          44. Pierre-Michel Menger, op. cit., p. 77.

          45. Vidéo tournée le 8 avril 2019.

          46. «Notre génération : mise au point» (en date du 3 avril 2019).

          47. Que l'on peut résumer par le slogan «+=+» de Lena Situations, c'est à dire que positif = positif, un esprit positif amène des choses positives.

          48. Pierre-Michel Menger, op. cit. p. 24.

          49. Lena Mahfouf : le parcours de la femme de toutes les situations ! en date du 24 décembre 2018. Le texte de présentation de la vidéo explique ainsi que «Lena Mahfouf est la femme de toutes les situations ! C'est bien pour ça que le nom "Lena Situations" lui va si bien ! Blogueuse, youtubeuse, instagrameuse, business woman, rien ne lui résiste ! En tout juste une petite année, elle est devenue l'une des influenceuses françaises les plus demandées. Elle revient sur son parcours, ses projets et sa méthode du +=+ dans son interview Success Story !»

          50. Richard Sennett, Ce que sait la main, Albin Michel, Paris, 2010 et Matthew B. Crawford, Éloge du carburateur, essai sur le sens et la valeur du travail, La Découverte, Paris, 2010.

          51. « L'argent sur Youtube » aux 9 534 937 vues (https ://www.youtube.com/watch ?v=GREO4tBLEm8, vidéo ajoutée le 29 avril 2015).

          52. Pour reprendre le titre d'un documentaire de Sylvie Deleule, 2018, Public Sénat-France

          53. Antoine Lilti, op. cit., p. 132-133.

          54. «Les chaînes Youtube culturelles et scientifiques francophones», Ministère de la Culture, 2018.

          55. Mouvance qui, à la suite de Yves Cochet ou Pablo Servigné, prévoit une fin proche de la civilisation thermo-industrielle. 56. Consulter les résultats de la commission du 21 février 2019.

          58. Charles Litli, op. cit., p. 131.

          59. «Discours Remise des Diplômes 2018 Centrale Nantes », https ://www.youtube.com/watch ?v=3LvTgiWSAAE (ajoutée le 4 décembre 2018). La vidéo est indexée sous le mot-clé #onestprêt qui fédère lui aussi des mobilisations d'actions climatiques.

          60. «Cette génération de jeunes ressent la finitude du monde », entretien dans Le Monde, 19 avril 2019. 61. Anna Lowenhaupt Tsing, Le champignon de la fin du monde, Sur les possibilités de vivre dans les ruines du capitalisme, La Découverte, Paris, 2018.

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            An@é

            Youtubeuse, youtubeur, travailler à être soi-même à l'âge du talent numérique ?

            5 jours 18 heures ago
            Cette étude de Laurence Allard - Extrait d'Etudes digitales 2019 publié sur l’archive ouverte pluridisciplinaire HAL - destinée au dépôt…

            À ce terrain numérique sont adjoints des entretiens réalisés avec des collaborateurs de réseaux multichaînes ou de startups de curation vidéo ou encore d’entreprises de financement participatif.

            Notre perspective est de comprendre comment le « travail expressif » – consistant en partie à « se raconter » sur des plateformes socio-numériques comme Youtube ou des applications sociales telles que Instagram, Snapchat ou Tiktok – peut conduire des formes socioéconomiques légitimées d’«égoentreprenariat».

            On se demandera donc comment la «valeur-talent» incarnée idéalement par les youtubeurs pour les jeunes internautes peut devenir l’horizon générationnel de la valeur travail et quelles en sont les promesses, les limites, les critiques notamment à l’heure des mobilisations pour le climat.

            C’est donc à une interrogation sur l’économie créative des talents numériques, ses acteurs, ses publics, ses formats, ses marchés à laquelle invitent ces observations et hypothèses faisant partie d’une réflexion plus générale sur les liens entre identité, travail et numérique à l’âge dit anthropocène.

            Qu'est-ce qu'un talent ? La génération Licorne et la scène Youtube

            Comme l’a fait remarquer Pierre-Michel Menger en se penchant sur le couplage entre talent et créativité, « dès que la notion de talent a été consolidée au xviiie siècle, elle a été couplée avec la valeur d’originalité dans les domaines des arts et des sciences, qui est […] le principal indice de la créativité (6) ».

            Il rappelle également comment « le talent a constitué le fondement d’une nouvelle société fondée sur le mérite », et combien « l’originalité et la créativité dans les arts et les sciences étaient données en exemple de réalisation de soi à partir du déploiement complet de ses talents (7) ».

            Et de conclure, « nous voyons là le produit du modèle expressiviste et individualiste qui avait été inventé avant le romantisme et auquel celui-ci empruntait ses lettres de noblesse (8) ».

            Il reprend alors l’hypothèse de Charles Taylor (9) pour lequel ce modèle expressiviste constitue l’une des sources du moi moderne. Modèle qui nous a aussi inspiré l’hypothèse de « l’individualisme expressif » afin de comprendre comment l’expression de soi numérique est devenue l’un des éléments constitutifs de la formation de l’identité personnelle et collective contemporaine dans un contexte de modernité tardive réflexive (10).

            L’expressivisme romantique constitue les bases d’une individuation nouvelle et émancipatrice la corrélant à l’expression d’une intériorité qui, suivant le philosophe Herder, doit se comprendre au double sens de «s’auto-formuler» et de «donner forme».

            Le soi exprimé constitue dès lors la réalité sociale du sujet moderne. Une réalité sociale qui suppose que chaque être humain ait « sa propre mesure ». Cette mention de Herder met en valeur, en suivant Charles Taylor, l’idée que chacun d’entre nous doit suivre sa propre voie, ce qui impose à chacun l’obligation de se mesurer à sa propre originalité – et, pour ce faire, d’exercer une créativité exprimant son talent.

            «Je suis une licorne»

            Dans le corpus sélectionné, les talents reconnus le sont à la fois par les « superpublics » d’internet comme les désigne Danah Boyd, ces publics larges et diversifiés, visibles et absents, ici et là (11), mais également par les agents de l’économie créative des talents qui gèrent en partie les relations à ces «super-publics» ainsi que par ceux que l’on peut qualifier de «mauvais publics» entre publics haineux et algorithmes robotiques.

            En effet, ces «super-mauvais-publics» sont non seulement non-humains tels que l’algorithme de Youtube ou le robocopyright venant de façon incontrôlée limiter les recommandations ou supprimer des vidéos, mais ils sont aussi humains.

            Ils sont ces «rageux» (haters) et autres prédateurs de ce marché émergeant avec lequel il s’agit de faire interface (12). Au sein de ce corpus, ce sont les singularités des unes et des autres qui sont expri mées comme dans cette vidéo – qui s’avère être aussi une promotion de la version filmée de Dumbo (2019) par Tim Burton – de la chaîne Lena Situations avec en invités le chanteur pour l’eurovision Bilal Hassani et le jeune Youtubeur Sparkdise (13). Les trois protagonistes échangent autour de leur côté «Dumbo» et traduisent l’histoire originale dans un anachronisme significatif ainsi que le reflètent notamment les termes employés :

            En fait, ce qui nous a touchés et nous qui nous a amenés à vous parler aujourd’hui, c’est qu’on a vu Dumbo et qu’on s’est reconnu en lui. Sa dif férence était une grande force et pendant que tous les rageux étaient cloués au sol, il volait.

            Et chacun à leur tour, ils évoquent leurs différences ainsi que les moqueries qu’elles suscitent et les abonnés sont invités à poster sous le tag #commeDumbo leurs anecdotes.

            Ce qui saute aux yeux dans cette vidéo comme dans le corpus des vidéos de Lucas Adorable est la pseudo-performance de « trouble dans le genre » qui vient transformer des youtubeurs garçons en « pro » du tutoriel de maquillage.

            Dans une vidéo parmi de nombreuses autres consacrées à la lecture des questions des abonnés sur son androgynie et sa confiance en lui, Lucas Adorable (14) répondra « je suis moi et je suis mon seul juge ». De même, dans le corpus des vidéos de Sulivan Gwed (autrefois connu sous le nom de Panda Moqueur) dont les titres attisent la curiosité pour le dévoilement de certains aspects cachés de sa vie, les séances de maquillage ou de confession sur son homosexualité sont assez récurrentes (15). On le voit également dans une vidéo au format «Qui de nous trois» avec Sparkdise et Bilal Hassani alimenté un jeu visant à promouvoir l’individualité « la plus étrange », dans un concours de bizarreries et de singularités propres à chacun.

            Cette insistance sur la mise en question de la différenciation sexuelle ne vaut que par l’expressivité photogénique qu’elle suppose à travers des figures masculines surmaquillées (16).

            Elle ne remet pas en question les rapports sociaux de sexes mais performe de façon tout à fait efficace la singularité que se doit d’incarner un talent numérique érigé en chef de file d’une génération que l’on peut qualifier de « licorne ».(17)

            En effet, cette chimère emblématique d’un monde pseudo-transgressif peuple le web vernaculaire mais se rencontre aussi dans les allées des conventions Vidéo City ou Get Beauty auxquelles nous avons assisté entre 2016 et 2018.

            La valeur-talent pour ces youtubeurs qui se sont professionnalisés en influenceurs, comme nous le verrons plus loin, est indexée à leur per formance expressive d’une personnalité singulière, à la manifestation créative de leur caractère unique.

            Ce qui devient la norme est justement d’être hors-norme, d’être un soi-même comme personne et non la simple reproduction des stéréotypes de genre comme certaines études portant sur la vidéo juvénile la décrivent. Entre hyper ou hypo-sexualisation, les talents ne sauraient, par définition, être standards et stéréotypiques. Les commentaires saluant ces mises en scène de l’originalité individuelle propre aux talents numériques sont légion, comme dans la vidéo de Lena Situations sur les différences et selon les témoignages personnels des unes et des autres, dont parmi les plus populaires :

            On se moquaient de mes yeux bridés ! Aujourd’hui c'est ce qui me rend unique et très attirante. genre it’s the first compliment qu’on me répète h24.

            Merci pour cette vidéo ! Perso les gens de mon lycée (je suis en terminale S) se moque de moi parce que je souhaite de tout coeur devenir fleuriste, c’est une passion et je passe au-dessus de toutes ces moqueries même si au début elles me touchaient. Merci d’être la vous trois ! Je vous adore !!! Coeur sur vous.

            Je kiffe de ouff cette vidéo, utilisé un partenariat, pour faire une aussi belle vidéo aussi +=+ ! Faites des doubles des triples et c’que vous voulez de ses trois là, ils sont si précieux ! 

            Vous êtes tellement choupis tous les 3 ! J’ai 37 ans et aujourd’hui j’assume totalement mes différences et je m’éclate sur ma chaîne Youtube et dans ma vie… Mais quand j’étais ado j’étais aussi une Dumbo ! J’aurai adoré avoir Youtube et avoir Lena et Bilal (Je connaît moins Johann) pour me rassurer et me faire du bien ! J’adore regarder tes vidéos pleines de peps Lena (j’ai commencé à te regarder sur tes vidéos Seule a LA car j’aurai tellement kiffé faire ça a ton âge !), et j’en profite pour féliciter Bilal que j’aime beaucoup : Tu mérite les belles choses qui t’arrivent… Ta chanson est très belle et je te souhaite de remporter l’Eurovision Bisous à vous 3 !

            La reconnaissance par les pairs

            La validation et les discussions autour de ces narrations de soi par les abonnées de ces talents numériques rappellent, comme le fait remarquer Antoine Lilti dans ses ouvrages consacrés à l’histoire de la culture de la célébrité (20) depuis la Révolution française, que «dès que le talent commence à remplacer le statut ou la naissance comme fondement de la valeur sociale, la question de sa reconnaissance devient cruciale (21) ».

            À cet égard on peut distinguer trois formes de reconnaissance, la première par les pairs, la deuxième par le «mercato des talents» et la troisième, de nature institutionnelle, par l’état culturel que nous déplierons dans les deuxième et troisième parties de cet article.

            Avec l’émergence du talent comme nouveau principe d’évaluation de la valeur individuelle d’un être humain, le « talent est mesuré par les autres qui l’infèrent des oeuvres et des actions (22) ».

            Cette mesure peut notamment être constituée par l’évaluation de la performance d’un soi unique sur le plan de l’authenticité. C’est par exemple le cas, au sein du corpus, de la vidéo de PaolaLct. Celle-ci est plus présente sur les stories Instagram que sur Youtube, selon un choix typique de cette quatrième génération de talents numériques qui va utiliser le smartphone comme caméra-stylo et livrer une sorte de journal filmé à l’appui de la créativité visuelle programmée par les applications de messagerie sociale (23).

            Dans les commentaires de la vidéo de cette très jeune youtubeuse (15 ans en 2019) consacrée aux préjugés la concernant dont celui selon lequel elle n’irait jamais en cours, «Je ne vais plus à l’école (24) ?!» – l’autre grande thématique de ce corpus, comme si la célébrité était incompatible avec la méritocratie scolaire, thématique qui demanderait une étude à part entière – ce sont les qualités personnelles qui sont mises en avant, la dimension authentique dévoilée enfin sous des apparences de cover-girl trop vite grandie à l’ombre des shooting Instagram.

            Je trouve que tu renvoies un peu une image hautaine sur tes photos instagram, mais dans tes vidéos heuuuu omgaad tu renvoie carrément le contraire, vraiment un sucre.

            Au début j’avais une mauvaise image de toi car je trouvais que comme certains haters : “Tu t’affichais trop”, “Tu fais trop la meuf en mode : Je suis la plus belle et tout” mais finalement je m’aperçois que tu as une personnalité en or. Paola reste comme tu es, change pour personne mais par contre ne t’affiche pas trop sur Insta car je te rappelle ton âge, tu as 14 ou 15 ans. Et les pédophiles et les hypocrites que j’ai vu sur ma jeune carrière… je ne peux plus les compter.

            J’ai l’impression qu’en décrivant ta personnalité tu décris la mienne c’est ouf.

            J’aime vraiment comment tu t’exprimes et je te trouve vraiment honnête, “sans filtre” continue je t’aime beaucoup.

            Coucou Paola (je suis une fille noire) j’ai bientôt 24 ans ds quelques jours et je te suis quand même oui oui !! Tu es très très inspirante pour moi (ta vie familiale, professionnelle et ta beauté) comme tous hein nous avons des défauts d’ailleurs ceux que tu possèdes certaines personnes proches ou moins proches de moi m’ont dit que j’avais les mêmes (impulsive lunatique et ça part 3 min âpre) mais ça c’est pck nous sommes des personnes très entières en tt cas Je suis agréablement surprise de toi En plus d’être belle intelligente non vulgaire et superficielle tu possède une grande sagesse humilité et un vocabulaire très large pour ton âge !!! C’est tout à ton honneur !!! En espérant que les méchants commentaires non constructifs te passent au dessus pour toujours continue ce que tu fais !! continue d’inspirer les gens continue de rêver… sans faux pas hein. Prend soin de toi que Dieu te bénisse ds tt les domaines de ta vie toi et ta famille.

            L’hypothèse de « l’authenticité réflexive» – empruntée au philosophe Alessandro Ferrara – que nous avions formulée et qui se définit comme la validation entre pairs de cette logique d’individuation expressive, semble désormais valorisée par l’économie créative des talents (25).

            Transposant le modèle de jugement esthétique au domaine de la philosophie morale, Ferrara propose de juger un cas individuel en termes d’exemplarité : l’expressivité, s’alliant à la singularité, se trouve reconnue dans sa généralité comme un modèle digne d’admiration.

            Au travers des vidéos, notamment au format type vlog consistant à filmer le cours de la vie quotidienne, ou au travers des faq permettant de répondre aux questions envoyées par les abonnés, le youtubeur ou la youtubeuse émet en quelque sorte une prétention à l’authenticité en « performant » qu’il ou elle est un individu unique et original et qu’il ou elle veut être jugé(e) en tant que tel.

            En tant que prétention à la validité expressive, l’authenticité porte une revendication quasi artistique suivant l’extension de la logique culturelle du talent dans le champ de la création numérique. Elle est soumise à un jugement réfléchissant ou encore un jugement de goût qui suppose d’évaluer la prétention à l’authenticité en examinant si la vidéo exprime de façon exemplaire la singularité du youtubeur ou de la youtubeuse (26).

            Le talent médiatique : la culture de la "micro-célébrité"

            La reconnaissance entre pairs obtenue par la mise en adéquation d’un soi exprimé et d’une individualité, telle que la postule l’hypothèse « d’authenticité réflexive », se trouve secondée, au sein de l’économie créative des talents numériques, par la culture de la «micro-célébrité», version contemporaine de la logique de la célébrité qui naît au xviiie siècle en parallèle de la figure élective du talent, voire du «génie».

            Antoine Litli montre comment la célébrité devient, à la seconde moitié du xviiie siècle, un phénomène médiatique qu’il convient de corréler avec les nouvelles formes de visibilité disponibles au sein de l’espace public des Lumières. Celui-ci se structure en effet autour d’ouvrages et de revues favorisant les premières interactions à distance dont les «super-publics» d’internet ne sont que la continuation numériquement instrumentée.

            La célébrité suppose d’être un talent à la fois au sens d’une individualité singulière qui se manifeste à travers ses travaux mais également au sens médiatique, à savoir une «disposition qui permet à certains de se maintenir sous le feu de la rampe, d’attiser la curiosité du public» pour sa vie privée, ce qui suppose une capacité à la mettre en scène, à la théâtraliser, à la performer. Ainsi vont coexister deux figures du succès et de la reconnaissance individuelle oscillant entre figure publique et vie privée.

            Il s’agit « d’une part, [de] la réussite par le talent, inscrite dans le droit par la Révolution, fondement idéologique de la société méritocratique articulant exigence d’utilité sociale et injonction au perfectionnement individuel. De l’autre, la célébrité recon naissance fondée sur l’exposition médiatique et la curiosité publique (27).»

            Cette compétence consistant à faire de sa vie une quasi oeuvre d’art exposée sur une scène socio-numérique et à développer ainsi une «stylistique de l’existence (28) » est précisément celle recherchée par les agents des talents numériques. Ces derniers partent ainsi en chasse d’une «personnalité médiatique.»

            Comme l’explique le fondateur d’un groupe média en ligne disposant d’une agence de talents numériques :

            Ce ne sont plus des youtubers mais des socialtubeurs. Des talents sociaux. Ils postent aussi des mini-vidéos sur Instagram ou Vine, des stories [histoires courtes à épisodes qui s’effacent] sur Snapchat, ils discutent et annoncent leurs événements sur Twitter, qui est leur courrier des lecteurs. Ils font de Facebook le siège social de leur mini-entreprise. Tous ces réseaux sociaux, ce sont autant d’accès directs à leur public. Les youtubeurs incarnent aussi un certain modèle de réussite démocratique. Alors que montent sur scène tant d’enfants d’acteurs et de chanteurs, eux ont démarré en tournant des vidéos dans leur chambre d’ado (29).

            Il faut cependant remarquer que si la scène Youtube représente un théâtre de performance identitaire, c’est un théâtre de poche disposant d’une multitude de scènes ; et les acteurs passent justement d’une scène à l’autre. L’âge du talent numérique relève plus précisément non pas seulement de la célébrité comme art de l’exposition médiatique mais également de la micro-célébrité, définie par Theresa Senft comme pas sage de l’audience aux communautés :

            Le concept de microcélébrité reprend la notion de célébrité instantanée de Warhol en ajoutant l’observation du musicien-blogueur Momus : «À l’avenir, nous serons tous célèbres à quinze personnes». En tant que pratique sociale, la microcélébrité change le jeu de la célébrité. La «célébrité à quinze personnes » associe auditoires et communautés, deux groupes qui exigent traditionnellement des modes d’adresse différents.

            Les publics souhaitent que quelqu’un leur parle ; les communautés désirent que quelqu’un parle avec elles. Les publics et les communautés requièrent également des participants qu’ils répondent à des codes sociaux différents. Si un membre de l’auditoire attire l’attention sur lui, il attire souvent la censure (« qui prend la place de la star ? »). Ce n’est pas le cas dans les communautés, où l’attention se déplace nécessairement d’un membre à l’autre. […] Ainsi la pratique de la micro-célébrité (que je définis comme cette activité dévouée au déploiement et au maintien de son identité en ligne comme s’il s’agissait d’un bien de marque avec l’espoir que les autres fassent de même) est passée des marges de l’internet à une pratique massive (30).

            La culture de la micro-célébrité contemporaine suppose d’identifier des « talents expressifs » que l’exposition numérique donne pour des «marques ».

            Une telle exposition va alors nourrir une économie de l’influence utilisatrice des plateformes numériques.

            Ces dernières sont caractérisées comme des entités bifaces ou multifaces, suivant la définition désormais classique de Jean-Charles Rochet et Jean Tirole. Elles fournissent des biens ou des services à des groupes distincts d’utilisateurs, jouent un rôle d’intermédiaire, diminuent fortement les coûts de tran saction et créent des effets croisés d’externalités positives valorisant tant les uns que les autres (31).

            Du talent expressif à l'influenceur : l'économie de la "topocratie"

            Ce « réseau conceptuel » articulant talent, originalité, créativité et expressivité a émergé, comme il vient d’être rappelé, avec la modernité culturelle.

            L’appréhension que celle-ci fait du talent s’associe à la culture numérique de la microcélébrité pour faire émerger une figure marchandisée des individus que l’on peut désigner comme «influenceurs». Dans cette économie des talents numériques, les valeurs culturelles des arts et des industries culturelles se trouvent étendues à tout un pan d’activités liées entre elles comme la publicité et le design mais également et désormais les plateformes socio-numériques et leur économie d’intermédiation.

            Qu'est-ce qu'un talent ?

            Nous avons donc questionné plusieurs types d’acteurs socio-écono miques dont l’activité participe de l’économie de Youtube au regard de leur définition de la «valeur-talent», qui peut être considérée comme « l’or jeune », de différentes entités entrepreneuriales utilisatrices de la plateforme Youtube.

            Nous avons cherché à comprendre comme étaient transformées des individualités en marques au service d’autres marques par le biais d’une reconnaissance de nature marchande et compétitive.

            Comme l’explicite cette jeune startupeuse, co-créatrice de Youdéo curation de chaînes de vidéos Youtube incubées un temps à Station F34 : «Un talent ? C’est la cohérence entre propos et personnalité. Il y a un problème d’éthique dans le mimétisme des formats. Il faut rechercher l’originalité .»

            Pour ce faire, une partie de l’activité de la startup consiste à faire de la veille sur des blogs et des vidéos pour détecter des talents aux contenus qualitatifs dans les domaines de la culture, des jeux vidéo et des sciences et de donner à individus talentueux la possibilité de vivre de leur passion.

            Pour C., qui gère les talents d’un média en ligne destiné aux 18-30 ans :

            Un talent c’est avoir du potentiel, être positif, représenter une individualité avec laquelle on peut travailler. Dans une talent house, il ne peut y avoir deux talents qui se ressemblent. Il faut mettre en avant son caractère unique, être différencié.

            Ma fonction est d’accompagner les talents au quotidien pour travailler avec les marques (cible, budget, date). On réalise de la valorisation native, c’est-à-dire une publicité qui n’en a pas l’air. On joue avec les talents comme des relais des marques pour relayer des opérations publicitaires avec différents points de vue avec comme impératif de ne pas trahir la communauté de l’influenceur.

            Un partenariat va de 140 000 euros mais en moyenne c’est 3 000 euros. Cela consiste en un placement en sponsoring dans une vidéo dédiée : la marque paye pour la production vidéo sans apparaître forcément pour la vidéo. Une autre partie de mon temps de travail est du conseil aux agents en tant qu’agents pour ne pas casser les prix idée de maintenir une grille de prix.

            Mon rôle est enfin est de «donner des conseils » à ces jeunes talents influenceurs car ils mènent une vie d’adolescents confrontés à un monde d’adultes. «Tu es un chef d’entreprise », je leur dis souvent et c’est ma façon à moi de les faire grandir. C’est un monde d’adultes et le talent est comme une proie avec des prédateurs (marques, agents) c’est tout ce système professionnel qui les brosse dans le sens du poil et leur dit « t’es génial, je vais changer ton monde, je vais te permettre d’être une star de cinéma». Parfois les parents sont un peu envahissants : ils veulent être l’agent de leurs enfants et ce n’est pas toujours bon. Il y a des mineurs sous contrat, donc, parfois le chèque qu’ils touchent c’est le salaire des parents de toute une année. Ce sont des influenceurs sous influence.

            L’entretien avec cette professionnelle de l’économie des talents numériques nous engage vers une prise en compte du talent non pas seulement du point de vue de la singularité expressive et de la valorisation qui peut en être faite par les jeux d’acteurs intermédiés par des plateformes, mais également du point de vue des mutations du travail et de la mise en place d’un égoentreprenariat.

            Ce «langage des talents» (John Carson) se diffuse, en effet, de façon toute contemporaine dans le monde du travail en général et dans le secteur du management en particulier ainsi que nous l’avons entendu de cette directrice des ressources humaines d’un groupe international de publicitaire, dont le poste est également intitulé Chief Talent Officer :

            Dans notre groupe, un talent cela peut être un créatif comme une comptable. J’ai été embauchée comme drh avec une formation de juriste car je savais comment faire entrer les gens et les faire sortir. Maintenant mon job consiste à garder les talents. En France, « ressources humaines » est devenu «capital humain ».

            Dans la culture anglo-saxonne depuis quinze ans on parle de talent officer. C’est une vision plus dynamique que la simple gestion des ressources humaines. Dans nos industries, on ne vend que des idées (stratégies, consultations) donc notre ressource première ce sont les gens dont on doit chercher les talents d’où la nécessité d’anticiper les risques et de mettre en place un programme de talents. Comment s’assurer de la loyauté du talent ? Comment construire une stratégie d’entreprise pour les talents ?

            Cette logique de «talentification» renvoie à un mouvement plus global de culturalisation du monde du travail dans le cadre d’un «capitalisme cognitif et affectif » qui suppose que le travailleur se produise comme sujet doté d’une subjectivité et d’une expressivité.

            Mais comme le suggère Pierre-Michel Menger, cette « talentification » du monde du travail pose la question de savoir « comment procéder à une évaluation des oeuvres et des personnes quand la compétition entre elles est gouvernée par l’impératif d’originalité qui pousse à la différenciation illimitée et que rien ne peut en toute logique, être tenu pour commensurable dans un tel espace de différenciation.»

            C’est pourquoi, poursuit-il «la valorisation du talent et de la créativité place assurément l’individu et la performance individuelle au centre du jeu.» D’où la mise au point d’épreuves et de compétitions dans des domaines où la réussite est incertaine comme le sport, l’art ou la culture.

            La topocratie ou la réinvention du starsystem Cette mise en concurrence des talents s’observe de façon paradoxale en milieu numérique, ce qui nécessite des sciences humaines et sociales qu’elles renouvellent leur appréhension du social, de l’individu et du collectif.

            L’hypothèse du «phénomène collectant» formulée par Bruno Latour, Pablo Jensen, Tommaso Venturini, Sebastian Grauwin et Dominique Boullier nous y invite avec pertinence.

            Selon ces auteurs, l’individu doit désormais être conçu comme un « centre de calcul » car plus un profil est individualisé, plus il est singulier ; plus il est connecté, plus il est étendu.

            Sur le terrain du numérique, « grand » veut dire plus « connecté», ce qui explique comment, dans cette économie des talents, des micro-célébrités deviennent influentes. Grâce à des techniques de recommandations algorithmiques, ces figures sélectionnées pour leur capacité à créer une communauté de fans sont ensuite instrumentées afin de constituer des carrefours d’audienciation (41).

            Un chercheur en informatique, César Hidalgo, a, de son côté, démontré à travers l’analyse de graphes sociaux d’influenceurs que, loin de représenter une méritocratie, la construction socio-technique de l’influence délimite une « topocratie » fondée sur la concentration de noeuds de réseaux par quelques hubs et dont le schéma en forme d’étoile rappelle le principe du star-system (42). Un instagrammeur influent dans le domaine de la photographie mobile, Neriad, expliquait ainsi : «Je suis resté deux ans sur cette liste de recommandation, c’est presque effrayant. Quand on est suggéré, l’audience est gonflée, il y a des spams, des bots. La machine se nourrit elle-même car plus on est exposé plus on est suivi (43).»

            La topocratie est donc un avatar numérique du star-system.

            Elle suppose des technologies de sélection et de classement qui permettent de fixer par exemple des échelles de prix des prestations au sein du mercato des talents comme indiqué plus haut par la manager d’une talent house de micro-célébrités influentes. L’une des technologies sociales employées par les acteurs de cette économie des talents numériques qui délimite in fine une topocratie est constituée par « l’appariement assortif ».

            Pierre-Michel Menger fait relever cet appariement assortif d’une « écologie sélective » consistant à associer des talents pour mul tiplier les retours sur investissement (44). Notre corpus fourmille de tels appariements assortifs qui se manifestent à travers les apparitions et les participations de youtubeurs ou de youtubeuses qui peuvent par ailleurs appartenir à différentes agences. Ils sont signalés par le terme « ft » marquant la présence au générique d’un youtubeur ou d’une youtubeuse alliés.

            Ainsi, Lucas Dorable vient tourner dans une vidéo de Lena Situations («On échange nos styles 45 »). Les deux youtubeuses imitent mutuelle ment la façon que chacune d’elles a de se maquiller. Cette vidéo est l’un des plus vues de la chaîne de la jeune fille. Notons par ailleurs que les deux protagonistes sont sous contrat avec la même agence à l’heure où nous écrivons ces lignes.

            Ces échanges de bons procédés de maquillage forment également un échange de communautés de fans, comme l’attestent certains commentaires :

            Le duo iconic tant attendu.

            Un vrai duo d’enfer. On adore . À refaire absolument.

            Ptn meilleur collaboration ever

            Yaaaaaaaaaaaaaaaaas !!!!!!! Lucas is back on the Lena's Game  (je sais pas trop si c’est anglais mais c’est pas grave). Vous me tuez tout les deux à chaque fois !

            Une manifestation de cette stratégie des appariements assortifs consiste également à inviter d’autres youtubeurs ou youtubeuses influents lors d’un voyage professionnel qui « se transforme en un voyage fou entre potes ! ».

            Cette stratégie offre surtout la possibilité de citer, dans le paratexte de la vidéo, les comptes Instagram des participants. En effet, si Youtube est à la fois scène et place de marché, ces comptes pourraient être analysés comme leurs coulisses. Ceci apparaît notamment à travers l’usage du format « story » d’Instagram, qui renouvelle le journal intime.

            Ces comptes permettent ainsi de filmer la vie quotidienne de la célébrité. Les appariements peuvent prendre également la forme d’apparition dans les vlogs des uns et des autres. Par exemple, un invité de passage entre dans le champ de la vidéo, sans prendre la parole. Un tel artifice favorise la mise en scène d’une bande de copains formée par ces youtubeurs influents, bande à laquelle les fans peuvent participer depuis leurs écrans. Se forme alors l’une de ces drôles de rencontres entre youtubeurs qui se questionnent au fil de leurs vidéos sur ce qui les rassemble et les distingue. C’est notamment le cas du trio Sulivan Glew, Sparkdise et Bilal Hassani, qui multiplie les performances de coming out de bisexualité et autres révélations queer. On y voit par exemple Sparkdise (46) insister sur le collectif comme une sorte « d’association de bienfaisance (47)…»

            Cette formalisation de la «génération licorne vue par elle-même» vient cependant camoufler une stratégie économique sous un vernis socio-psychologisant.

            À l’âge des talents numériques, l’originalité et l’expressivité sont donc aussi « des leviers d’une conception exclusive, hiérarchique et éliminatoire, des qualités individuelles (48). »

            Le travail créatif rend pos sible une auto-réalisation individuelle revendiquée par ces youtubeurs qui gagnent leur vie à être eux-mêmes comme elles ou ils l’énoncent parfois explicitement. C’est le cas de Léna Situations qui, interrogée sur sa réussite par le site Au féminin, confie qu’elle n’a jamais su choisir entre ses différents centres d’intérêt, la mode ou la communication.

            Elle précise qu’en tant que « youtubeuse influenceuse » elle s’épanouit car elle a créé son entreprise. Et d’ajouter : « pour réussir dans ce milieu-là, tu es obligée d’être un couteau suisse, tu ne fais jamais qu’une seule chose à la fois, […] mon kif c’est qu’aucune journée ne se ressemble (49). »

            Ce rapport individualisant et hédoniste au travail qui est exprimé par cette jeune influenceuse (c’est «mon kif ») et cette revendication de compétences diverses (je suis un «couteau suisse») peuvent faire écho, dans une version relevant du témoignage, à des études sur la réalisation de soi entendu comme «art de faire soi-même ».

            C’est la démarche d’un Richard Sennett ou d’un Mathieu Crawford qui revalorise par exemple le rôle de l’artisan ou interroge le sens et la valeur «travail» dans le monde contemporain (50).

            Dans ce régime de l’égo-entreprenariat, le travail du youtubeur et de la youtubeuse consiste «à être soi-même», c’est-à-dire un être original, expressif, créatif, bref un talent reconnu comme un « copain modèle » par les autres, mais aussi comme un « élu » parmi d’autres par les acteurs de l’économie de l’influence plateformisée.

            La jeunesse de ces youtubeurs qui, au cours de leurs études, se lancent dans la carrière d’influenceurs après avoir été reconnus comme talents et repérés comme micro-célébrités, explique également pourquoi tant de vidéos abordent la question des choix de vie, à l’instar de « L’argent sur Youtube », cette vidéo canonique de la chaîne Le rire jaune.

            Dans une activité où «mon salaire dépend de mon nombre de vues», l’un des frères du duo Le Rire Jaune, en dernière année d’école d’ingénieurs à l’époque du tournage, se pose – et pose à ses fans – une interrogation existentielle : «Dois-je finir mes études d’ingénieur ou continuer à faire des vidéos ?» Cette question ouverte depuis 2015 suscite des milliers de commentaires significatifs quant aux représentations du travail au sein de la « génération licorne (51) ».

            Cette vidéo a donné lieu à 24 457 commentaires depuis quatre ans et continue à inspirer des internautes avec ce type de réponses :

            Tu devrais continuer tes études et devenir ingénieur et faire quelque vidéo de temps en temps quite à ce qu’elle soit pas d’une qualité de ouf.

            Tu peux faire ingénieur et youtubeur ?

            Je regarde cette vidéo en 2019 mais je te conseil te faire ingénieur et une vidéo de temps en temps.

            Ingenieur ca vaut mieux.

            Moi je dit essaye d’avoir un travail bien rémunéré mais qui te laisse du temps pour t’es vidéo comme ca tu est content et ta un parachute toujours la et je t’encourage a faire des placements car en plus comme ca tu vois les vrais et les faux abonné commentaire écrit en 2018 par un mec de 13 ans donc dsl pour les faute.

            Je sais pas car c sur que pour toi c important d’avoir un bon métier mais ce serait trop d’hommage qu’il n’y est plus de rire jaune.

            Formes de reconnaissance institutionnelle : le retour de la vertu et de l'utilité sociale dans un monde incertain ?

            Cet article a, jusqu’à présent, décrit des formes de reconnaissance du talent expressif que représentent un youtubeur ou une youtubeuse influents, talent à la fois interne à la communauté de la micro-célébrité et caractéristique de l’économie créative de la plateforme.

            Ce faisant, l’histoire de la notion de talent passant d’un premier usage culturel à un second usage managérial a été ici résumée depuis l’âge romantique jusqu’à l’époque du capitalisme affectif qui voit émerger les notions de «micro-célébrité » et d’«influenceur ». Une success story dans le monde merveilleux des youtubeurs (52) emprunte donc à la fois au talent, à la micro-célébrité et à l’influence impliquant que le circuit de la marchandisation de la subjectivité exprimée de manière créative s’accomplisse jusqu’au devenirmarque des individualités.

            Coexistent donc, au sein de l’économie numérique des talents, pour reprendre les mots de l’historien Antoine Lilti :

            ces deux figures du succès : d’une part, la réussite par le talent, inscrite dans le droit par la Révolution, fondement idéologique de la société méritocratique articulant exigence d’utilité sociale et injonction au perfectionnement individuel. De l’autre, la célébrité reconnaissance fondée sur l’exposition médiatique et la curiosité publique. Le talent est soutenu par des institutions avec des épreuves formalisées de sélection et la seconde repose sur la culture populaire et médiatique avec des mécanismes mystérieux voire arbitraires (53).

            Il nous faut cependant nuancer les conclusions de l’historien de la célébrité en précisant d’une part, que la culture algorithmique que met en forme l’économie créative des plateformes est venue rationaliser le caractère irrationnel de la célébrité à travers la configuration topocratique, comme nous l’avons indiqué plus haut.

            D’autre part, la topocratie n’élimine pas la reconnaissance méritocratique des microcélébrités influentes en tant que talents légitimes. En effet, des formes traditionnelles de reconnaissance par le concours se trouvent ré-institutionnalisées avec la création d’une commission «Talent » du Centre national de la cinématographie français.

            Un fonds d’aide aux créateurs vidéo sur internet (cnc Talent), dédié aux projets d’expression originale française en première diffusion gratuite sur internet, a été créé en 2017. Il comporte deux aides sélectives avant réalisation. Une aide à la création, allant jusqu’à 30 000 euros, pour les créateurs vidéo ayant au moins 10 000 abonnés ou ayant été primés dans un festival au cours des cinq dernières années.

            Une aide à l’éditorialisation des chaînes, allant jusqu’à 50 000 euros, pour les créateurs vidéo ayant 50 000 abonnés ou plus. Ces aides sont attribuées sur avis d’une commission composée de dix membres (créateurs, producteurs, entrepreneurs du web…).

            La commission se réunit cinq fois par an et se trouve présidée par l’artiste JR, célèbre pour avoir exposé notamment des photographies des visages de gens ordinaires au Panthéon. Elle comprend également le pionnier des youtubeurs, Cyprien. Si l’on étudie les lauréats de ce concours «Talents CNC», on remarque le peu de présence de vidéastes lifestyle ou beauté.

            Ce sont bien plutôt les genres culturels et scientifiques qui sont récompensés, à l’image de la consécration de trois cent cinquante chaînes Youtube proposées par le Ministère de la Culture (54).

            Lors de la commission du 21 février 2019, le vidéaste Clément Montfort, auteur d’une websérie documentaire sur la mouvance collapsologiste (55) a pu obtenir une aide à la création (56). D’autres vidéastes proches de cette inspiration, comme la chaîne Tout le Monde s’en fout, ont également été aidés. On observe que ces youtubeurs se trouvent engagés vers des mobilisations vidéo autour de la crise climatique. Ils ont ainsi collaboré à la vidéo chorale de lancement de l’initiative « Il est encore temps (57) » ainsi qu’à un manifeste pour le développement d’actions en faveur du climat plus radicales, à l’image du mouvement anglais Extinction Rebellion.

            Cette légitimation de youtubeurs engagés dans des problèmes publics par le fonds «Talent cnc » rappelle ici les vertus démocratiques du talent, « son utilité sociale (58) » .

            Et pendant que, une fois obtenu son diplôme d’ingénieur en 2016, Le Rire Jaune poursuit son travail de youtubeur, pour « vivre de sa passion », d’autres ingénieurs font parler d’eux, tel cet élève de l’école Centrale Nantes dont le discours de remise de prix a donné lieu à une vidéo virale dans laquelle il explique que sa génération ne travaillera pas à refaire le monde mais à en vivre la fin et que son diplôme n’a guère de sens dans ce contexte (59) :

            Comme bon nombre de mes camarades, alors que la situation climatique et les inégalités ne cessent de s’aggraver, que le Giec (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat) pleure et que les êtres se meurent : je suis perdu, incapable de me reconnaître dans la promesse d’une vie de cadre supérieur, en rouage essentiel d’un système capitaliste de surconsommation. Quand sobriété et décroissance sont des termes qui peinent à s’immiscer dans les programmes centraliens, mais que de grands groupes industriels à fort impact carbone sont partenaires de mon école, je m’interroge sur le système que nous soutenons. Je doute, et je m’écarte.

            Ce discours de défection par l’un de ces « loyaux critiques», comme les désigne la sociologue Cécile Van de Velde 60, que sont ces ingénieurs et autres diplômés d’écoles de commerce qui renoncent à des carrières de cadres est peut-être l’annonce d’un nouveau talent, celui de savoir vivre dans « les ruines du capitalisme» (Anne Lowenhaupt Tsing 61).

            Laurence Allard Université Lille 3 Université Sorbonne nouvelle (Ircav)

            https://classiques-garnier.com/etudes-digitales-2019-1-n-7-youtoubeurs-youtubeuses-inventions-subjectives-youtubeuse-youtubeur-travailler-a-etre-soi-meme-a-l-age-du-talent-numerique.html

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            1. Pierre-Michel Menger, «Le talent et la physique sociale des inégalités», in Pierre-Michel Menger (dir.), Le talent en débat, Paris, PUF, 2018 p. 15.

            2. Ce corpus comporte les vidéos postées sur Youtube d'influenceurs qui sont sous contrat dans deux agences les mettant en relation avec des marques. Deux d'entre eux apparaissent chez AdCrew : Lenamahfouf (20 ans) (592 573 abonnés) ; LucasAdorable (19 ans) (408 844 abonnés) et deux autres chez Follow : PaolaLct (15 ans) (495 850 abonnés) et Sulivan Gwed (18 ans) (1 676 061 abonnés). Nous citerons également Bilal Hassani, Sparkdise et Gloria_Nbr que l'on retrouve dans les contenus des uns et des autres. Ces bandes et ces teams font partie de la deuxième et de la troisième génération de youtubeurs célèbres en France ayant ouverts leur chaîne entre 2013 et 2015 quand Norman et Squeezie l'effectuaient en 2011, quelques années après le pionnier Cyprien qui s'est lancé en 2007 alors que Youtube n'avait alors que deux ans d'existence.

            3. «Un réseau multichaîne, réseau de chaînes ou network (de l'expression anglaise multi channel network, donnant le sigle mcn) est une entreprise travaillant conjointement avec les sites de partage de vidéos (par exemple, Youtube) et proposant aux vidéastes des services ayant trait à la monétisation et la promotion de contenus, à la gestion des droits, à l'aide au développement et aux relations avec les annonceurs et partenaires commerciaux, en échange d'un pourcentage sur les revenus de leur chaîne. En termes de chiffres d'affaires et de vues associées à leurs chaînes, Webedia, Finder Studios, Wizdeo, Maker Studios, BroadbandTv, Machinima, Fullscreen, Divimove et Brave Bison se comptent parmi les plus importants networks. » source Wikipédia.

            4. Ainsi, en 2018, 56% des élèves de 5e sondés font usage des réseaux sociaux pour regarder des vidéos, 40% pour partager des photos et des vidéos, 27% pour suivre des célébri tés. La volonté de s'informer est faible : seuls 13% s'y informent sur l'actualité et 4% partagent des liens et des articles. Chiffres de la troisième édition du baromètre «Born Social» de l'agence Heaven, en partenariat avec l'association Génération numérique.

            5. Sur cette notion voir Philippe Bouquillion, «Industries, économie créatives et technolo gies d'information et de communication », tic&société, vol. 4, no2, 2010. https ://journals. openedition.org/ticetsociete/876.

            6. Pierre-Michel Menger, op. cit., p. 25.

            7. Comme l'atteste l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen : «Tous les citoyens, étant égaux aux yeux de la loi, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.»

            8. Pierre-Michel Menger, op. cit., p. 32.

            9. Les sources du moi. La formation de l'identité moderne, Paris, Le Seuil, 1998.

            10. Laurence Allard, «Express Yourself 2.0. Blogs, podcasts, fansubbing, mashups… : de quelques agrégats technoculturels à l'âge de l'expressivisme généralisé » in Éric Maigret et Eric Macé (dir.), Penser les Mediacultures, Paris, Armand Colin/ina, 2005.

            11. «En parlant de "super-publics", je veux parler de l'état modifié des publics – à quoi ressemblent les publics lorsqu'ils sont imprégnés des caractéristiques des architectures numériques ? Que signifie parler à travers le temps et l'espace à un public inconnu ? Que se passe-t-il lorsque vous ne pouvez pas prédire qui sera témoin de vos actes car ils ne sont pas visibles maintenant, même s'ils le seront demain ? Comment les gens apprennent-ils à traiter avec un public plus large et plus diversifié que celui qu'ils ont appris à comprendre adolescents ? Comment les adolescents sont-ils affectés par le fait de grandir dans un environnement où ils peuvent assumer des super-publics ? Je veux parler de ce que signifie parler pour tous les temps et tous les espaces, devant des publics que vous ne pouvez pas conceptualiser.» «Super Publics», Apophenia Blog, 22 mars 2006 (traduction de l'auteur).

            12. Ainsi C., 36 ans, gère la « talent house » d'un groupe média internet pour la cible des 18-30 ans. Elle raconte comment elle a eu à gérer le cas d'une vidéo traitant de singe la Youtubeuse noire Mademoiselle Gloria puis le piratage de son compte Instagram. « J'ai pris contact avec Youtube et autres réseaux sociaux. Le conseil que je donne à nos talents par rapport aux haters, c'est de se déconnecter. Je leur donne aussi d'autres conseils car ils mènent une vie d'adolescents confrontés à un monde d'adultes. C'est un monde d'adultes et le talent est comme une proie avec des prédateurs (marques, agents) c'est tout ce système professionnel qui les brosse dans le sens du poil et leur dit "t'es génial, je vais changer ton monde, je vais te permettre d'être une star de cinéma !". » Entretien réalisé le 30 janvier 2018 à Paris.

            13. «Comment avoir confiance en soi ? nos anecdotes ! || Léna Situations feat. Bilal Hassani & Sparkdise» (https ://www.youtube.com/watch ?v=q2fpcFBgZXA, ajoutée le 27 mars 2019).

            14. Lucas dorable / faq : / clash / androgyne / bac / (https ://www.youtube.com/ watch ?v=xXfmUAO0LLY, ajoutée le 23 juillet 2017).

            15. https ://www.youtube.com/watch ?v=1UvBZi-QJxM, vidéo ajoutée le 27 juin 2018.

            16. Ce qui suppose que le maquillage des jeunes youtubeuses beauté représente l'étalon du genre.

            17. Allusion à une célèbre vidéo d'une youtubeuse pionnière, Natoo, « La chanson des licornes » (2014, https ://www.youtube.com/watch ?v=a021WhobrLc), qui a popularisé notamment un type de déguisement-travestissement emblématique, selon nous, de la norme socio-numérique qu'est devenue la singularisation individuelle comme nous le discutons dans ce paragraphe.

            18. Ils sont reproduits ici avec leur graphie propre, sans que la mention «sic » ne vienne à chaque fois stigmatiser leur spécificité ou impropriété.

            19. «Comment avoir confiance en soi ? nos anecdotes ! || Léna Situations feat. Bilal Hassani & Sparkdise » (https ://www.youtube.com/watch ?v=q2fpcFBgZXA&t=53s, ajoutée le 27 mars 2019), avec plus de mille commentaires en avril 2019.

            20. Antoine Lilti, Figures publiques, l'invention de la célébrité (1750-1850), Fayard, Paris, 2014.

            21. Antoine Lilti, « Faut-il du talent pour être célèbre ?» in Pierre-Michel Menger, op. cit., p. 108.

            22. Antoine Lilti, op. cit., p. 119.

            23. Instagram complète la scène et place de marché que représente Youtube en proposant à la fois des posts comme des photographies interactives de magazines grâce à des fonc tionnalités comme le «swipe up » et le «tap » mais également des séquences de vie avec les stories d'une durée d'une journée. Voir Laurence Allard, «Des mobiles, des apps et autant de nuances d'images », Théorème, no 29, Mobiles : enjeux artistiques et esthétiques, Presses universitaires de la Sorbonne nouvelle, 2018.

            24. https ://www.youtube.com/watch ?v=5LZHnM6TgwA. Commentaire en date du 3 avril 2019.

            25. Alessandro Ferrara, Reflective authenticity. Rethinking the Project of Modernity, Routledge, Londres, 1999.

            26. Laurence Allard, Frédéric Vandenberghe, « Entre légitimation technopolitique de l'individualisme expressif et authenticité réflexive peer to peer», Réseaux, no117, 2003.

            27. Charles Litli, op. cit., p. 126-132.

            28. Michel Foucault, «À propos de la généalogie de l'éthique », Dits et écrits, 1954-1988, vol. 4, Gallimard, Paris, p. 609-632.

            29. Alexandre Malsch, créateur du groupe media pure player Melty, entretien Le Monde/ Pixels, 8 mai 2015.

            30. Theresa Senft, «Micro-celebrity and the Branded Self », in Jean Burgess et Axel Bruns (eds), Blackwell Companion to New Media Dynamics, Blackwell, Londres, 2012.

            31. Jean-Claude Rochet, Jean Tirole, «Platform Competition in Two-Sided Markets», Journal of the European Economic Association, vol. 1, no4, 2003, p. 990-1029.

            32. Voir Phililppe Bouquillion, Bernard Miège, Pierre Moeglin, L'industrialisation des biens symboliques : les industries créatives en regard des industries culturelles, pug, Grenoble, 2013.

            33. Laetitia Chatillon, entretien réalisé au festival NéoCast 2016, consacré aux youtubeurs scientifiques et culturels, Strasbourg, le 24 avril 2016.

            34. Laetitia Chatillon, entretien cité.

            35. Entretien réalisé le 30 janvier 2018 avec C. qui gère les influenceurs de la talent house d'un groupe média en ligne à destination des 18-30 ans et qui a tenu à rester anonyme.

            36. Entretien réalisé par téléphone le 14 août 2016.

            37. On peut citer les travaux de Yann Moullier-Boutang, Le capitalisme cognitif : la nouvelle grande transformation, Éd. Amsterdam, Paris, 2008 ; Michael Hardt, «Affective Labor», Boundary 2, Duke University Press, vol. 26, no 2, p. 89-100 ou Yves Citton, Pour une écologie de l'attention, Le Seuil, Paris, 2014. Voir aussi la synthèse pour le champ des sciences de l'information et de la communication de Fabienne Martin-Juchat, «Le capitalisme affectif : enjeux des pratiques de communication des organisations», in Sylvie Parrini Alemanno (dir.), Communications, organisationnelles, management et numérique, L'Harmattan, Paris, 2014.

            38. Pierre-Michel Menger, op. cit., p. 29.

            39. Pierre-Michel Menger, op. cit. p. 30.

            40. Bruno Latour, Dominique Boullier et alii, «Le tout est toujours plus petit que ses parties. Une expérimentation numérique des monades de Gabriel Tarde », Réseaux, no177, Politiques des algorithmes, 2013.

            41. Voir Laurence Allard, op. cit., 2018.

            42. Cesar A. Hidalgo et al., «To Each According to its Degree : The Meritocracy and Topocracy of Embedded Markets », Nature, janvier 2014. On peut également citer sur la topographie du web les travaux de Roger Bautier, notamment «Les réseaux de l'internet : des artefacts bien (trop) vivants», Les Enjeux, 2007. https ://lesenjeux.univ-grenoble-alpes. fr/2007-meotic/Bautier/home.html.

            43. Propos tenus lors d'une rencontre-débat que nous avons organisée le 29 avril 2015 dans le cadre des activités du groupe «Téléphone mobile et Création» et transcris dans Laurence Allard, «Des mobiles et des apps : 50 nuances d'image », Théorème, no 29, «Mobiles : enjeux artistiques et esthétiques», Presses de la Sorbonne nouvelle, 2018.

            44. Pierre-Michel Menger, op. cit., p. 77.

            45. Vidéo tournée le 8 avril 2019.

            46. «Notre génération : mise au point» (en date du 3 avril 2019).

            47. Que l'on peut résumer par le slogan «+=+» de Lena Situations, c'est à dire que positif = positif, un esprit positif amène des choses positives.

            48. Pierre-Michel Menger, op. cit. p. 24.

            49. Lena Mahfouf : le parcours de la femme de toutes les situations ! en date du 24 décembre 2018. Le texte de présentation de la vidéo explique ainsi que «Lena Mahfouf est la femme de toutes les situations ! C'est bien pour ça que le nom "Lena Situations" lui va si bien ! Blogueuse, youtubeuse, instagrameuse, business woman, rien ne lui résiste ! En tout juste une petite année, elle est devenue l'une des influenceuses françaises les plus demandées. Elle revient sur son parcours, ses projets et sa méthode du +=+ dans son interview Success Story !»

            50. Richard Sennett, Ce que sait la main, Albin Michel, Paris, 2010 et Matthew B. Crawford, Éloge du carburateur, essai sur le sens et la valeur du travail, La Découverte, Paris, 2010.

            51. « L'argent sur Youtube » aux 9 534 937 vues (https ://www.youtube.com/watch ?v=GREO4tBLEm8, vidéo ajoutée le 29 avril 2015).

            52. Pour reprendre le titre d'un documentaire de Sylvie Deleule, 2018, Public Sénat-France

            53. Antoine Lilti, op. cit., p. 132-133.

            54. «Les chaînes Youtube culturelles et scientifiques francophones», Ministère de la Culture, 2018.

            55. Mouvance qui, à la suite de Yves Cochet ou Pablo Servigné, prévoit une fin proche de la civilisation thermo-industrielle. 56. Consulter les résultats de la commission du 21 février 2019.

            58. Charles Litli, op. cit., p. 131.

            59. «Discours Remise des Diplômes 2018 Centrale Nantes », https ://www.youtube.com/watch ?v=3LvTgiWSAAE (ajoutée le 4 décembre 2018). La vidéo est indexée sous le mot-clé #onestprêt qui fédère lui aussi des mobilisations d'actions climatiques.

            60. «Cette génération de jeunes ressent la finitude du monde », entretien dans Le Monde, 19 avril 2019. 61. Anna Lowenhaupt Tsing, Le champignon de la fin du monde, Sur les possibilités de vivre dans les ruines du capitalisme, La Découverte, Paris, 2018.

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              An@é

              Youtubeuse, youtubeur, travailler à être soi-même à l'âge du talent numérique ?

              5 jours 18 heures ago
              L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou…

              À ce terrain numérique sont adjoints des entretiens réalisés avec des collaborateurs de réseaux multichaînes 3 ou de startups de curation vidéo ou encore d’entreprises de financement participatif. Notre perspective est de comprendre comment le « travail expressif » – consistant en partie à « se raconter » sur des plateformes socio-numériques comme Youtube ou des applications sociales telles que Instagram, Snapchat ou Tiktok – peut conduire des formes socioéconomiques légitimées d’«égoentreprenariat». On se demandera donc comment la «valeur-talent» incarnée idéalement par les youtubeurs pour les jeunes internautes 4 peut devenir l’horizon générationnel de la valeur travail et quelles en sont les promesses, les limites, les critiques notamment à l’heure des mobilisations pour le climat. C’est donc à une interrogation sur l’économie créative 5 des talents numériques, ses acteurs, ses publics, ses formats, ses marchés à laquelle invitent ces observations et hypothèses faisant partie d’une réflexion plus générale sur les liens entre identité, travail et numérique à l’âge dit anthropocène.

              Qu'est-ce qu'un talent ? La génération Licorne et la scène Youtube

              Comme l’a fait remarquer Pierre-Michel Menger en se penchant sur le couplage entre talent et créativité, « dès que la notion de talent a été consolidée au xviiie siècle, elle a été couplée avec la valeur d’originalité dans les domaines des arts et des sciences, qui est […] le principal indice de la créativité 6 ». Il rappelle également comment « le talent a constitué le fondement d’une nouvelle société fondée sur le mérite », et combien « l’originalité et la créativité dans les arts et les sciences étaient données en exemple de réalisation de soi à partir du déploiement complet de ses talents 7 ». Et de conclure, « nous voyons là le produit du modèle expressiviste et individualiste qui avait été inventé avant le romantisme et auquel celui-ci empruntait ses lettres de noblesse 8 ». Il reprend alors l’hypothèse de Charles Taylor 9 pour lequel ce modèle expressiviste constitue l’une des sources du moi moderne. Modèle qui nous a aussi inspiré l’hypothèse de « l’individualisme expressif » afin de comprendre comment l’expression de soi numérique est devenue l’un des éléments constitutifs de la formation de l’identité personnelle et collective contemporaine dans un contexte de modernité tardive réflexive 10. L’expressivisme romantique constitue les bases d’une indi viduation nouvelle et émancipatrice la corrélant à l’expression d’une intériorité qui, suivant le philosophe Herder, doit se comprendre au double sens de « s’auto-formuler» et de «donner forme». Le soi exprimé constitue dès lors la réalité sociale du sujet moderne. Une réalité sociale qui suppose que chaque être humain ait « sa propre mesure ». Cette mention de Herder met en valeur, en suivant Charles Taylor, l’idée que chacun d’entre nous doit suivre sa propre voie, ce qui impose à chacun l’obligation de se mesurer à sa propre originalité – et, pour ce faire, d’exercer une créativité exprimant son talent.

              «Je suis une licorne»

              Dans le corpus sélectionné, les talents reconnus le sont à la fois par les « superpublics » d’internet comme les désigne Danah Boyd, ces publics larges et diversifiés, visibles et absents, ici et là 11, mais également par les agents de l’économie créative des talents qui gèrent en partie les relations à ces «super-publics» ainsi que par ceux que l’on peut qualifier de «mauvais publics» entre publics haineux et algorithmes robotiques. En effet, ces «super-mauvais-publics» sont non seulement non-humains tels que l’algorithme de Youtube ou le robocopyright venant de façon incontrôlée limiter les recommandations ou supprimer des vidéos, mais ils sont aussi humains. Ils sont ces «rageux» (haters) et autres prédateurs de ce marché émergeant avec lequel il s’agit de faire interface 12. Au sein de ce corpus, ce sont les singularités des unes et des autres qui sont expri mées comme dans cette vidéo – qui s’avère être aussi une promotion de la version filmée de Dumbo (2019) par Tim Burton – de la chaîne Lena Situations avec en invités le chanteur pour l’eurovision Bilal Hassani et le jeune Youtubeur Sparkdise 13. Les trois protagonistes échangent autour de leur côté «Dumbo» et traduisent l’histoire originale dans un anachronisme significatif ainsi que le reflètent notamment les termes employés :

              En fait, ce qui nous a touchés et nous qui nous a amenés à vous parler aujourd’hui, c’est qu’on a vu Dumbo et qu’on s’est reconnu en lui. Sa dif férence était une grande force et pendant que tous les rageux étaient cloués au sol, il volait.

              Et chacun à leur tour, ils évoquent leurs différences ainsi que les moqueries qu’elles suscitent et les abonnés sont invités à poster sous le tag #commeDumbo leurs anecdotes. Ce qui saute aux yeux dans cette vidéo comme dans le corpus des vidéos de Lucas Adorable est la pseudo-performance de « trouble dans le genre » qui vient transformer des youtubeurs garçons en « pro » du tutoriel de maquillage. Dans une vidéo parmi de nombreuses autres consacrées à la lecture des questions des abonnés sur son androgynie et sa confiance en lui, Lucas Adorable 14 répondra « je suis moi et je suis mon seul juge ». De même, dans le corpus des vidéos de Sulivan Gwed (autrefois connu sous le nom de Panda Moqueur) dont les titres attisent la curiosité pour le dévoilement de certains aspects cachés de sa vie, les séances de maquillage ou de confession sur son homosexualité sont assez récurrentes15. On le voit également dans une vidéo au format «Qui de nous trois» avec Sparkdise et Bilal Hassani alimenté un jeu visant à promouvoir l’individualité « la plus étrange », dans un concours de bizarreries et de singularités propres à chacun 15.

              Cette insistance sur la mise en question de la différenciation sexuelle ne vaut que par l’expressivité photogénique qu’elle suppose à travers des figures masculines surmaquillées 16. Elle ne remet pas en question les rapports sociaux de sexes mais performe de façon tout à fait efficace la singularité que se doit d’incarner un talent numérique érigé en chef de file d’une génération que l’on peut qualifier de « licorne 17 ». En effet, cette chimère emblématique d’un monde pseudo-transgressif peuple le web vernaculaire mais se rencontre aussi dans les allées des conventions Vidéo City ou Get Beauty auxquelles nous avons assisté entre 2016 et 2018. La valeur-talent pour ces youtubeurs qui se sont professionnalisés en influenceurs, comme nous le verrons plus loin, est indexée à leur per formance expressive d’une personnalité singulière, à la manifestation créative de leur caractère unique. Ce qui devient la norme est justement d’être hors-norme, d’être un soi-même comme personne et non la simple reproduction des stéréotypes de genre comme certaines études portant sur la vidéo juvénile la décrivent. Entre hyper ou hypo-sexualisation, les talents ne sauraient, par définition, être standards et stéréotypiques. Les commentaires 18 saluant ces mises en scène de l’originalité individuelle propre aux talents numériques sont légion, comme dans la vidéo de Lena Situations sur les différences 19 et selon les témoignages personnels des unes et des autres, dont parmi les plus populaires :

              On se moquaient de mes yeux bridés ! Aujourd’hui c est çe qui me rends unique et très attirante. genre it’s the first compliment qu’on me répète h24.

              Merci pour cette vidéo ! Perso les gens de mon lycée (je suis en terminale S) se moque de moi parce que je souhaite de tout coeur devenir fleuriste, c’est une passion et je passe au-dessus de toutes ces moqueries même si au début elles me touchaient. Merci d’être la vous trois ! Je vous adore !!! Coeur sur vous.

              Je kiffe de ouff cette vidéo, utilisé un partenariat, pour faire une aussi belle vidéo aussi +=+ ! Faites des doubles des triples et c’que vous voulez de ses trois là, ils sont si précieux ! 

              Vous êtes tellement choupis tous les 3 ! J’ai 37 ans et aujourd’hui j’assume totalement mes différences et je m’éclate sur ma chaîne Youtube et dans ma vie… Mais quand j’étais ado j’étais aussi une Dumbo ! J’aurai adoré avoir Youtube et avoir Lena et Bilal (Je connaît moins Johann) pour me rassurer et me faire du bien ! J’adore regarder tes vidéos pleines de peps Lena (j’ai commencé à te regarder sur tes vidéos Seule a LA car j’aurai tellement kiffé faire ça a ton âge !), et j’en profite pour féliciter Bilal que j’aime beaucoup : Tu mérite les belles choses qui t’arrivent… Ta chanson est très belle et je te souhaite de remporter l’Eurovision Bisous à vous 3 !

              La reconnaissance par les pairs

              La validation et les discussions autour de ces narrations de soi par les abonnées de ces talents numériques rappellent, comme le fait remar quer Antoine Lilti dans ses ouvrages consacrés à l’histoire de la culture de la célébrité 20 depuis la Révolution française, que «dès que le talent commence à remplacer le statut ou la naissance comme fondement de la valeur sociale, la question de sa reconnaissance devient cruciale 21 ». À cet égard on peut distinguer trois formes de reconnaissance, la première par les pairs, la deuxième par le «mercato des talents» et la troisième, de nature institutionnelle, par l’état culturel que nous déplierons dans les deuxième et troisième parties de cet article.

              Avec l’émergence du talent comme nouveau principe d’évaluation de la valeur individuelle d’un être humain, le « talent est mesuré par les autres qui l’infèrent des oeuvres et des actions 22 ». Cette mesure peut notamment être constituée par l’évaluation de la performance d’un soi unique sur le plan de l’authenticité. C’est par exemple le cas, au sein du corpus, de la vidéo de PaolaLct. Celle-ci est plus présente sur les stories Instagram que sur Youtube, selon un choix typique de cette quatrième génération de talents numériques qui va utiliser le smartphone comme caméra-stylo et livrer une sorte de journal filmé à l’appui de la créativité visuelle programmée par les applications de messagerie sociale 23. Dans les commentaires de la vidéo de cette très jeune youtubeuse (15 ans en 2019) consacrée aux préjugés la concernant dont celui selon lequel elle n’irait jamais en cours, «Je ne vais plus à l’école 24 ?!» – l’autre grande thématique de ce corpus, comme si la célébrité était incompatible avec la méritocratie scolaire, thématique qui demanderait une étude à part entière – ce sont les qualités personnelles qui sont mises en avant, la dimension authentique dévoilée enfin sous des apparences de cover-girl trop vite grandie à l’ombre des shooting Instagram.

              Je trouve que tu renvoie un peu une image hautaine sur tes photos instagram, mais dans tes vidéos heuuuu omgaad tu renvoie carrément le contraire, vraiment un sucre.

              Au début j’avais une mauvaise image de toi car je trouvais que comme certains haters : “Tu t’affichais trop”, “Tu fais trop la meuf en mode : Je suis la plus belle et tout” mais finalement je m’aperçois que tu as une personnalité en or. Paola reste comme tu es, change pour personne mais par contre ne t’affiche pas trop sur Insta car je te rappelle ton âge, tu as 14 ou 15 ans. Et les pédophiles et les hypocrites que j’ai vu sur ma jeune carrière… je ne peux plus les compter.

              J’ai l’impression qu’en décrivant ta personnalité tu décris la mienne c’est ouf.

              J’aime vraiment comment tu t’exprime et je te trouve vraiment honnête, “sans filtre” continue je t’aime beaucoup.

              Coucou Paola (je suis une fille noire) j’ai bientôt 24 ans ds quelques jours et je te suis quand même oui oui !! Tu es très très inspirante pour moi (ta vie familiale, professionnelle et ta beauté) comme tous hein nous avons des défauts d’ailleurs ceux que tu possèdes certaines personnes proches ou moins proches de moi m’ont dit que j’avais les mêmes (impulsive lunatique et ça part 3 min âpre) mais ça c’est pck nous sommes des personnes très entières en tt cas Je suis agréablement surprise de toi En plus d’être belle intelligente non vulgaire et superficielle tu possède une grande sagesse humilité et un vocabulaire très large pour ton âge !!! C’est tout à ton honneur !!! En espérant que les méchants commentaires non constructifs te passent au dessus pour toujours continue ce que tu fais !! continue d’inspirer les gens continue de rêver… sans faux pas hein. Prend soin de toi que Dieu te bénisse ds tt les domaines de ta vie toi et ta famille.

              L’hypothèse de « l’authenticité réflexive» – empruntée au philosophe Alessandro Ferrara – que nous avions formulée et qui se définit comme la validation entre pairs de cette logique d’individuation expressive, semble désormais valorisée par l’économie créative des talents 25. Transposant le modèle de jugement esthétique au domaine de la philosophie morale, Ferrara propose de juger un cas individuel en termes d’exemplarité : l’expressivité, s’alliant à la singularité, se trouve reconnue dans sa généralité comme un modèle digne d’admiration. Au travers des vidéos, notamment au format type vlog consistant à filmer le cours de la vie quotidienne, ou au travers des faq permettant de répondre aux questions envoyées par les abonnés, le youtubeur ou la youtubeuse émet en quelque sorte une prétention à l’authenticité en « performant » qu’il ou elle est un individu unique et original et qu’il ou elle veut être jugé en tant que tel. En tant que prétention à la validité expressive, l’authenticité porte une revendication quasi artistique suivant l’extension de la logique culturelle du talent dans le champ de la création numérique. Elle est soumise à un jugement réfléchissant ou encore un jugement de goût qui suppose d’évaluer la prétention à l’authenticité en examinant si la vidéo exprime de façon exemplaire la singularité du youtubeur ou de la youtubeuse 26.

              Le talent médiatique : la culture de la "micro-célébrité"

              La reconnaissance entre pairs obtenue par la mise en adéquation d’un soi exprimé et d’une individualité, telle que la postule l’hypothèse « d’authenticité réflexive », se trouve secondée, au sein de l’économie créative des talents numériques, par la culture de la «micro-célébrité», version contemporaine de la logique de la célébrité qui naît au xviiie siècle en parallèle de la figure élective du talent, voire du «génie». Antoine Litli montre comment la célébrité devient, à la seconde moitié du xviiie siècle, un phénomène médiatique qu’il convient de corréler avec les nouvelles formes de visibilité disponibles au sein de l’espace public des Lumières. Celui-ci se structure en effet autour d’ouvrages et de revues favorisant les premières interactions à distance dont les «super-publics» d’internet ne sont que la continuation numériquement instrumentée. La célébrité sup pose d’être un talent à la fois au sens d’une individualité singulière qui se manifeste à travers ses travaux mais également au sens médiatique, à savoir une «disposition qui permet à certains de se maintenir sous le feu de la rampe, d’attiser la curiosité du public» pour sa vie privée, ce qui suppose une capacité à la mettre en scène, à la théâtraliser, à la performer. Ainsi vont coexister deux figures du succès et de la reconnaissance individuelle oscillant entre figure publique et vie privée. Il s’agit « d’une part, [de] la réussite par le talent, inscrite dans le droit par la Révolution, fondement idéologique de la société méritocratique articulant exigence d’utilité sociale et injonction au perfectionnement individuel. De l’autre, la célébrité recon naissance fondée sur l’exposition médiatique et la curiosité publique 27.»

              Cette compétence consistant à faire de sa vie une quasi oeuvre d’art exposée sur une scène socio-numérique et à développer ainsi une «sty listique de l’existence 28 » est précisément celle recherchée par les agents des talents numériques. Ces derniers partent ainsi en chasse d’une «personnalité médiatique.» Comme l’explique le fondateur d’un groupe média en ligne disposant d’une agence de talents numériques :

              Ce ne sont plus des youtubers mais des socialtubeurs. Des talents sociaux. Ils postent aussi des mini-vidéos sur Instagram ou Vine, des stories [histoires courtes à épisodes qui s’effacent] sur Snapchat, ils discutent et annoncent leurs événements sur Twitter, qui est leur courrier des lecteurs. Ils font de Facebook le siège social de leur mini-entreprise. Tous ces réseaux sociaux, ce sont autant d’accès directs à leur public. Les youtubeurs incarnent aussi un certain modèle de réussite démocratique. Alors que montent sur scène tant d’enfants d’acteurs et de chanteurs, eux ont démarré en tournant des vidéos dans leur chambre d’ado 29.

              Il faut cependant remarquer que si la scène Youtube représente un théâtre de performance identitaire, c’est un théâtre de poche disposant d’une multitude de scènes ; et les acteurs passent justement d’une scène à l’autre. L’âge du talent numérique relève plus précisément non pas seulement de la célébrité comme art de l’exposition médiatique mais également de la micro-célébrité, définie par Theresa Senft comme pas sage de l’audience aux communautés :

              Le concept de microcélébrité reprend la notion de célébrité instantanée de Warhol en ajoutant l’observation du musicien-blogueur Momus : «À l’avenir, nous serons tous célèbres à quinze personnes». En tant que pratique sociale, la microcélébrité change le jeu de la célébrité. La «célébrité à quinze personnes » associe auditoires et communautés, deux groupes qui exigent traditionnellement des modes d’adresse différents. Les publics souhaitent que quelqu’un leur parle ; les communautés désirent que quelqu’un parle avec elles. Les publics et les communautés requièrent également des participants qu’ils répondent à des codes sociaux différents. Si un membre de l’auditoire attire l’attention sur lui, il attire souvent la censure (« qui prend la place de la star ? »). Ce n’est pas le cas dans les communautés, où l’attention se déplace nécessairement d’un membre à l’autre. […] Ainsi la pratique de la micro-célébrité (que je définis comme cette activité dévouée au déploiement et au maintien de son identité en ligne comme s’il s’agissait d’un bien de marque avec l’espoir que les autres fassent de même) est passée des marges de l’internet à une pratique massive 30.

              La culture de la micro-célébrité contemporaine suppose d’identifier des « talents expressifs » que l’exposition numérique donne pour des «marques ». Une telle exposition va alors nourrir une économie de l’influence utilisatrice des plateformes numériques. Ces dernières sont caractérisées comme des entités bifaces ou multifaces, suivant la définition désormais classique de Jean-Charles Rochet et Jean Tirole. Elles fournissent des biens ou des services à des groupes distincts d’utilisateurs, jouent un rôle d’intermédiaire, diminuent fortement les coûts de tran saction et créent des effets croisés d’externalités positives valorisant tant les uns que les autres 31.

              Du talent expressif à l'influenceur : l'économie de la "topocratie"

              Ce « réseau conceptuel » articulant talent, originalité, créativité et expressivité a émergé, comme il vient d’être rappelé, avec la modernité culturelle. L’appréhension que celle-ci fait du talent s’associe à la culture numérique de la microcélébrité pour faire émerger une figure marchandisée des individus que l’on peut désigner comme «influenceurs». Dans cette économie des talents numériques, les valeurs culturelles des arts et des industries culturelles se trouvent étendues à tout un pan d’activités liées entre elles comme la publicité et le design mais également et désormais les plateformes socio-numériques 32 et leur économie d’intermédiation.

              Qu'est-ce qu'un talent ?

              Nous avons ainsi questionné plusieurs types d’acteurs socio-écono miques dont l’activité participe de l’économie de Youtube au regard de leur définition de la «valeur-talent», qui peut être considérée comme « l’or jeune », de différentes entités entrepreneuriales utilisatrices de la plateforme Youtube. Nous avons cherché à comprendre comme étaient transformées des individualités en marques au service d’autres marques par le biais d’une reconnaissance de nature marchande et compétitive.

              Comme l’explicite cette jeune startupeuse, co-créatrice de Youdéo curation de chaînes de vidéos Youtube incubées un temps à Station F34, : «Un talent ? C’est la cohérence entre propos et personnalité. Il y a un problème d’éthique dans le mimétisme des formats. Il faut rechercher l’originalité 33.»

              Cet article se propose d’apporter une contribution documentée aux études digitales de la thématique du talent, sans pour autant prétendre épuiser cette dernière qui concerne désormais l’ensemble du monde du travail, notamment du fait de la «talentification du management» (Pierre-Henri Menger 1). Il s’appuie pour ce faire sur un corpus de vidéos, ainsi que sur les commentaires associés, postées par de jeunes célébrités d’internet qui ont connu une carrière d’influenceur 2.

              Pour ce faire, une partie de l’activité de la startup consiste à faire de la veille sur des blogs et des vidéos pour détecter des talents aux contenus qualitatifs dans les domaines de la culture, des jeux vidéo et des sciences et de donner à individus talentueux la possibilité de vivre de leur passion 34. Pour C., qui gère les talents d’un média en ligne destiné aux 18-30 ans :

              Un talent c’est avoir du potentiel, être positif, représenter une individualité avec laquelle on peut travailler. Dans une talent house, il ne peut y avoir deux talents qui se ressemblent. Il faut mettre en avant son caractère unique, être différencié Ma fonction est d’accompagner les talents au quotidien pour travailler avec les marques (cible, budget, date). On réalise de la valorisation native, c’est-à-dire une publicité qui n’en a pas l’air. On joue avec les talents comme des relais des marques pour relayer des opérations publicitaires avec différents points de vue avec comme impératif de ne pas trahir la communauté de l’influenceur. Un partenariat va de 140 000 euros mais en moyenne c’est 3 000 euros. Cela consiste en un placement en sponsoring dans une vidéo dédiée : la marque paye pour la production vidéo sans apparaître forcément pour la vidéo. Une autre partie de mon temps de travail est du conseil aux agents en tant qu’agents pour ne pas casser les prix idée de maintenir une grille de prix. Mon rôle est enfin est de «donner des conseils » à ces jeunes talents influenceurs car ils mènent une vie d’adolescents confrontés à un monde d’adultes. «Tu es un chef d’entreprise », je leur dis souvent et c’est ma façon à moi de les faire grandir. C’est un monde d’adultes et le talent est comme une proie avec des prédateurs (marques, agents) c’est tout ce système professionnel qui les brosse dans le sens du poil et leur dit « t’es génial, je vais changer ton monde, je vais te permettre d’être une star de cinéma». Parfois les parents sont un peu envahissants : ils veulent être l’agent de leurs enfants et ce n’est pas toujours bon. Il y a des mineurs sous contrat, donc, parfois le chèque qu’ils touchent c’est le salaire des parents de toute une année. Ce sont des influenceurs sous influence 35.

              L’entretien avec cette professionnelle de l’économie des talents numé riques nous engage vers une prise en compte du talent non pas seulement du point de vue de la singularité expressive et de la valorisation qui peut en être faite par les jeux d’acteurs intermédiés par des plateformes, mais également du point de vue des mutations du travail et de la mise en place d’un égoentreprenariat. Ce «langage des talents» (John Carson) se diffuse, en effet, de façon toute contemporaine dans le monde du tra vail en général et dans le secteur du management en particulier ainsi que nous l’avons entendu de cette directrice des ressources humaines d’un groupe international de publicitaire, dont le poste est également intitulé Chief Talent Officer 36 :

              Dans notre groupe, un talent cela peut être un créatif comme une comptable. J’ai été embauchée comme drh avec une formation de juriste car je savais comment faire entrer les gens et les faire sortir. Maintenant mon job consiste à garder les talents. En France, « ressources humaines » est devenu «capital humain ». Dans la culture anglo-saxonne depuis quinze ans on parle de talent officer. C’est une vision plus dynamique que la simple gestion des ressources humaines. Dans nos industries, on ne vend que des idées (stratégies, consultations) donc notre ressource première ce sont les gens dont on doit chercher les talents d’où la nécessité d’anticiper les risques et de mettre en place un programme de talents. Comment s’assurer de la loyauté du talent ? Comment construire une stratégie d’entreprise pour les talents ?

              Cette logique de «talentification» renvoie à un mouvement plus global de culturalisation du monde du travail dans le cadre d’un «capitalisme cognitif et affectif » qui suppose que le travailleur se produise comme sujet doté d’une subjectivité et d’une expressivité 37. Mais comme le suggère Pierre-Michel Menger, cette « talentification » du monde du travail pose la question de savoir « comment procéder à une évaluation des oeuvres et des personnes quand la compétition entre elles est gouvernée par l’impératif d’originalité qui pousse à la différenciation illimitée et que rien ne peut en toute logique, être tenu pour commensurable dans un tel espace de différenciation 38.» C’est pourquoi, poursuit-il «la valorisation du talent et de la créativité place assurément l’individu et la performance individuelle au centre du jeu 39.» D’où la mise au point d’épreuves et de compétitions dans des domaines où la réussite est incertaine comme le sport, l’art ou la culture.

              La topocratie ou la réinvention du starsystem

              Cette mise en concurrence des talents s’observe de façon paradoxale en milieu numérique, ce qui nécessite des sciences humaines et sociales qu’elles renouvellent leur appréhension du social, de l’individu et du collec tif. L’hypothèse du «phénomène collectant» formulée par Bruno Latour, Pablo Jensen, Tommaso Venturini, Sebastian Grauwin et Dominique Boullier 40 nous y invite avec pertinence. Selon ces auteurs, l’individu doit désormais être conçu comme un « centre de calcul » car plus un profil est individualisé, plus il est singulier ; plus il est connecté, plus il est étendu. Sur le terrain du numérique, « grand » veut dire plus « connecté», ce qui explique comment, dans cette économie des talents, des micro-célébrités deviennent influentes. Grâce à des techniques de recommandations algorithmiques, ces figures sélectionnées pour leur capacité à créer une communauté de fans sont ensuite instrumentées afin de constituer des carrefours d’audienciation 41. Un chercheur en informatique, Cesar Hidalgo, a, de son côté, démontré à travers l’analyse de graphes sociaux d’influenceurs que, loin de représenter une méritocratie, la construction socio-technique de l’influence délimite une « topocratie » fondée sur la concentration de noeuds de réseaux par quelques hubs et dont le schéma en forme d’étoile rappelle le principe du star-system 42. Un instagrammeur influent dans le domaine de la photographie mobile, Neriad, expliquait ainsi : «Je suis resté deux ans sur cette liste de recommandation, c’est presque effrayant. Quand on est suggéré, l’audience est gonflée, il y a des spams, des bots. La machine se nourrit elle-même car plus on est exposé plus on est suivi 43.»

              La topocratie est donc un avatar numérique du star-system. Elle suppose des technologies de sélection et de classement qui permettent de fixer par exemple des échelles de prix des prestations au sein du mer cato des talents comme indiqué plus haut par la manager d’une talent house de micro-célébrités influentes. L’une des technologies sociales employées par les acteurs de cette économie des talents numériques qui délimite in fine une topocratie est constituée par « l’appariement assortif ». Pierre-Michel Menger fait relever cet appariement assortif d’une « écologie sélective » consistant à associer des talents pour mul tiplier les retours sur investissement 44. Notre corpus fourmille de tels appariements assortifs qui se manifestent à travers les apparitions et les participations de youtubeurs ou de youtubeuses qui peuvent par ailleurs appartenir à différentes agences. Ils sont signalés par le terme « ft » marquant la présence au générique d’un youtubeur ou d’une youtubeuse alliés.

              Ainsi, Lucas Dorable vient tourner dans une vidéo de Lena Situations («On échange nos styles 45 »). Les deux youtubeuses imitent mutuelle ment la façon que chacune d’elles a de se maquiller. Cette vidéo est l’un des plus vues de la chaîne de la jeune fille. Notons par ailleurs que les deux protagonistes sont sous contrat avec la même agence à l’heure où nous écrivons ces lignes. Ces échanges de bons procédés de maquillage forment également un échange de communautés de fans, comme l’attestent certains commentaires :

              Le duo iconic tant attendu.

              Un vrai duo d’enfer. On adore . À refaire absolument.

              Ptn meilleur collaboration ever

              Yaaaaaaaaaaaaaaaaas !!!!!!! Lucas is back on the Lena's Game  (je sais pas trop si c’est anglais mais c’est pas grave). Vous me tuez tout les deux à chaque fois !

              Une manifestation de cette stratégie des appariements assortifs consiste également à inviter d’autres youtubeurs ou youtubeuses influents lors d’un voyage professionnel qui « se transforme en un voyage fou entre potes ! ». Cette stratégie offre surtout la possibilité de citer, dans le paratexte de la vidéo, les comptes Instagram des participants. En effet, si Youtube est à la fois scène et place de marché, ces comptes pourraient être analysés comme leurs coulisses. Ceci apparaît notamment à travers l’usage du format « story » d’Instagram, qui renouvelle le journal intime. Ces comptes permettent ainsi de filmer la vie quotidienne de la célébrité. Les appariements peuvent prendre également la forme d’apparition dans les vlogs des uns et des autres. Par exemple, un invité de passage entre dans le champ de la vidéo, sans prendre la parole. Un tel artifice favorise la mise en scène d’une bande de copains formée par ces youtubeurs influents, bande à laquelle les fans peuvent participer depuis leurs écrans. Se forme alors l’une de ces drôles de rencontres entre youtubeurs qui se questionnent au fil de leurs vidéos sur ce qui les ras semble et les distingue. C’est notamment le cas du trio Sulivan Glew, Sparkdise et Bilal Hassani, qui multiplie les performances de coming out de bisexualité et autres révélations queer. On y voit par exemple Sparkdise 46 insister sur le collectif comme une sorte « d’association de bienfaisance 47…» Cette formalisation de la «génération licorne vue par elle-même» vient cependant camoufler une stratégie économique sous un vernis socio-psychologisant.

              À l’âge des talents numériques, l’originalité et l’expressivité sont donc aussi « des leviers d’une conception exclusive, hiérarchique et éliminatoire, des qualités individuelles 48. » Le travail créatif rend pos sible une auto-réalisation individuelle revendiquée par ces youtubeurs qui gagnent leur vie à être eux-mêmes comme elles ou ils l’énoncent parfois explicitement. C’est le cas de Léna Situations qui, interrogée sur sa réussite par le site Au féminin, confie qu’elle n’a jamais su choisir entre ses différents centres d’intérêt, la mode ou la communication. Elle précise qu’en tant que « youtubeuse influenceuse » elle s’épanouit car elle a créé son entreprise. Et d’ajouter : « pour réussir dans ce milieu-là, tu es obligée d’être un couteau suisse, tu ne fais jamais qu’une seule chose à la fois, […] mon kif c’est qu’aucune journée ne se ressemble 49. »

              Ce rapport individualisant et hédoniste au travail qui est exprimé par cette jeune influenceuse (c’est «mon kif ») et cette revendication de compétences diverses (je suis un «couteau suisse») peuvent faire écho, dans une version relevant du témoignage, à des études sur la réalisation de soi entendu comme «art de faire soimême ». C’est la démarche d’un Richard Sennett ou d’un Mathieu Crawford qui revalorise par exemple le rôle de l’artisan ou interroge le sens et la valeur «travail» dans le monde contemporain 50. Dans ce régime de l’égo-entreprenariat, le travail du youtubeur et de la youtubeuse consiste «à être soi-même», c’est-à-dire un être original, expressif, créatif, bref un talent reconnu comme un « copain modèle » par les autres, mais aussi comme un « élu » parmi d’autres par les acteurs de l’économie de l’influence plateformisée. La jeunesse de ces youtubeurs qui, au cours de leurs études, se lancent dans la carrière d’influenceurs après avoir été reconnus comme talents et repérés comme micro-célébrités, explique également pourquoi tant de vidéos abordent la question des choix de vie, à l’instar de « L’argent sur Youtube », cette vidéo canonique de la chaîne Le rire jaune. Dans une activité où «mon salaire dépend de mon nombre de vues», l’un des frères du duo Le Rire Jaune, en dernière année d’école d’ingénieurs à l’époque du tournage, se pose – et pose à ses fans – une interrogation existentielle : «Dois-je finir mes études d’ingénieur ou continuer à faire des vidéos ?» Cette question ouverte depuis 2015 suscite des milliers de commentaires significatifs quant aux représentations du travail au sein de la « génération licorne 51 ». Cette vidéo a donné lieu à 24 457 commentaires depuis quatre ans et continue à inspirer des internautes avec ce type de réponses :

              Tu devrai continuer tes études et devenir ingénieur et faire quelque vidéo de temps en temps quite à ce qu’elle soit pas d’une qualité de ouf.

              Tu peux faire ingénieur et youtubeur ?

              Je regarde cette vidéo en 2019 mais je te conseil te faire ingénieur et une vidéo de temps en temps.

              Ingenieur ca vaut mieux.

              Moi je dit essaye d’avoir un travail bien rémunéré mais qui te laisse du temps pour t’es vidéo comme ca tu est content et ta un parachute toujours la et je t’encourage a faire des placements car en plus comme ca tu vois les vrais et les faux abonné commentaire écrit en 2018 par un mec de 13 ans donc dsl pour les faute.

              Je sais pas car c sur que pour toi c important d’avoir un bon métier mais ce serait trop d’hommage qu’il n’y est plus de rire jaune.

              Formes de reconnaissance institutionnelle : le retour de la vertu et de l'utilité sociale dans un monde incertain ?

              Cet article a, jusqu’à présent, décrit des formes de reconnaissance du talent expressif que représentent un youtubeur ou une youtubeuse influents, talent à la fois interne à la communauté de la micro-célébrité et caractéristique de l’économie créative de la plateforme. Ce faisant, l’histoire de la notion de talent passant d’un premier usage culturel à un second usage managérial a été ici résumée depuis l’âge romantique jusqu’à l’époque du capitalisme affectif qui voit émerger les notions de «micro-célébrité » et d’«influenceur ». Une success story dans le monde merveilleux des youtubeurs 52 emprunte donc à la fois au talent, à la micro-célébrité et à l’influence impliquant que le circuit de la marchandisation de la subjectivité exprimée de manière créative s’accomplisse jusqu’au devenirmarque des individualités. Coexistent donc, au sein de l’économie numérique des talents, pour reprendre les mots de l’historien Antoine Lilti :

              ces deux figures du succès : d’une part, la réussite par le talent, inscrite dans le droit par la Révolution, fondement idéologique de la société méritocratique articulant exigence d’utilité sociale et injonction au perfectionnement individuel. De l’autre, la célébrité reconnaissance fondée sur l’exposition médiatique et la curiosité publique. Le talent est soutenu par des institutions avec des épreuves formalisées de sélection et la seconde repose sur la culture populaire et médiatique avec des mécanismes mystérieux voire arbitraires 53.

              Il nous faut cependant nuancer les conclusions de l’historien de la célébrité en précisant d’une part, que la culture algorithmique que met en forme l’économie créative des plateformes est venue rationaliser le caractère irrationnel de la célébrité à travers la configuration topocratique, comme nous l’avons indiqué plus haut. D’autre part, la topocratie n’élimine pas la reconnaissance méritocratique des microcélébrités influentes en tant que talents légitimes. En effet, des formes traditionnelles de reconnaissance par le concours se trouvent ré-institutionnalisées avec la création d’une commission «Talent » du Centre national de la cinématographie français. Un fonds d’aide aux créateurs vidéo sur internet (cnc Talent), dédié aux projets d’expression originale française en première diffusion gratuite sur internet, a été créé en 2017. Il comporte deux aides sélectives avant réalisation. Une aide à la création, allant jusqu’à 30 000 euros, pour les créateurs vidéo ayant au moins 10 000 abonnés ou ayant été primés dans un festival au cours des cinq dernières années. Une aide à l’éditorialisation des chaînes, allant jusqu’à 50 000 euros, pour les créateurs vidéo ayant 50 000 abonnés ou plus. Ces aides sont attribuées sur avis d’une commission composée de dix membres (créateurs, producteurs, entrepreneurs du web…). La commission se réunit cinq fois par an et se trouve présidée par l’artiste JR, célèbre pour avoir exposé notamment des photographies des visages de gens ordinaires au Panthéon. Elle comprend également le pionnier des youtubeurs, Cyprien. Si l’on étudie les lauréats de ce concours «Talents CNC», on remarque le peu de présence de vidéastes lifestyle ou beauté. Ce sont bien plutôt les genres culturels et scientifiques qui sont récompensés, à l’image de la consécration de trois cent cinquante chaînes Youtube proposées par le Ministère de la Culture 54. Lors de la commission du 21 février 2019, le vidéaste Clément Montfort, auteur d’une websérie documentaire sur la mouvance collapsologiste 55 a pu obtenir une aide à la création 56. D’autres vidéastes proches de cette inspiration, comme la chaîne Tout le Monde s’en fout, ont également été aidés. On observe que ces youtubeurs se trouvent engagés vers des mobilisations vidéo autour de la crise climatique. Ils ont ainsi collaboré à la vidéo chorale de lancement de l’initiative « Il est encore temps 57 » ainsi qu’à un manifeste pour le développement d’actions en faveur du climat plus radicales, à l’image du mouvement anglais Extinction Rebellion. Cette légitimation de youtubeurs engagés dans des problèmes publics par le fonds «Talent cnc » rappelle ici les vertus démocratiques du talent, « son utilité sociale 58 » . Et pendant que, une fois obtenu son diplôme d’ingénieur en 2016, Le Rire Jaune poursuit son travail de youtubeur, pour « vivre de sa passion », d’autres ingénieurs font parler d’eux, tel cet élève de l’école Centrale Nantes dont le discours de remise de prix a donné lieu à une vidéo virale dans laquelle il explique que sa génération ne travaillera pas à refaire le monde mais à en vivre la fin et que son diplôme n’a guère de sens dans ce contexte 59 :

              Comme bon nombre de mes camarades, alors que la situation climatique et les inégalités ne cessent de s’aggraver, que le Giec (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat) pleure et que les êtres se meurent : je suis perdu, incapable de me reconnaître dans la promesse d’une vie de cadre supérieur, en rouage essentiel d’un système capitaliste de surconsommation. Quand sobriété et décroissance sont des termes qui peinent à s’immiscer dans les programmes centraliens, mais que de grands groupes industriels à fort impact carbone sont partenaires de mon école, je m’interroge sur le système que nous soutenons. Je doute, et je m’écarte.

              Ce discours de défection par l’un de ces « loyaux critiques», comme les désigne la sociologue Cécile Van de Velde 60, que sont ces ingénieurs et autres diplômés d’écoles de commerce qui renoncent à des carrières de cadres est peut-être l’annonce d’un nouveau talent, celui de savoir vivre dans « les ruines du capitalisme» (Anne Lowenhaupt Tsing 61).

              Laurence Allard Université Lille 3 Université Sorbonne nouvelle (Ircav)

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              1. Pierre-Michel Menger, «Le talent et la physique sociale des inégalités», in Pierre-Michel Menger (dir.), Le talent en débat, Paris, PUF, 2018 p. 15.

              2. Ce corpus comporte les vidéos postées sur Youtube d'influenceurs qui sont sous contrat dans deux agences les mettant en relation avec des marques. Deux d'entre eux apparaissent chez AdCrew : Lenamahfouf (20 ans) (592 573 abonnés) ; LucasAdorable (19 ans) (408 844 abonnés) et deux autres chez Follow : PaolaLct (15 ans) (495 850 abonnés) et Sulivan Gwed (18 ans) (1 676 061 abonnés). Nous citerons également Bilal Hassani, Sparkdise et Gloria_Nbr que l'on retrouve dans les contenus des uns et des autres. Ces bandes et ces teams font partie de la deuxième et de la troisième génération de youtubeurs célèbres en France ayant ouverts leur chaîne entre 2013 et 2015 quand Norman et Squeezie l'effectuaient en 2011, quelques années après le pionnier Cyprien qui s'est lancé en 2007 alors que Youtube n'avait alors que deux ans d'existence.

              3. «Un réseau multichaîne, réseau de chaînes ou network (de l'expression anglaise multi channel network, donnant le sigle mcn) est une entreprise travaillant conjointement avec les sites de partage de vidéos (par exemple, Youtube) et proposant aux vidéastes des services ayant trait à la monétisation et la promotion de contenus, à la gestion des droits, à l'aide au développement et aux relations avec les annonceurs et partenaires commerciaux, en échange d'un pourcentage sur les revenus de leur chaîne. En termes de chiffres d'affaires et de vues associées à leurs chaînes, Webedia, Finder Studios, Wizdeo, Maker Studios, BroadbandTv, Machinima, Fullscreen, Divimove et Brave Bison se comptent parmi les plus importants networks. » source Wikipédia.

              4. Ainsi, en 2018, 56% des élèves de 5e sondés font usage des réseaux sociaux pour regarder des vidéos, 40% pour partager des photos et des vidéos, 27% pour suivre des célébri tés. La volonté de s'informer est faible : seuls 13% s'y informent sur l'actualité et 4% partagent des liens et des articles. Chiffres de la troisième édition du baromètre «Born Social» de l'agence Heaven, en partenariat avec l'association Génération numérique.

              5. Sur cette notion voir Philippe Bouquillion, «Industries, économie créatives et technolo gies d'information et de communication », tic&société, vol. 4, no2, 2010. https ://journals. openedition.org/ticetsociete/876.

              6. Pierre-Michel Menger, op. cit., p. 25.

              7. Comme l'atteste l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen : «Tous les citoyens, étant égaux aux yeux de la loi, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.»

              8. Pierre-Michel Menger, op. cit., p. 32.

              9. Les sources du moi. La formation de l'identité moderne, Paris, Le Seuil, 1998.

              10. Laurence Allard, «Express Yourself 2.0. Blogs, podcasts, fansubbing, mashups… : de quelques agrégats technoculturels à l'âge de l'expressivisme généralisé » in Éric Maigret et Eric Macé (dir.), Penser les Mediacultures, Paris, Armand Colin/ina, 2005.

              11. «En parlant de "super-publics", je veux parler de l'état modifié des publics – à quoi ressemblent les publics lorsqu'ils sont imprégnés des caractéristiques des architectures numériques ? Que signifie parler à travers le temps et l'espace à un public inconnu ? Que se passe-t-il lorsque vous ne pouvez pas prédire qui sera témoin de vos actes car ils ne sont pas visibles maintenant, même s'ils le seront demain ? Comment les gens apprennent-ils à traiter avec un public plus large et plus diversifié que celui qu'ils ont appris à comprendre adolescents ? Comment les adolescents sont-ils affectés par le fait de grandir dans un environnement où ils peuvent assumer des super-publics ? Je veux parler de ce que signifie parler pour tous les temps et tous les espaces, devant des publics que vous ne pouvez pas conceptualiser.» «Super Publics», Apophenia Blog, 22 mars 2006 (traduction de l'auteur).

              12. Ainsi C., 36 ans, gère la « talent house » d'un groupe média internet pour la cible des 18-30 ans. Elle raconte comment elle a eu à gérer le cas d'une vidéo traitant de singe la Youtubeuse noire Mademoiselle Gloria puis le piratage de son compte Instagram. « J'ai pris contact avec Youtube et autres réseaux sociaux. Le conseil que je donne à nos talents par rapport aux haters, c'est de se déconnecter. Je leur donne aussi d'autres conseils car ils mènent une vie d'adolescents confrontés à un monde d'adultes. C'est un monde d'adultes et le talent est comme une proie avec des prédateurs (marques, agents) c'est tout ce système professionnel qui les brosse dans le sens du poil et leur dit "t'es génial, je vais changer ton monde, je vais te permettre d'être une star de cinéma !". » Entretien réalisé le 30 janvier 2018 à Paris.

              13. «Comment avoir confiance en soi ? nos anecdotes ! || Léna Situations feat. Bilal Hassani & Sparkdise» (https ://www.youtube.com/watch ?v=q2fpcFBgZXA, ajoutée le 27 mars 2019).

              14. Lucas dorable / faq : / clash / androgyne / bac / (https ://www.youtube.com/ watch ?v=xXfmUAO0LLY, ajoutée le 23 juillet 2017).

              15. https ://www.youtube.com/watch ?v=1UvBZi-QJxM, vidéo ajoutée le 27 juin 2018.

              16. Ce qui suppose que le maquillage des jeunes youtubeuses beauté représente l'étalon du genre.

              17. Allusion à une célèbre vidéo d'une youtubeuse pionnière, Natoo, « La chanson des licornes » (2014, https ://www.youtube.com/watch ?v=a021WhobrLc), qui a popularisé notamment un type de déguisement-travestissement emblématique, selon nous, de la norme socio-numérique qu'est devenue la singularisation individuelle comme nous le discutons dans ce paragraphe.

              18. Ils sont reproduits ici avec leur graphie propre, sans que la mention «sic » ne vienne à chaque fois stigmatiser leur spécificité ou impropriété.

              19. «Comment avoir confiance en soi ? nos anecdotes ! || Léna Situations feat. Bilal Hassani & Sparkdise » (https ://www.youtube.com/watch ?v=q2fpcFBgZXA&t=53s, ajoutée le 27 mars 2019), avec plus de mille commentaires en avril 2019.

              20. Antoine Lilti, Figures publiques, l'invention de la célébrité (1750-1850), Fayard, Paris, 2014.

              21. Antoine Lilti, « Faut-il du talent pour être célèbre ?» in Pierre-Michel Menger, op. cit., p. 108.

              22. Antoine Lilti, op. cit., p. 119.

              23. Instagram complète la scène et place de marché que représente Youtube en proposant à la fois des posts comme des photographies interactives de magazines grâce à des fonc tionnalités comme le «swipe up » et le «tap » mais également des séquences de vie avec les stories d'une durée d'une journée. Voir Laurence Allard, «Des mobiles, des apps et autant de nuances d'images », Théorème, no 29, Mobiles : enjeux artistiques et esthétiques, Presses universitaires de la Sorbonne nouvelle, 2018.

              24. https ://www.youtube.com/watch ?v=5LZHnM6TgwA. Commentaire en date du 3 avril 2019.

              25. Alessandro Ferrara, Reflective authenticity. Rethinking the Project of Modernity, Routledge, Londres, 1999.

              26. Laurence Allard, Frédéric Vandenberghe, « Entre légitimation technopolitique de l'individualisme expressif et authenticité réflexive peer to peer», Réseaux, no117, 2003.

              27. Charles Litli, op. cit., p. 126-132.

              28. Michel Foucault, «À propos de la généalogie de l'éthique », Dits et écrits, 1954-1988, vol. 4, Gallimard, Paris, p. 609-632.

              29. Alexandre Malsch, créateur du groupe media pure player Melty, entretien Le Monde/ Pixels, 8 mai 2015.

              30. Theresa Senft, «Micro-celebrity and the Branded Self », in Jean Burgess et Axel Bruns (eds), Blackwell Companion to New Media Dynamics, Blackwell, Londres, 2012.

              31. Jean-Claude Rochet, Jean Tirole, «Platform Competition in Two-Sided Markets», Journal of the European Economic Association, vol. 1, no4, 2003, p. 990-1029.

              32. Voir Phililppe Bouquillion, Bernard Miège, Pierre Moeglin, L'industrialisation des biens symboliques : les industries créatives en regard des industries culturelles, pug, Grenoble, 2013.

              33. Laetitia Chatillon, entretien réalisé au festival NéoCast 2016, consacré aux youtubeurs scientifiques et culturels, Strasbourg, le 24 avril 2016.

              34. Laetitia Chatillon, entretien cité.

              35. Entretien réalisé le 30 janvier 2018 avec C. qui gère les influenceurs de la talent house d'un groupe média en ligne à destination des 18-30 ans et qui a tenu à rester anonyme.

              36. Entretien réalisé par téléphone le 14 août 2016.

              37. On peut citer les travaux de Yann Moullier-Boutang, Le capitalisme cognitif : la nouvelle grande transformation, Éd. Amsterdam, Paris, 2008 ; Michael Hardt, «Affective Labor», Boundary 2, Duke University Press, vol. 26, no 2, p. 89-100 ou Yves Citton, Pour une écologie de l'attention, Le Seuil, Paris, 2014. Voir aussi la synthèse pour le champ des sciences de l'information et de la communication de Fabienne Martin-Juchat, «Le capitalisme affectif : enjeux des pratiques de communication des organisations», in Sylvie Parrini Alemanno (dir.), Communications, organisationnelles, management et numérique, L'Harmattan, Paris, 2014.

              38. Pierre-Michel Menger, op. cit., p. 29.

              39. Pierre-Michel Menger, op. cit. p. 30.

              40. Bruno Latour, Dominique Boullier et alii, «Le tout est toujours plus petit que ses parties. Une expérimentation numérique des monades de Gabriel Tarde », Réseaux, no177, Politiques des algorithmes, 2013.

              41. Voir Laurence Allard, op. cit., 2018.

              42. Cesar A. Hidalgo et al., «To Each According to its Degree : The Meritocracy and Topocracy of Embedded Markets », Nature, janvier 2014. On peut également citer sur la topographie du web les travaux de Roger Bautier, notamment «Les réseaux de l'internet : des artefacts bien (trop) vivants», Les Enjeux, 2007. https ://lesenjeux.univ-grenoble-alpes. fr/2007-meotic/Bautier/home.html.

              43. Propos tenus lors d'une rencontre-débat que nous avons organisée le 29 avril 2015 dans le cadre des activités du groupe «Téléphone mobile et Création» et transcris dans Laurence Allard, «Des mobiles et des apps : 50 nuances d'image », Théorème, no 29, «Mobiles : enjeux artistiques et esthétiques», Presses de la Sorbonne nouvelle, 2018.

              44. Pierre-Michel Menger, op. cit., p. 77.

              45. Vidéo tournée le 8 avril 2019.

              46. «Notre génération : mise au point» (en date du 3 avril 2019).

              47. Que l'on peut résumer par le slogan «+=+» de Lena Situations, c'est à dire que positif = positif, un esprit positif amène des choses positives.

              48. Pierre-Michel Menger, op. cit. p. 24.

              49. Lena Mahfouf : le parcours de la femme de toutes les situations ! en date du 24 décembre 2018. Le texte de présentation de la vidéo explique ainsi que «Lena Mahfouf est la femme de toutes les situations ! C'est bien pour ça que le nom "Lena Situations" lui va si bien ! Blogueuse, youtubeuse, instagrameuse, business woman, rien ne lui résiste ! En tout juste une petite année, elle est devenue l'une des influenceuses françaises les plus demandées. Elle revient sur son parcours, ses projets et sa méthode du +=+ dans son interview Success Story !»

              50. Richard Sennett, Ce que sait la main, Albin Michel, Paris, 2010 et Matthew B. Crawford, Éloge du carburateur, essai sur le sens et la valeur du travail, La Découverte, Paris, 2010.

              51. « L'argent sur Youtube » aux 9 534 937 vues (https ://www.youtube.com/watch ?v=GREO4tBLEm8, vidéo ajoutée le 29 avril 2015).

              52. Pour reprendre le titre d'un documentaire de Sylvie Deleule, 2018, Public Sénat-France

              53. Antoine Lilti, op. cit., p. 132-133.

              54. «Les chaînes Youtube culturelles et scientifiques francophones», Ministère de la Culture, 2018.

              55. Mouvance qui, à la suite de Yves Cochet ou Pablo Servigné, prévoit une fin proche de la civilisation thermo-industrielle. 56. Consulter les résultats de la commission du 21 février 2019.

              57.

              58. Charles Litli, op. cit., p. 131.

              59. «Discours Remise des Diplômes 2018 Centrale Nantes », https ://www.youtube.com/watch ?v=3LvTgiWSAAE (ajoutée le 4 décembre 2018). La vidéo est indexée sous le mot-clé #onestprêt qui fédère lui aussi des mobilisations d'actions climatiques.

              60. «Cette génération de jeunes ressent la finitude du monde », entretien dans Le Monde, 19 avril 2019. 61. Anna Lowenhaupt Tsing, Le champignon de la fin du monde, Sur les possibilités de vivre dans les ruines du capitalisme, La Découverte, Paris, 2018.

               

               

               

               

               

               

               

               

               

              An@é

              Un rapport proprement révolutionnaire

              5 jours 18 heures ago
              Le dernier rapport de l’IGESR[1] encense les services d’orientation et surtout les personnels. Mais son objectif n’est plus du tout l’orientation.…Au-delà de la saisine

              La saisine[2] porte sur des clarifications d’ordre administratives et techniques telles que le positionnement et l’articulation du PsyEn EDO avec les autres personnels, le rôle et le statut du Directeur de CIO, le positionnement du CIO, les difficultés de recrutement, les modalités d’accès aux fonctions de formateur académique, l’application du pacte, et « les évolutions administratives éventuellement nécessaires pour contribuer à une amélioration du service rendu par ces personnels ».

              Or, le rapport va bien au-delà de ces demandes.

              Il indique franchement une autre « orientation » de ces personnels. Alors que la saisine indique un « contexte de fragilisation de la santé mentale des élèves », le rapport en fait l’objectif ! Dès la première page, le rapport reformule : « Parallèlement, dans un contexte de fragilisation de la santé mentale des jeunes, s’affirme la nécessité de développer les compétences psychosociales des élèves et de mettre en place des protocoles et du secourisme en santé mentale, toutes dispositions qui appellent une expertise de psychologue et des interactions coordonnées avec les acteurs santé-sociaux de l’éducation nationale (médecins, infirmières, assistantes sociales). » (p. 1)

              Le statut des PsyEn EDO formulé sur la page du ministère[3] ne présente pas une telle préoccupation de la santé mentale des élèves. L’équilibre psychologique des élèves est une condition pour une orientation, pas un but.

              « La spécialité « éducation, développement et conseil en orientation scolaire et professionnelle » s’exerce auprès de collégiens, lycéens et étudiants.

              Sa mission est de contribuer à créer les conditions d’un équilibre psychologique des élèves favorisant leur réussite et leur investissement scolaires.

              Le psychologue de l’Éducation nationale « éducation, développement et conseil en orientation scolaire et professionnelle » accompagne les élèves et les étudiants dans l’élaboration progressive de leur projet d’orientation. En lien avec les équipes éducatives, il participe à la conception et à la mise en œuvre d’actions permettant l’appropriation d’informations sur les formations et les métiers et l’évolution de leurs représentations. Il contribue à l’élaboration de parcours de réussite des élèves en leur permettant de prendre conscience des enjeux de leur formation et de s’orienter vers une qualification visant leur insertion socioprofessionnelle. Il informe ainsi les élèves et leurs familles ainsi que les étudiants, et les conseille dans l’élaboration de leurs projets scolaires, universitaires et professionnels.

              Il porte une attention particulière aux élèves en difficulté, en situation de handicap ou donnant des signes de souffrance psychologique. Il participe également à la prévention et à la remédiation du décrochage scolaire. Le psychologue de l’Éducation nationale « éducation, développement et conseil en orientation scolaire et professionnelle » mobilise ses compétences sous l’autorité du directeur du centre d’information et d’orientation dans lequel il est affecté. »

              Vers une autre révolution copernicienne

              Dans son rapport, Jean Guichard[4] appelait à une approche copernicienne de l’orientation.

              En conclusion il écrivait : « Une transformation majeure apparaît donc nécessaire que l’image suivante peut illustrer : la vue prévalente en matière d’orientation scolaire est aujourd’hui ptoléméenne, centrée sur l’école comme l’était le système de Ptolémée sur la terre. Il apparaît nécessaire d’y substituer une vue copernicienne, supposant un décentrement et un autre ancrage. » (p. 54) Mais l’ancrage dont il parlait concernait bien la question de l’orientation. Aujourd’hui, il poursuit cette révolution[5] en l’étendant au « développement équitable et soutenable ».

              Le dernier rapport de l’IGERS propose également une sorte de révolution copernicienne, non pas pour l’orientation, mais pour les personnels. Il s’agit de fonder leurs actions non plus sur l’orientation (vision ptoléméenne) mais sur la santé mentale et le bien-être (vision copernicienne). Le statut du corps unique en posait les prémisses, mais en maintenant la spécificité et le territoire des PsyEn EDO, il n’allait pas jusqu’à prôner d’une certaine manière la coupure avec le service d’orientation du rectorat (DRAIO) comme semble l’envisager le rapport.

              Une révolution qui semble déjà acceptée

              Cette révolution copernicienne semble de fait déjà acceptée. En effet, il ne faut pas sous-estimer les préoccupations de la nouvelle génération de ces personnels qui représentent 30 % des effectifs actuellement et auxquels il faut ajouter un pourcentage équivalent de contractuels. Pour ces personnels, la question de l’orientation semble bien périphérique dans ses intérêts, ce qui peut sembler d’ailleurs normal, vu leurs formations et titres. Ils sont d’abord psychologues sur un emploi de PsyEn EDO, et la santé mentale et le bien-être est évidemment leur préoccupation première. Autrement dit la dynamique du corps va vers cette préoccupation de par sa constitution, ce que note d’ailleurs le rapport.

              Du côté syndical, à ce jour, il y a peu de réactions. Le SNES-FSU a publié un texte court[6], titré comme d’habitude sur le manque de moyens : Ne pas recruter ! Un interdit qui biaise les propositions ! FO a publié un communiqué[7] le 16 octobre 2023 indiquant ce qu’il avait défendu lors de son audition par l’IGESR : Non à la dénaturation des missions des PsyEN. Le SGEN avait publié le 16 décembre 2023 un texte, PsyEN et santé mentale des enfants et des jeunes[8].

              Du côté des associations, il n’y a pas, à ce jour de réactions au rapport lui-même.

              L’APSYEN s’est adressée le 16 mars 2024 à G. Attal[9], Premier ministre de la manière suivante :

              « Lors de votre discours de politique générale devant l’Assemblée Nationale, vous avez affirmé que s’agissant des enfants, des jeunes, et de la formation des futurs citoyens « l’Ecole est la mère des batailles » et souligné vos préoccupations quant à la santé mentale des jeunes, l’importance de les aider à se projeter dans l’avenir de façon positive.

              Vous omettez hélas les psychologues de l’Éducation nationale qui pourtant sont également en première ligne et qui de par leur qualification et leurs missions sont très sollicités sur cette question de la santé mentale. Cela a fortement choqué l’ensemble de la profession. »

              Le communiqué de presse du groupe d’organisations des Psychologues de l’Éducation nationale[10] s’inquiète également de ce silence du Premier ministre.  

              La présentation des Journées d’Étude de l’APSYEN, programmées à La Rochelle[11], s’ouvre ainsi : « Les enquêtes de Santé publique France font état en 2023 d’une dégradation de la santé mentale des Français et plus particulièrement des jeunes de 11 à 24 ans, tendance constante depuis 2020. Parallèlement, la préoccupation pour le bien-être des élèves dans notre système éducatif évolue de manière croissante, renforcée par des études confirmant son impact positif sur la réussite scolaire. Les luttes contre le harcèlement et les discriminations font l’objet de campagnes régulières pour soutenir cette volonté politique. »

              Jacques Vauloup (IEN-IO retraité, mais sans retrait comme il se présente sur son blog) affirme, dans son commentaire détaillé du rapport[12] :

              « Malgré tout, maigre consolation d’un texte insuffisant, le décret 2017-120 du 1er février 2017 rend possible-souhaitable-indispensable l’articulation entre une clinique psychologique dédiée au développement et au soutien d’un enfant-adolescent-jeune adulte scolarisé et une clinique de l’orientation pratiquée avec expertise par les PsyEN-EDO et leurs prédécesseurs depuis un siècle. » Et en conclusion, « les PsyEN (EDO et EDA) ne peuvent rester dans l’entre-deux actuel vide de sens, trop éloignés des écoles et des établissements scolaires où se trouvent au moins 80 % de leurs publics, et à ce point artificiellement dissociés en deux groupes professionnels alors qu’ils ne forment qu’un seul corps de psychologues de l’éducation nationale. »

              Le désengagement de l’État de l’aide à l’orientation se poursuit

              Nous signalons depuis longtemps ce désengagement de l’État[13]. Un exemple récent, l’attribution d’un label au réseau Information jeunesse qui permet de le positionner « comme l’un des acteurs de l’orientation des jeunes et contribue à favoriser l’égalité des chances. »[14] L’État réduit ses propres services d’orientation et promeut diverses associations et autres organismes subventionnés, mais aussi le mouvement du mentorat, sans oublier l’attribution de la compétence d’information professionnelle aux Régions par la loi de 2018. Tout ceci prépare, de fait, le terrain pour les services marchands dans ce domaine.

              Reste une interrogation lourde de conséquences

              Le 7 avril 2021, une proposition de loi visant à la création d’un ordre des psychologues[15], fut déposée par le député LR du Vaucluse Julien Aubert et un groupe de députés. Il s’agissait de pallier la pénurie de psychiatres hospitaliers dans un contexte de crise sanitaire liée à la pandémie de la Covid-19 aux conséquences de difficultés psychiques importantes chez les jeunes. Le 2 mai 2024, un autre groupe de députés Renaissance, cette fois-ci, emmené par Éric Poulliat, déposait une nouvelle proposition de loi sur le même objet[16], mais avec une autre formulation. Cette proposition est soutenue par l’ACOPsy, et inscrit franchement les psychologues dans le champ de la santé mentale. Ce projet de loi est combattu par le Syndicat national des psychologues : « Plus que jamais, le SNP soutient l’autonomie et l’indépendance de la profession, la pluralité des approches et refuse la paramédicalisation et l’assujettissement au pouvoir médical ! »[17]

              La préoccupation pour la santé mentale des adolescents est aujourd’hui largement partagée. Marie Lauricella, vient de rédiger un dossier pour l’IFE sur les souffrances adolescentes en rapport avec l’éducation[18]. Mais une petite remarque de sa part est à relever notamment : « Norwich et al. (2022) identifient un glissement de l’usage du terme de bienêtre dans le cadre scolaire vers celui de santé mentale, ou une utilisation indifférenciée des deux concepts, souvent accolés l’un à l’autre. Selon les auteur·es, la domination de l’intérêt pour la santé mentale peut être attribuée à un oubli et à un évitement de la réflexion sur les objectifs de l’école, sur la raison d’être des institutions scolaires et sur les modèles d’enseignement contribuant au bienêtre. » (p 5)

              Béatrice Mabilon-Bonfils, dans ses recherches,[19] avait identifié trois sources de souffrances ou de mal-être des élèves produites par la situation scolaire imposée, aujourd’hui, à la totalité d’une génération. « Pour la première fois dans l’histoire, avec l’élévation de la scolarisation obligatoire, la massification de l’enseignement secondaire (collège et lycée) et du premier cycle de l’enseignement supérieur, une part majoritaire et croissante d’une génération suit une scolarité longue. » (Lauricella, M. (2024) p. 8-9). On peut résumer ces trois sources ainsi :

              • La non-conformité entre la position sociale et les attentes et propositions scolaires
              • La tension à la réussite
              • Le cadre scolaire produisant de la souffrance

              Ces trois sources de souffrances ont un lien direct avec nos procédures d’orientation qui ont des effets sur l’inégalité sociale, qui sont fondées sur le principe méritocratique, et dont la temporalité n’est pas en rapport avec le développement psychique de chacun.

              Marie Lauricella, le formule ainsi :

              « Des souffrances scolaires ordinaires aux impératifs d’ascétisme des classes préparatoires, en passant par le harcèlement entre pairs, la pression sur la santé mentale des jeunes n’a jamais été aussi forte parce que le diplôme – dans une société très compétitive – est devenu incontournable en France pour réussir socialement et professionnellement. » (p 9)

              Ainsi, le retrait des PsyEn EDO du champ de l’aide à l’orientation risque bien d’avoir l’effet inverse de celui attendu et de concourir à une aggravation de la situation.

              Bernard Desclaux
              Article publié sur le site : https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2024/05/07/un-rapport-proprement-revolutionnaire/

               

              [1] IGSERS. Les psychologues de l’éducation nationale de la spécialité « éducation, développement et conseil en orientation scolaire et professionnelle », Mars 2024. https://www.education.gouv.fr/media/194106/download

              [2] En annexe du rapport de l’IGESR en page 43-44.

              [3] https://www.education.gouv.fr/etre-psychologue-de-l-education-nationale-psyen-11831

              [4] Jean Guichard. Pour une approche copernicienne de l’orientation à l’école. [Rapport de recherche] Haut Conseil de l’éducation. 2006, 66 p. https://cnam.hal.science/hal-03234288/document

              [5] Jean Guichard. Orientation durable et équitable : principes, concepts et méthodes. Février 2024. https://avenirs.onisep.fr/equipes-educatives/les-rendez-vous-de-l-orientation/orientation-durable-et-equitable-principes-concepts-et-methodes

              [6] https://www.snes.edu/article/rapport-igesr-sur-les-psyen-edo/

              [7] https://www.fo-snfolc.fr/wp-content/uploads/2023/10/com-PsyEN.pdf

              [8] https://www.sgen-cfdt.fr/actu/psyen-et-sante-mentale-des-enfants-et-des-jeunes/

              [9] https://apsyen.org/attachments/article/552/APSYEN-sante-mentale-lettre-premier-ministre-03-24.pdf

              [10] https://apsyen.org/attachments/article/554/CP-mars-2024-VD-PsyEN.pdf#

              [11] https://larochelle2024.apsyen.org/

              [12] Jacques Vauloup. (2 mai 2024). Que faire des psy à l’école ? (CIO 96). http://propos.orientes.free.fr/dotclear/index.php?post/2024/04/15/Que-faire-des-psy-%C3%A0-l-%C3%A9cole

              [13] Bernard Desclaux. (30 octobre 2012). Services d’Orientation de l’EN : Un virage pour rebondir ou pour disparaître ? https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2012/10/30/services-d%E2%80%99orientation-de-l%E2%80%99en-un-virage-pour-rebondir-ou-pour-disparaitre/ et Bernard Desclaux. (3 juin 2019). « L’État français considère-t-il encore l’orientation scolaire comme relevant de sa responsabilité ? » https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/06/03/l-etat-francais-considere-t-il-encore-l-orientation-scolaire-comme-relevant-de-sa-responsabilite_5470859_3224.html

              [14] MENJ – Djepva. Label Information jeunesse. Stratégie régionale Information jeunesse. NOR : MENV2409317J. Instruction du 29-3-2024. https://www.education.gouv.fr/bo/2024/Hebdo17/MENV2409317J

              [15] PROPOSITION DE LOI N° 4055, le 7 avril 2021. https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b4055_proposition-loi.pdf

              [16] PROPOSITION DE LOI portant création d’un ordre national des psychologues, déposée le 2 mai 2024. https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b2587_proposition-loi.pdf

              [17] Communiqué – Ordre des psychologues : la grande illusion. https://psychologues.org/actualites-single/communique-ordre-des-psychologues-la-grande-illusioncommunique/

              [18] Lauricella, M. (2024). Souffrances adolescentes : quand la santé mentale traverse les frontières de l’éducation. Dossier de veille de l’IFÉ, 148, avril. ENS de Lyon. http://veille-et-analyses.ens-lyon.fr/DA-Veille/148-avril-2024.pdf (

              [19] Mabilon-Bonfils, B. (2011). Les élèves souffrent-ils à l’école ? Des souffrances scolaires « ordinaires » qui ne peuvent se dire…. Adolescence, 293, 637-664. https://doi.org/10.3917/ado.077.0637

              • Etudiants
              • Orientation
                Desclaux Bernard

                Un rapport proprement révolutionnaire

                5 jours 18 heures ago
                Le dernier rapport de l’IGESR[1] encense les services d’orientation et surtout les personnels. Mais son objectif n’est plus du tout l’orientation.…Au-delà de la saisine

                La saisine[2] porte sur des clarifications d’ordre administratives et techniques telles que le positionnement et l’articulation du PsyEn EDO avec les autres personnels, le rôle et le statut du Directeur de CIO, le positionnement du CIO, les difficultés de recrutement, les modalités d’accès aux fonctions de formateur académique, l’application du pacte, et « les évolutions administratives éventuellement nécessaires pour contribuer à une amélioration du service rendu par ces personnels ».

                Or, le rapport va bien au-delà de ces demandes. Il indique franchement une autre « orientation » de ces personnels. Alors que la saisine indique un « contexte de fragilisation de la santé mentale des élèves », le rapport en fait l’objectif ! Dès la première page, le rapport reformule : « Parallèlement, dans un contexte de fragilisation de la santé mentale des jeunes, s’affirme la nécessité de développer les compétences psychosociales des élèves et de mettre en place des protocoles et du secourisme en santé mentale, toutes dispositions qui appellent une expertise de psychologue et des interactions coordonnées avec les acteurs santé-sociaux de l’éducation nationale (médecins, infirmières, assistantes sociales). » (p. 1)

                Le statut des PsyEn EDO formulé sur la page du ministère[3] ne présente pas une telle préoccupation de la santé mentale des élèves. L’équilibre psychologique des élèves est une condition pour une orientation, pas un but.

                « La spécialité « éducation, développement et conseil en orientation scolaire et professionnelle » s’exerce auprès de collégiens, lycéens et étudiants.

                 Sa mission est de contribuer à créer les conditions d’un équilibre psychologique des élèves favorisant leur réussite et leur investissement scolaires. Le psychologue de l’Éducation nationale « éducation, développement et conseil en orientation scolaire et professionnelle » accompagne les élèves et les étudiants dans l’élaboration progressive de leur projet d’orientation. En lien avec les équipes éducatives, il participe à la conception et à la mise en œuvre d’actions permettant l’appropriation d’informations sur les formations et les métiers et l’évolution de leurs représentations. Il contribue à l’élaboration de parcours de réussite des élèves en leur permettant de prendre conscience des enjeux de leur formation et de s’orienter vers une qualification visant leur insertion socioprofessionnelle. Il informe ainsi les élèves et leurs familles ainsi que les étudiants, et les conseille dans l’élaboration de leurs projets scolaires, universitaires et professionnels.

                Il porte une attention particulière aux élèves en difficulté, en situation de handicap ou donnant des signes de souffrance psychologique. Il participe également à la prévention et à la remédiation du décrochage scolaire. Le psychologue de l’Éducation nationale « éducation, développement et conseil en orientation scolaire et professionnelle » mobilise ses compétences sous l’autorité du directeur du centre d’information et d’orientation dans lequel il est affecté. »

                Vers une autre révolution copernicienne

                Dans son rapport, Jean Guichard[4] appelait à une approche copernicienne de l’orientation. En conclusion il écrivait : « Une transformation majeure apparaît donc nécessaire que l’image suivante peut illustrer : la vue prévalente en matière d’orientation scolaire est aujourd’hui ptoléméenne, centrée sur l’école comme l’était le système de Ptolémée sur la terre. Il apparaît nécessaire d’y substituer une vue copernicienne, supposant un décentrement et un autre ancrage. » (p. 54) Mais l’ancrage dont il parlait concernait bien la question de l’orientation. Aujourd’hui, il poursuit cette révolution[5] en l’étendant au « développement équitable et soutenable ».

                Le dernier rapport de l’IGERS propose également une sorte de révolution copernicienne, non pas pour l’orientation, mais pour les personnels. Il s’agit de fonder leurs actions non plus sur l’orientation (vision ptoléméenne) mais sur la santé mentale et le bien-être (vision copernicienne). Le statut du corps unique en posait les prémisses, mais en maintenant la spécificité et le territoire des PsyEn EDO, il n’allait pas jusqu’à prôner d’une certaine manière la coupure avec le service d’orientation du rectorat (DRAIO) comme semble l’envisager le rapport.

                Une révolution qui semble déjà acceptée

                Cette révolution copernicienne semble de fait déjà acceptée. En effet, il ne faut pas sous-estimer les préoccupations de la nouvelle génération de ces personnels qui représentent 30 % des effectifs actuellement et auxquels il faut ajouter un pourcentage équivalent de contractuels. Pour ces personnels, la question de l’orientation semble bien périphérique dans ses intérêts, ce qui peut sembler d’ailleurs normal, vu leurs formations et titres. Ils sont d’abord psychologues sur un emploi de PsyEn EDO, et la santé mentale et le bien-être est évidemment leur préoccupation première. Autrement dit la dynamique du corps va vers cette préoccupation de par sa constitution, ce que note d’ailleurs le rapport.

                Du côté syndical, à ce jour, il y a peu de réactions. Le SNES-FSU a publié un texte court[6], titré comme d’habitude sur le manque de moyens : Ne pas recruter ! Un interdit qui biaise les propositions ! FO a publié un communiqué[7] le 16 octobre 2023 indiquant ce qu’il avait défendu lors de son audition par l’IGESR : Non à la dénaturation des missions des PsyEN. Le SGEN avait publié le 16 décembre 2023 un texte, PsyEN et santé mentale des enfants et des jeunes[8].

                Du côté des associations, il n’y a pas, à ce jour de réactions au rapport lui-même.

                L’APSYEN s’est adressée le 16 mars 2024 à G. Attal[9], Premier ministre de la manière suivante :

                « Lors de votre discours de politique générale devant l’Assemblée Nationale, vous avez affirmé que s’agissant des enfants, des jeunes, et de la formation des futurs citoyens « l’Ecole est la mère des batailles » et souligné vos préoccupations quant à la santé mentale des jeunes, l’importance de les aider à se projeter dans l’avenir de façon positive.

                Vous omettez hélas les psychologues de l’Éducation nationale qui pourtant sont également en première ligne et qui de par leur qualification et leurs missions sont très sollicités sur cette question de la santé mentale. Cela a fortement choqué l’ensemble de la profession. »

                Le communiqué de presse du groupe d’organisations des Psychologues de l’Éducation nationale[10] s’inquiète également de ce silence du Premier ministre.  

                La présentation des Journées d’Étude de l’APSYEN, programmées à La Rochelle[11], s’ouvre ainsi : « Les enquêtes de Santé publique France font état en 2023 d’une dégradation de la santé mentale des Français et plus particulièrement des jeunes de 11 à 24 ans, tendance constante depuis 2020. Parallèlement, la préoccupation pour le bien-être des élèves dans notre système éducatif évolue de manière croissante, renforcée par des études confirmant son impact positif sur la réussite scolaire. Les luttes contre le harcèlement et les discriminations font l’objet de campagnes régulières pour soutenir cette volonté politique. »

                Jacques Vauloup (IEN-IO retraité, mais sans retrait comme il se présente sur son blog) affirme, dans son commentaire détaillé du rapport[12] : « Malgré tout, maigre consolation d’un texte insuffisant, le décret 2017-120 du 1er février 2017 rend possible-souhaitable-indispensable l’articulation entre une clinique psychologique dédiée au développement et au soutien d’un enfant-adolescent-jeune adulte scolarisé et une clinique de l’orientation pratiquée avec expertise par les PsyEN-EDO et leurs prédécesseurs depuis un siècle. » Et en conclusion, « les PsyEN (EDO et EDA) ne peuvent rester dans l’entre-deux actuel vide de sens, trop éloignés des écoles et des établissements scolaires où se trouvent au moins 80 % de leurs publics, et à ce point artificiellement dissociés en deux groupes professionnels alors qu’ils ne forment qu’un seul corps de psychologues de l’éducation nationale. »

                Le désengagement de l’État de l’aide à l’orientation se poursuit

                Nous signalons depuis longtemps ce désengagement de l’État[13]. Un exemple récent, l’attribution d’un label au réseau Information jeunesse qui permet de le positionner « comme l’un des acteurs de l’orientation des jeunes et contribue à favoriser l’égalité des chances. »[14] L’État réduit ses propres services d’orientation et promeut diverses associations et autres organismes subventionnés, mais aussi le mouvement du mentorat, sans oublier l’attribution de la compétence d’information professionnelle aux Régions par la loi de 2018. Tout ceci prépare, de fait, le terrain pour les services marchands dans ce domaine.

                Reste une interrogation lourde de conséquences

                Le 7 avril 2021, une proposition de loi visant à la création d’un ordre des psychologues[15], fut déposée par le député LR du Vaucluse Julien Aubert et un groupe de députés. Il s’agissait de pallier la pénurie de psychiatres hospitaliers dans un contexte de crise sanitaire liée à la pandémie de la Covid-19 aux conséquences de difficultés psychiques importantes chez les jeunes. Le 2 mai 2024, un autre groupe de députés Renaissance, cette fois-ci, emmené par Éric Poulliat, déposait une nouvelle proposition de loi sur le même objet[16], mais avec une autre formulation. Cette proposition est soutenue par l’ACOPsy, et inscrit franchement les psychologues dans le champ de la santé mentale. Ce projet de loi est combattu par le Syndicat national des psychologues : « Plus que jamais, le SNP soutient l’autonomie et l’indépendance de la profession, la pluralité des approches et refuse la paramédicalisation et l’assujettissement au pouvoir médical ! »[17]

                La préoccupation pour la santé mentale des adolescents est aujourd’hui largement partagée. Marie Lauricella, vient de rédiger un dossier pour l’IFE sur les souffrances adolescentes en rapport avec l’éducation[18]. Mais une petite remarque de sa part est à relever notamment : « Norwich et al. (2022) identifient un glissement de l’usage du terme de bienêtre dans le cadre scolaire vers celui de santé mentale, ou une utilisation indifférenciée des deux concepts, souvent accolés l’un à l’autre. Selon les auteur·es, la domination de l’intérêt pour la santé mentale peut être attribuée à un oubli et à un évitement de la réflexion sur les objectifs de l’école, sur la raison d’être des institutions scolaires et sur les modèles d’enseignement contribuant au bienêtre. » (p 5)

                Béatrice Mabilon-Bonfils, dans ses recherches,[19] avait identifié trois sources de souffrances ou de mal-être des élèves produites par la situation scolaire imposée, aujourd’hui, à la totalité d’une génération. « Pour la première fois dans l’histoire, avec l’élévation de la scolarisation obligatoire, la massification de l’enseignement secondaire (collège et lycée) et du premier cycle de l’enseignement supérieur, une part majoritaire et croissante d’une génération suit une scolarité longue. » (Lauricella, M. (2024) p. 8-9). On peut résumer ces trois sources ainsi :

                 

                • La non-conformité entre la position sociale et les attentes et propositions scolaires
                • La tension à la réussite
                • Le cadre scolaire produisant de la souffrance

                 

                Ces trois sources de souffrances ont un lien direct avec nos procédures d’orientation qui ont des effets sur l’inégalité sociale, qui sont fondées sur le principe méritocratique, et dont la temporalité n’est pas en rapport avec le développement psychique de chacun.
                Marie Lauricella, le formule ainsi : « Des souffrances scolaires ordinaires aux impératifs d’ascétisme des classes préparatoires, en passant par le harcèlement entre pairs, la pression sur la santé mentale des jeunes n’a jamais été aussi forte parce que le diplôme – dans une société très compétitive – est devenu incontournable en France pour réussir socialement et professionnellement. » (p 9)

                Ainsi, le retrait des PsyEn EDO du champ de l’aide à l’orientation risque bien d’avoir l’effet inverse de celui attendu et de concourir à une aggravation de la situation.

                Auteur : Bernard Desclaux
                Article publié sur le site : 

                https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2024/05/07/un-rapport-proprement-revolutionnaire/

                 

                 

                 

                 

                [1] IGSERS. Les psychologues de l’éducation nationale de la spécialité « éducation, développement et conseil en orientation scolaire et professionnelle », Mars 2024. https://www.education.gouv.fr/media/194106/download

                [2] En annexe du rapport de l’IGESR en page 43-44.

                [3] https://www.education.gouv.fr/etre-psychologue-de-l-education-nationale-psyen-11831

                [4] Jean Guichard. Pour une approche copernicienne de l’orientation à l’école. [Rapport de recherche] Haut Conseil de l’éducation. 2006, 66 p. https://cnam.hal.science/hal-03234288/document

                [5] Jean Guichard. Orientation durable et équitable : principes, concepts et méthodes. Février 2024. https://avenirs.onisep.fr/equipes-educatives/les-rendez-vous-de-l-orientation/orientation-durable-et-equitable-principes-concepts-et-methodes

                [6] https://www.snes.edu/article/rapport-igesr-sur-les-psyen-edo/

                [7] https://www.fo-snfolc.fr/wp-content/uploads/2023/10/com-PsyEN.pdf

                [8] https://www.sgen-cfdt.fr/actu/psyen-et-sante-mentale-des-enfants-et-des-jeunes/

                [9] https://apsyen.org/attachments/article/552/APSYEN-sante-mentale-lettre-premier-ministre-03-24.pdf

                [10] https://apsyen.org/attachments/article/554/CP-mars-2024-VD-PsyEN.pdf#

                [11] https://larochelle2024.apsyen.org/

                [12] Jacques Vauloup. (2 mai 2024). Que faire des psy à l’école ? (CIO 96). http://propos.orientes.free.fr/dotclear/index.php?post/2024/04/15/Que-faire-des-psy-%C3%A0-l-%C3%A9cole

                [13] Bernard Desclaux. (30 octobre 2012). Services d’Orientation de l’EN : Un virage pour rebondir ou pour disparaître ? https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2012/10/30/services-d%E2%80%99orientation-de-l%E2%80%99en-un-virage-pour-rebondir-ou-pour-disparaitre/ et Bernard Desclaux. (3 juin 2019). « L’État français considère-t-il encore l’orientation scolaire comme relevant de sa responsabilité ? » https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/06/03/l-etat-francais-considere-t-il-encore-l-orientation-scolaire-comme-relevant-de-sa-responsabilite_5470859_3224.html

                [14] MENJ – Djepva. Label Information jeunesse. Stratégie régionale Information jeunesse. NOR : MENV2409317J. Instruction du 29-3-2024. https://www.education.gouv.fr/bo/2024/Hebdo17/MENV2409317J

                [15] PROPOSITION DE LOI N° 4055, le 7 avril 2021. https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b4055_proposition-loi.pdf

                [16] PROPOSITION DE LOI portant création d’un ordre national des psychologues, déposée le 2 mai 2024. https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b2587_proposition-loi.pdf

                [17] Communiqué – Ordre des psychologues : la grande illusion. https://psychologues.org/actualites-single/communique-ordre-des-psychologues-la-grande-illusioncommunique/

                [18] Lauricella, M. (2024). Souffrances adolescentes : quand la santé mentale traverse les frontières de l’éducation. Dossier de veille de l’IFÉ, 148, avril. ENS de Lyon. http://veille-et-analyses.ens-lyon.fr/DA-Veille/148-avril-2024.pdf (

                [19] Mabilon-Bonfils, B. (2011). Les élèves souffrent-ils à l’école ? Des souffrances scolaires « ordinaires » qui ne peuvent se dire…. Adolescence, 293, 637-664. https://doi.org/10.3917/ado.077.0637

                 

                 

                 

                 

                 

                 

                 

                Desclaux Bernard

                « Interdire les écrans » ou « éduquer au numérique » : l’insoutenable alternative

                5 jours 19 heures ago
                Fin avril 2024, la « Commission Écrans », a rendu au président de la République son rapport pour réguler les pratiques numériques…

                Les 29 propositions oscillent entre « interdiction totale des écrans » et nécessité de « mieux former au numérique ». Face aux interrogations suscitées par cette apparente ambivalence, les co-présidents de cette Commission insistent sur la complémentarité de ces propositions qui sont à tenir ensemble. Interdire les écrans et éduquer au numérique : cet « en même temps » est-il effectivement possible ? Article d'Anne Cordier publié sur Theconversation.

                Face aux risques, le choix du repli

                Les vifs débats autour de la place des écrans dans nos espaces intimes, professionnels et sociaux s’ancrent dans une « société du risque » particulièrement inquiète de son avenir, notamment de sa capacité à faire face aux transformations technologiques. Si on peut reconnaître une accélération de ces préoccupations, celles-ci s’inscrivent dans un mouvement anthropologique connu, celui de la « panique morale ». Ce phénomène des paniques morales exprime une crainte quant à la déstabilisation des valeurs sociétales, et se cristallise autour des usages juvéniles desdits écrans et des conséquences de ces usages sur la santé mentale et sociale des enfants et adolescents, ainsi que sur leur développement cognitif et leur culture générale.

                Pourtant une importante et robuste étude américaine, menée sur le long terme auprès de 12000 enfants entre 9 et 12 ans, conclut sans hésitation à l’absence de lien entre temps passé « devant les écrans » et incidence sur les fonctions cérébrales et le bien-être des enfants. Pourtant encore, en France, une enquête longitudinale d’envergure, déployée cette fois auprès de 18000 enfants depuis leur naissance, montre que ce sont des facteurs sociaux qui jouent un rôle prépondérant dans le développement de l’enfant.

                Malgré ces faits scientifiques, le débat autour de la place desdits écrans dans notre société se polarise, et se caractérise récemment par une ultraradicalisation des postures, ce qui a pour premier effet de porter préjudice à la compréhension de tout un chacun. Au cœur de ce débat, les « écrans ». L’emploi de ce terme générique est en soi problématique, et à l’origine de nombreuses confusions et conclusions hâtives. Les objets techniques qu’il recouvre sont multiples, invisibilisant la diversité et la complexité de leurs usages, du jeu à l’information, en passant par la communication. Distinguer les activités qui ont les écrans pour support a son importance.

                Des pratiques d’enseignement (au) numérique à considérer

                Le soir de la remise du rapport produit par la « Commission Écrans », le premier ministre Gabriel Attal a enjoint « l’éducation nationale [à] balayer devant sa porte », de façon à cesser en son sein l’usage de « l’écran pour l’écran ». Un tel propos ne manque pas de surprendre. Cette attaque, vécue comme telle par de nombreux enseignants et personnels de direction, est incompréhensible quand on connaît la vivifiante production pédagogique des enseignants en matière d’éducation par le numérique et au numérique. Incompréhensible aussi quand on sait déjà les difficultés qu’ils rencontrent dans leurs établissements pour faire face à des thématiques complexes comme la protection des données personnelles des mineurs ou encore le phénomène de (cyber-) harcèlement.

                Enfants et écrans : l’Éducation nationale doit « balayer devant sa porte », estime Attal (Le Parisien, avril 2024).

                Tout comme celui d’« écran », le terme « numérique à l’école » ne signifie pas grand-chose.

                Il tend même, sans jeu de mots, à faire écran à la diversité de situations, de pratiques et de contenus didactiques expérimentés dans les classes. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. En 2020, un rapport, publié par le Centre national d’étude des systèmes scolaires (CNESCO), a fait le point à travers une vaste revue de littérature engagée par des spécialistes du champ, sur les interrelations entre « numérique et apprentissages scolaires ». Sa conclusion soulignait combien le scénario pédagogique prévalait pour le recours aux outils numériques dans la classe. C’est l’alliance entre stratégie d’enseignement et objectifs d’apprentissages qui fait le sens de l’éducation par le/au numérique.

                Ainsi il parait absurde de « bannir les écrans des écoles maternelles » – comme le préconise le rapport de la « Commission Écrans » – alors que les programmes scolaires mentionnent, dès la fin de la Grande Section, la capacité attendue des enfants « à utiliser des objets numériques (appareil photo, tablette, ordinateur) ». De plus, les propositions didactiques des enseignants de maternelle témoignent d’un souci d’allier développement de compétences langagières et exploitation de ressources numériques. Une méta-analyse de 19 études scientifiques montre d’ailleurs que le recours à la tablette numérique auprès d’enfants âgés de 2 à 5 ans favorise – à condition qu’ils soient accompagnés d’adultes – l’amélioration de la capacité à résoudre des problèmes, le développement de compétences mathématiques ou encore de vocabulaire.

                C’est tout au long de la scolarité que les compétences numériques sont pensées dans la classe et développées de façon réfléchie, bénéficiant de l’appui des connaissances scientifiques dans le domaine. La Direction du Numérique pour l’Éducation finance des projets de recherche (« Groupes de Travail Numériques »), qui ont précisément pour mission de produire des travaux destinés non seulement à évaluer les pratiques numériques dans l’enseignement et les apprentissages, mais aussi à soutenir les acteurs – enseignants, personnels de direction et d’encadrement, notamment – dans la mise en œuvre de scénarios efficients.

                 

                Exemple d’un dispositif mettant le numérique au service de l’apprentissage de l’orthographe, la « twictée » (France 3 Paris Île-de-France, avril 2015)

                Un de ces groupes de recherche (GTnum EMILIE) inscrit son travail autour du grand triptyque organisateur des apprentissages des langages « Dire, Lire, Écrire » pour favoriser une éducation aux médias et à l’information ancrée dans les réalités éducatives et sociales à destination des élèves de cycles 2 et 3.

                Conjointement, face à la menace que constitue incontestablement l’empire des GAFAM sur les libertés individuelles et collectives, le cadre éthique dans lequel se déploient ces usages numériques fait l’objet d’une réflexion partagée par les enseignants et personnels d’encadrement. Ceux-ci sont de plus en plus soucieux d’adopter des usages et des pratiques en cohérence avec le règlement général sur la protection des données (RGPD) mais aussi avec des valeurs – celles des communs numériques – en adéquation avec l’idéal de l’école républicaine.

                Derrière des discours clivants, des enjeux éducatifs majeurs

                La question dudit numérique dans l’éducation dépasse très largement le cadre de l’école, et la sphère privée fait l’objet également de toutes les attentions. Là encore, le discours politique et médiatique apparait clivant, le premier ministre n’hésitant pas à affirmer le 30 novembre 2023 : « Concernant l’usage des écrans à la maison, nous sommes proches d’une catastrophe sanitaire et éducative ». Encore une fois, les travaux scientifiques ne corroborent pas cette affirmation. Ils mettent en avant des usages sociaux différenciés des objets connectés selon les médiations parentales à l’œuvre, mais aussi plus largement les contextes culturels.

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                S’il est évident que l’intégration de cet objet socialement partagé constitue un défi pour l’exercice de la parentalité, il n’en reste pas moins que les parents font face, et ont besoin tout à la fois d’informations fiables sur le sujet et de soutien. Comme le montrait en 2021 une enquête menée auprès de 1852 parents d’enfants âgés entre 6 et 11 ans, ils attendent de l’école la prise en charge de compétences comme « évaluer/vérifier l’information » et « se protéger du cyberharcèlement », jugées essentielles pour la réussite scolaire et à l’intégration sociale de leur enfant.

                Depuis plusieurs années, les politiques publiques ont saisi la nécessité absolue d’établir des dynamiques territoriales engageant les acteurs dans toute leur pluralité, qui témoignent d’un souci de favoriser la co-éducation par le/au numérique. Les territoires numériques éducatifs (TNE) illustrent cette prise de conscience. Ces dispositifs ne sont pas exempts de critiques, documentées d’ailleurs par la recherche, mais ils ont le mérite de tenter de répondre aux enjeux complexes par la conjugaison d’actions de formation et d’accompagnement, de production de ressources et de maillage entre les différentes instances. Ils ont aussi le mérite de considérer la question de la place dudit numérique dans notre société pour ce qu’elle est : une question de pouvoir d’agir collectif, une question d’égalité sociale, économique et culturelle d’accès – à l’information, aux sociabilités, aux industries culturelles, mais aussi aux démarches administratives et aux droits sociaux.

                Une telle intention passe par le fait de ne pas culpabiliser les adultes dans la sphère privée, et de leur redonner avant tout l’autorité et le pouvoir d’agir sur leurs propres usages pour ensuite pouvoir entrer en dialogue avec les enfants. Une conception coercitive de l’éducation par le/au numérique s’accommode mal avec une éducation aux médias et à l’information favorisant au quotidien réflexivité et développement d’une culture critique.

                Le rapport « Enfants et Écrans : à la recherche du temps perdu » a le mérite de poser un sujet crucial sur la table : quelle conception de notre société, du vivre-ensemble, et des médiations, parentales et professionnelles, voulons-nous ? Toutefois, il succombe à de nombreux endroits à un discours catastrophiste et à la tentation de faire primer l’interdiction sur l’éducation. Voilà qui occulte une importante partie de la littérature scientifique sur les réalités sociales et culturelles des pratiques numériques. En misant sur des préconisations empreintes d’interdits, ne laisse-t-on pas planer le risque de rompre le dialogue et de renoncer à une prise en charge éducative de ces enjeux numériques ? Cette démission serait tout simplement une défaite collective.

                Auteur : 
                Article publié sur le site : « Interdire les écrans » ou « éduquer au numérique » : l’insoutenable alternative (theconversation.com)

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                  An@é

                  Deauville : « Les allées d’un autre monde » de Zao Wou-Ki

                  5 jours 19 heures ago
                  Aux Franciscaines, l’exposition sur Zao Wou-Ki couvre principalement les trente dernières années de sa vie et offre le panel de…Invitation à l’imaginaire

                  Les Franciscaines est un lieu culturel plein de vie. Cet écrin en pierre, ancien couvent des sœurs Franciscaines, accueille des salles d’exposition, une médiathèque, une salle de spectacle... Ce lieu de rencontres intergénérationnelles est très prisé par les jeunes qui aiment venir danser dans la cour centrale. L’exposition consacrée à Zao Wou-Ki (1920-2013) connaît un important succès avec des œuvres iconiques telles qu’Hommage à Claude Monet (1991). Le triptyque à la forte dimension onirique est situé au cœur du parcours, en lumière zénithale sous la grande verrière. Des pièces moins connues permettent de découvrir l’étendue du talent de cet artiste protéiforme.

                  Chaque galerie a sa tonalité et valorise une pratique artistique. Le Souffle créateur – influx vital en perpétuel mouvement selon la cosmologie chinoise - et la liberté artistique ont inspiré le peintre. La scénographie explore une circulation ouverte sur ses différents modes d’expression avec une mise en résonance des œuvres, d’un espace à l’autre.

                  Arrivé en 1948 en France, Zao Wou-Ki s’installe à Montparnasse comme de nombreux peintres étrangers. Pendant la période d’après-guerre, Paris continue à rayonner et accueille la Nouvelle École de Paris. C’est dans cette effervescence artistique que Zao Wou-Ki refuse d’inscrire son art dans la peinture traditionnelle chinoise et s’éloigne de la figuration. Par la suite, il dépasse le mouvement Abstraction lyrique en développant son propre cheminement. En France il s’initie à la lithographie, aux États-Unis il découvre les grands formats. Coloriste talentueux, il crée des atmosphères étonnantes de beauté, restant en quête de nouvelles couleurs et de leurs vibrations pour « inventer la légèreté ». Ses toiles offrent des paysages irréels qui sont une invitation à l’imaginaire.

                   

                  Sens cachés

                  Il connaît tout au long de son existence de belles rencontres artistiques à qui il rend des hommages picturaux. Près de la toile rouge flamboyante en l’honneur à son épouse Françoise Marquet (2003), sont listés les hommages rendus aux artistes qu’il admire et qu’il n’a pas connus, aux amis et aux personnes aimées de sa famille. Henri Michaux occupe une place privilégiée car il l’a encouragé quand il a décidé de se remettre aux encres.

                  Sous l’impulsion d’André Malraux puis de Georges Pompidou, les arts décoratifs se modernisent et la Manufacture nationale de Sèvres sollicite des artistes contemporains. Les encres deviennent l’ornement de porcelaines et de stèles. Cette pratique influence la peinture de Zao Wou-Ki qui se caractérise par une recherche de la lumière, de l’espace et du mouvement. Le silence pour ce grand mélomane est aussi une source d’inspiration : « Si l’on respecte le silence, la peinture ou la poésie deviennent beaucoup plus vivantes. »

                  La partie consacrée aux poètes s’étend sur une période plus longue. Zao Wou-Ki a illustré des livres de Réné Char, d’Yves Bonnefoy… Venu d’une famille de lettrés, il considère la poésie et la peinture comme des expressions de même nature : « Elles évoquent sans représenter, elles révèlent des sens cachés, ceux de l’univers. »

                  Toute une section présente des aquarelles sur papier dont la dernière œuvre réalisée en 2007. Dès les années 2000, le peintre devient assidu à cette technique qu’il a toujours pratiquée.

                  Le parcours se termine par la composition monumentale (1981) de plus de seize mètres de long réalisée pour un collège de la Seyne-sur-Mer (Var). Cette création méconnue est une commande de son ami l’architecte Roger Taillibert. Elle clôt l’exposition ô combien magique.

                  Fatma Alilate

                  Exposition Les allées d’un autre monde de Zao Wou-Ki
                  Les Franciscaines de Deauville
                  Commissariat et Direction éditoriale : Gilles Chazal, Conservateur général du Patrimoine et Directeur honoraire du Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris
                  Scénographie et graphisme de l’exposition : Flavio Bonuccelli
                  Conception éclairage : Raymond Belle
                  Le catalogue de l’exposition est publié aux Éditions In-Fine. 25 € / 152 pages
                  Jusqu’au 26 mai 2024

                  Légendes photos :

                  "Hommage à Claude Monet" de Zao Wou-Ki, février-juin 1991 – Triptyque, 1991 Huile sur toile 194 x 483 cm Collection particulière Crédit photographique : Jean-Louis Losi © Adagp, Paris, 2018

                  Exposition "Les allées d'un autre monde" Zao Wou-Ki, Galerie Les Franciscaines Deauville © Fatma Alilate

                  Fresque de Zao Wou-Ki pour un collège de la Seyne-sur-Mer (Var), Exposition "Les allées d'un autre monde", Les Franciscaines Deauville © Fatma Alilate 

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                    Fatma Alilate

                    Une référence insistante et inappropriée aux " écrans "

                    1 semaine 1 jour ago
                    Les écrans nous fascinent-ils au point de créer des références incessantes et innapropriées au mot "Ecran"? On constate régulièrement des…Trois articles récents illustrent ce propos.

                    Jean-François Cerisier :  "Incriminer les écrans équivaut en quelque sorte à redouter la nocivité du papier ou celle de la langue quand c’est le texte et l’usage qui en est fait qui méritent d’être questionnés".

                    Hélène Azevedo : "Les compétences numériques ont été ajoutées à tous les programmes scolaires du monde. Mais comment développer cette compétence si les supports numériques sont diabolisés ?"

                    Anne Cordier : "Pour que la chance et la joie de s’informer n’aient d’égales que celles d’éduquer aux médias et à l’information"

                    Jean-François Cerisier : Faut-il avoir peur des écrans ? Retour sur une annonce présidentielle

                    Jean-François Cerisier - Professeur de sciences de l'information et de la communication, Université de Poitiers publié sur Theconversation : Il est évident depuis plusieurs dizaines d’années que les techniques numériques transforment la plupart des activités humaines. Pourtant, beaucoup semblent découvrir que ce mouvement affecte tout autant nos comportements, croyances, valeurs, coutumes et imaginaires.

                    Fortement empreints d’une idéologie qui subordonne le progrès social à une croissance économique dépendante de l’innovation technique, les discours en faveur du numérique ont longtemps balayé analyses critiques, réserves et craintes. Il en va autrement aujourd’hui, alors que 67 % des enfants de 8 à 10 ans disposent déjà de comptes sur un ou plusieurs réseaux sociaux, que 20 % d’entre eux déclarent avoir été confrontés à une situation de cyberharcèlement et que 83 % des parents reconnaissent ne pas savoir ce que leurs enfants font sur Internet.

                    Toute une jeunesse se transforme sous nos yeux. On peut affirmer sans exagérer qu’une véritable panique morale s’empare du discours des élites et sature l’espace public. Elle invisibilise nombre de pratiques, d’analyses, d’arguments, de points de vue et confisque la parole de certains acteurs. Celle des plus jeunes en particulier. Certaines de leurs pratiques numériques nourrissent légitimement les craintes des adultes alors que d’autres présentent un intérêt culturel, éducatif ou social indéniable.

                    Cette radicalisation des postures laisse malheureusement peu de place au débat et à la controverse. Pourtant, la recherche scientifique, dans sa diversité et sa pluridisciplinarité, attire l’attention sur la complexité d’un tableau tout en nuances où l’usage du numérique se révèle autant émancipateur qu’aliénant. Dans ce contexte, l’enjeu n’est pas seulement d’échapper aux risques du numérique mais aussi de pouvoir en réaliser les promesses.

                    « Danger des écrans » : une formulation inadaptée...

                    Jean-François Cerisier : Faut-il avoir peur des écrans ? Retour sur une annonce présidentielle

                    https://www.educavox.fr/alaune/faut-il-avoir-peur-des-ecrans-retour-sur-une-annonce-presidentielle

                    Le numérique, compétence clé du 21ème siècle Hélène Azevedo  : La « Pause Numérique » de Nicole Belloubet : Une solution contre la violence ?

                    La compétence numérique est définie comme un ensemble d'aptitudes permettant une utilisation confiante, critique et créative des technologies numériques, visant divers objectifs dans l'apprentissage, le travail, les loisirs, et la participation sociale. Elle vise à développer l'autonomie de l'individu dans le choix et l'utilisation des outils numériques dans différents contextes, y compris pédagogiques, professionnels et quotidiens.

                    Cette compétence prépare également à s'adapter aux innovations technologiques futures, comme l'intelligence artificielle, en adoptant une perspective critique et en sachant les intégrer utilement. Enfin, elle est essentielle au développement professionnel au 21e siècle, nécessitant l'utilisation de ressources numériques pour maintenir à jour les compétences professionnelles.

                    Une étude de l'Insee parue en juin 2023 révèle que 15,4 % de la population française serait en situation d'illectronisme, ce qui constitue un défi au quotidien et une source d’inégalité. Cela montre la nécessité d’apprendre à s’en servir.

                    Les compétences numériques ont été ajoutées à tous les programmes scolaires du monde. Mais comment développer cette compétence si les supports numériques sont diabolisés. Et surtout, comment l’enseigner sans équipement en classe ? En France par exemple, où les collectivités sont responsables de les financer, seules 23% ont déployé des plans individuels massifs - coûteux pour le contribuable et pour la planète.

                    Aujourd’hui près de 9 collégiens sur 10 ont un téléphone portable dans leur poche. Et l’usage majoritaire reste les réseaux sociaux et les jeux en ligne, qui sont devenus un des moyens de communication et de sociabilisation de cette génération.

                    Les réseaux sociaux, reflet de la vraie vie et de la violence

                    Aujourd’hui face à l’augmentation de violences et agressions entre adolescents, on pointe du doigt les téléphones portables et on considère que les interdire résoudrait le problème ?

                    Si nous n’apprenons pas à nos adolescents les règles et les fonctionnements de la société du numérique, l’économie de l’attention et les dangers des réseaux sociaux, ces initiatives n’auront aucun effet sur la violence et les agressions. Le problème sera juste déplacé aux ministères de la famille et de l’intérieur mais il restera bien réel. Les réseaux sociaux sont une réalité et ils déclenchent aujourd’hui malgré nous de la violence en ligne et hors ligne. Il est donc essentiel que nous nous emparions courageusement du sujet.

                    Éduquer aux dangers du numérique doit être une priorité...Lire l'article :

                    Hélène Azevedo : La « Pause Numérique » de Nicole Belloubet : Une solution contre la violence ?

                    https://www.educavox.fr/accueil/debats/la-pause-numerique-de-nicole-belloubet-une-solution-contre-la-violence

                    Anne Cordier : Pour que la chance et la joie de s’informer n’aient d’égales que celles d’éduquer aux médias et à l’information

                    Le mythe d’une rupture générationnelle, voire anthropologique, majeure, en raison de l’arrivée d’internet dans nos vies, est né. Ces enfants, ces adolescents, qui manient avec dextérité un téléphone portable, écrivent des messages à la vitesse de la lumière, sont alors catégorisés comme « digital natives », « génération Google », « Petite Poucette », avant que, sous l’effet de l’arrivée de nouveaux dispositifs, on les affuble du qualificatif de « Génération TikTok ».

                    En 2001, après le discours de Barlow qui avait ouvert le sillon de l’idée d’un fossé générationnel, Mark Prensky, consultant en TICE, enfonce le clou : il désigne par le néologisme « digital natives » cette cyber jeunesse qui n’a pas connu le monde sans Internet, et serait, par là-même, radicalement, voire biologiquement, différente des autres générations.

                    Ce discours infuse de façon puissante dans la société.

                    Il imprègne les imaginaires collectifs, entretenant le sentiment d’une incapacité à « faire reliance » entre les générations, entre les parents, les enseignants, les adultes en général, et les enfants et adolescents. Cette peur d’une telle rupture conduit souvent à rejeter les usages et pratiques juvéniles, jugés comme problématiques à l’aune de pratiques installées selon un ordre établi.

                    Depuis quelques temps, pour dénoncer la pensée de la rupture anthropologique, et avec elle les peurs qu’elle draine, le concept de « panique morale » est brandi...

                    Anne Cordier : Pour que la chance et la joie de s’informer n’aient d’égales que celles d’éduquer aux médias et à l’information

                    https://www.educavox.fr/formation/analyse/anne-cordier-pour-que-la-chance-et-la-joie-de-s-informer-n-aient-d-egales-que-celles-d-eduquer-aux-medias-et-a-l-information

                    Laurissergues Michelle

                    La réforme du collège s’attaque à un monument historique : le collège unique

                    1 semaine 1 jour ago
                    A la mi-mars 2025, divers textes réglementaires ont été publiés, venant officialiser la mise en œuvre, à compter de la…

                    « Une de plus, d’autres suivront » diront certains, accoutumés à voir l’Etat se pencher fréquemment sur le malade que serait à leurs yeux le « collège unique », et prescrire quelques potions de peu d’effets pour l’en guérir, mais suffisantes pour le maintenir en vie. D’autres – moins nombreux semble-t-il – voient dans les décisions qui viennent d’être prises de quoi espérer ce qu’ils pensent être un salutaire retour vers le collège d’antan, celui de l’époque où il était organisé en filières séparées, permettant que chaque élève y reçoive une formation adaptée à son profil, et facilitant le travail des enseignants qui bénéficiaient d’une plus grande homogénéité des élèves de chaque classe, propice à plus d’efficacité des apprentissages.

                    A chacun de se situer par rapport à cette double vision. Seul point de convergence ou presque : une majorité des acteurs de terrain s’accordent pour dénoncer le manque de moyens pour bien appliquer les décisions prises, le déficit en consultation préalable notamment au niveau territorial, le risque de dérive vers une école plus ségrégative … et se rejoignent pour en demander le report, voire la suppression pure et simple.

                    1.  C’est quoi le « collège unique » ?

                    Cette appellation fut donnée à ce maillon de la scolarité mis en place par une loi en date du 11 juillet 1975, dite « loi Haby » du nom du Ministre de l’Education Nationale qui, durant la présidence de Giscard d’Estaing, supprima les trois filières séparées de collège qui existaient jusqu’alors pour les fusionner en une seule, repoussant à l’entrée en lycée le moment où les élèves se répartissent entre diverses filières différenciées.

                    Avant la réforme du 11 juillet 1975, en France, le collège était organisé en trois voies d’études séparées : le « collège d’enseignement secondaire (CES) », qui était un premier cycle de l’enseignement dispensé dans les lycées (voie longue en sept ans, conclue par l’examen du baccalauréat); « le collège d’enseignement général (CEG), d’une durée de quatre ans après le certificat d’études primaires » (voie courte conclue par le « brevet d’études ») ; « le collège d’enseignement technique (CET)».  Pour organiser la répartition des élèves issus de l’enseignement primaire entre ces trois voies, outre l’obligation de réussite au certificat d’études primaires, on soumettait les candidats à la poursuite des études aux épreuves d’un « examen d’entrée en sixième » : à celles et ceux qui obtenaient les meilleurs résultats l’admission en CES, les candidats « moyens » passaient en CEG, le CET accueillait les moins bons.

                    Les objectifs visés par la « réforme Haby » étaient multiples. En tout premier, on lui assigna de bien accompagner la politique de démocratisation marquée par l’ouverture du collège à tous les enfants d’une classe d’âge, portée par la forte croissance démographique d’alors et la décision de faire passer l’âge de la scolarité obligatoire de 14 à 16 ans à partir de 1959. Rappelons que la croissance du nombre des collégiens, longtemps modeste, a commencé à être forte à compter de 1950, et s’est accélérée entre 1950 et 1970, faisant passer les effectifs de collégiens de un à trois millions en vingt ans, ce qui est considérable. C‘était l’époque où le gouvernement annonçait fièrement l’inauguration d’un collège nouveau par jour en moyenne, ce qui permit d’apporter la scolarité en collège jusqu’aux zones géographiques les plus reculées.

                    Un consensus émergea progressivement pour décider d’un objectif de « 100% d’une tranche d’âge au niveau brevet », et conduisit à la conception d’un « collège unique », chargé de doter tous les élèves de ce que l’on que l’on nommait alors un « SMIC culturel commun »

                    Cette politique fit l’objet de vives réserves et oppositions,  exprimées par une majorité des enseignants et de leurs syndicats, qui étaient et sont encore fortement hostiles au surcroit d’hétérogénéité provoqué par cette nouvelle organisation du collège, et le nivellement vers le bas que représentait à leurs yeux l’objectif de doter tous les élèves d’un « SMIC culturel commun » et le placement de tous les collégiens dans des mêmes classes, proposant les mêmes programmes d’enseignement pour les mêmes disciplines. Une partie des familles aussi, notamment celles qui appartenaient à des catégories socio-professionnelles favorisées, qui soutinrent très majoritairement les critiques exprimées par les enseignants.

                    Dès la mise en place du collège unique, en 1977, on assista dans certains collèges à des actes de résistance par la décision de constituer des classes regroupant les élèves selon leurs niveaux respectifs, et ce bien que l’Etat prôna une organisation pédagogique dite « des trois tiers », exigeant que chaque classe de collège additionne environ un tiers de bons élèves, un tiers de moyens et un tiers de faibles. En outre, pour pouvoir atteindre l’objectif de réussite de tous les élèves, on suscita l’invention et l’introduction de « pédagogies d’accompagnement personnalisé des élèves », en particulier conçues pour venir en aide aux élèves en difficultés.

                    Loin de céder, l’Etat choisit de maintenir le collège unique, mais en proposant ou imposant des aménagements supposés suffire à surmonter les difficultés induites par cette réforme. Ce fut d’abord la mise en place de ce que, durant les années 1980, on a nommé « les pédagogies différenciées ; ce fut aussi « l’éducation prioritaire » qui se concrétise par l’introduction de dispositifs de soutien aux élèves les plus en difficultés (le dédoublement de certaines classes, une aide en petits groupes voire individualisée au profit des élèves en difficulté, l’incitation à gérer ces difficultés dans le cadre d’une autonomie pédagogique plus grande de l’établissement scolaire …).

                    Par la suite, chaque nouveau Ministre de l’Education nationale a été confronté à cette très complexe difficulté pédagogique qu’est l’hétérogénéité des élèves constituant une même classe de ce nouveau collège. Ce fut donc normalement le cas pour les deux derniers : Gabriel Attal – devenu Premier Ministre après cinq mois en tant que Ministre de l’Education Nationale – et Nicole Belloubet. Une différence importante cependant : ces derniers portent un projet de réforme du collège qui va beaucoup plus loin que ceux de leurs prédécesseurs depuis 1975, au point que certains y voient une volonté de revenir à un collège structuré par classes de niveaux, voire par filières.

                    2.  De l’étude internationale comparative PISA à la volonté de réforme du collège unique :

                    C’est par un discours de présentation qui a fortement marqué les esprits, exprimé le 5 décembre 2023 par Gabriel Attal, qui était alors Ministre de l’Education nationale, que l’expression « choc des savoirs » a été mise sur le devant de la scène politique en général, éducative en particulier, pour désigner le projet de réforme du collège. Le facteur déclenchant découle en grande partie de la publication des résultats de l’évaluation internationale PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) qui, tous les trois ans depuis 2000, compare les acquis des élèves âgés de 15 ans dans 85 pays. Les domaines faisant l’objet de cette étude comparative réalisée en 2022 sont la culture mathématique, la culture scientifique, et la compréhension de l’écrit en langue maternelle.

                    Une fois de plus, l’étude PISA aboutit au constat que les jeunes collégiens français se classent globalement en rang moyen, ce qui n’a rien de flatteur. Mais surtout, si on ne considère que les 10% des élèves français les meilleurs, majoritairement issus de milieux sociaux favorisés, on constate qu’ils obtiennent des résultats parmi les meilleurs des pays faisant l’objet de cette étude, tandis que les 10% des élèves français les plus faibles, majoritairement issus de milieux sociaux défavorisés, obtiennent des résultats inférieurs à ceux des élèves les plus faibles des autres pays.  En d’autres termes, à l’issue de l’enseignement primaire et des trois premières années du collège français, le système scolaire de notre pays fait la preuve de son incapacité à atteindre l’objectif de permettre à tous les élèves de se hisser vers un niveau de réussite digne de ce nom. Il est de ceux qui subissent les plus grands écarts entre les meilleurs élèves et les moins bons.  

                    Comme beaucoup d’autres, le Ministre a été profondément choqué par ce mauvais positionnement des élèves formés en France, et en a conclu que c’est la preuve que notre système d’enseignement primaire et secondaire n’est pas suffisamment efficace. Il y aurait donc nécessité de le réformer en profondeur. Et pour bien enfoncer le clou, le Ministère de l’Education Nationale a publié dans le Bulletin Officiel de l’Education Nationale du 17 mars 2024 une note de service au titre évocateur (« Choc des savoirs, une nouvelle ambition pour le collège »), qui s’ouvre par une longue et édifiante présentation des évaluations PISA et fait observer que « cette situation se traduit, de fait, par l’installation durable de la difficulté scolaire, conduisant la majorité des élèves en grande difficulté à l’entrée en sixième à le rester jusqu’à l’entrée au lycée »

                    3.  Le « choc des savoirs » où le collège tel que Gabriel Attal et son gouvernement le conçoivent :

                    Outre diverses déclarations d’intention étalées de novembre 2023 à mars 2024, les grands contours de cette réforme sont présentés officiellement par deux textes réglementaires en date du 16 mars 2024 : le décret N° 2024-228 « relatif à l’accompagnement pédagogique des élèves scolarisés en collège », et le décret N° 2024-229 « relatif à la mise en place, pour l’année scolaire 2024-2025, d’une phase pilote de l’instauration d’un cycle préparatoire à la classe de seconde »

                    Tous deux ont été publiés au Journal Officiel et au Bulletin Officiel de l’Education Nationale. On y a ajouté une « note de service » en date du 15 mars 2024, qui se veut plus « pratique » que les deux décrets précités en exprimant quelques précisions concernant l’organisation des enseignements en groupes, leurs contenus pédagogiques, la façon d’ajuster les enseignements dispensés en groupes aux besoins des élèves…  D’autres textes réglementaires sont en préparation, qui ne manqueront pas de s’ajouter dans les semaines prochaines, malgré la vive opposition d’une majorité de syndicats d’enseignants, de syndicats et associations de personnels de direction, de parents d’élèves… Sur ce point, la Ministre de l’Education Nationale s’est montrée très déterminée : interrogée sur France Inter le 7 avril 2024 sur ces diverses oppositions, elle a fermement répondu : « je ne leur laisserai pas le choix ! ». C’est donc un véritable « bras de fer » qui est engagé.

                    Concernant le premier de ces deux décrets, il y est rappelé que « lorsqu’il apparait qu’un élève risque de ne pas maîtriser certaines connaissances et compétences attendues à la fin d’un cycle, il implique des pratiques pédagogies diversifiées et différenciées ».  Et d’ajouter que désormais, pour s’efforcer d y remédier, à compter de la rentrée de 2024 pour les classes de sixième et cinquième, puis de la rentrée de 2025 pour les classes de quatrième et troisième, « les enseignements de français et mathématiques, sur tout l’horaire, seront organisés en groupes pour répondre aux besoins des élèves (…). La composition des groupes s’appuie sur l’analyse par le chef d’établissement et les équipes pédagogiques des besoins spécifiques de chaque élève ». Elle « est réexaminée au cours de l’année scolaire afin de tenir compte de la progression et de la diversité des besoins des élèves ». Enfin, il est précisé que « les groupes qui comportent un nombre important d’élèves en difficultés sont en effectifs réduits, le nombre d’une quinzaine d’élèves pouvant à cet égard constituer un objectif pertinent ».

                    On note qu’entre les déclarations qui, dans la courte période où Gabriel Attal était Ministre de l’Education Nationale, annonçaient la future création des « groupes de niveaux », et la date de publication du décret du 17 mars 2024, il y a eu évolution sémantique. La nouvelle Ministre de l’Education Nationale a bien senti que cette expression clivante et stigmatisante ne manquerait pas d’alimenter les oppositions. Elle est donc passée à l’expression « groupe de besoins », et dans sa mouture finale, le décret évoque la volonté d’une organisation en « groupes pour répondre aux besoins des élèves ». C’est là une terminologie plus neutre, mais qui, pour autant, ne change rien à un principe porté par cette réforme qui est de voir le collège unique mis en place en 1975 se muer en une organisation plus différenciée et diversifiée, qui pourrait être un premier pas de côté, au service d’une politique qui réintroduirait des filières séparées et donc reviendrait vers l’esprit du collège d’avant la réforme Haby. Le gouvernement s’en défend bien sûr, mais le doute est permis.

                    Le second décret est « relatif à l’instauration d’un cycle préparatoire à la classe de seconde », et ce dès la rentrée de 2024. De quoi s’agit-il ? Pour bien comprendre cette décision, il faut partir du constat que, tout au long des années 1980/2020, les taux de redoublement en collège, et notamment lors du passage de collège en lycée en fin de troisième, se sont effondrés : en fin de classe de troisième, alors qu’il était proche de 10% en 2000, il a baissé jusqu’à 3% aujourd’hui.

                    Cette évolution découle en partie de diverses mesures ayant permis de placer le pouvoir de décision finale entre les mains des parents d’élèves, consacré par le décret N°2005-1014 du 24 août 2005, et un arrêté en date du 5 décembre 2005, rendant le redoublement « exceptionnel » et n’étant désormais possible que sur demande des familles, et avec l’accord du conseil de classe. Comme alternative au redoublement, ces textes réglementaires invitent les équipes de direction et pédagogiques des établissements scolaires à privilégier le passage en classe supérieure, avec « mise en œuvre d’un dispositif d’aide » au profit des élèves en difficulté, à définir pour chaque élève concerné, dans le cadre d’un « programme personnalisé de réussite éducative ».

                    En outre, le passage en classe de seconde des lycées a longtemps été conditionné par l’obligation de réussite aux épreuves du brevet, examen final des années collège. 0r, alors qu’il était encore Ministre de l’Education Nationale, Gabriel ATTAL – actuel Premier Ministre – a en plusieurs occasion exprimé sa volonté de redonner au brevet (aujourd’hui nommé « diplôme nationale du brevet ») un peu de son lustre passé en en refaisant une condition (parmi d’autres) du passage en lycée. Il est vrai qu’il y avait quelque chose d’incongru dans le fait qu’à l’issue du « collège unique », certains élèves pouvaient être admis en seconde bien qu’ayant échoué à se doter de ce diplôme, et certains autres non admis bien qu’ayant réussi. Par la suite, Nicole Belloubet a confirmé ces annonces, et a concrétisé les choses en édictant le décret N° 2024-229 du 17 mars 2024 dans lequel il est écrit (article 1) qu’à compter de la rentrée 2024, à titre expérimental, « il sera mis en place des classes préparatoires à la classe de seconde (…) accessibles aux élèves admis dans une classe de détermination des voies générale et technologique ou de seconde professionnelle (des lycées), n’ayant pas obtenu le diplôme national du brevet (…) et qui sont intéressés par ce dispositif ».

                    En l’état actuel des choses, ces classes préparatoires à la classe de seconde des lycées seront peu nombreuses, donc proposées par un petit nombre de lycées. Les programmes des enseignements à dispenser dans le cadre de cette classe préparatoire, et leurs horaires hebdomadaires, figurent en annexe du décret précité. « L’organisation et la mise en œuvre de cette formation s’appuient sur un ou des projets pédagogiques dont la thématique est définie par l’équipe pédagogique, à partir de l’identification des besoins, et validée par le chef d‘établissement »

                    4.  Comment mettre en œuvre les « groupes de besoin » ? :

                    Le principe général porté par les deux décrets pré cités et la note de service qui les accompagne est donc qu’il convient (dès la rentrée de 2024 pour les classes de sixième et cinquième, 2025 pour les classes de quatrième et troisième) de répartir les élèves en « groupes de besoin », pour les matières fondamentales que sont les mathématiques et le français, et ce tout au long de l’année scolaire. Il est précisé que ces groupes seront constitués prioritairement pour rassembler les élèves les plus en difficulté, dans des groupes à effectifs réduits. Dans un souci de ne pas figer cette nouvelle organisation sur l’année entière, la note de service pré citée dit que « par dérogation, et afin de garantir la cohérence des progressions pédagogiques des différents groupes, les élèves pourront à titre dérogatoire, être rassemblés dans leur classe de référence, pendant une ou plusieurs périodes, de une à dix semaines dans l’année ». Bel exemple d’usine à gaz ! Bon courage aux équipes pour s’y retrouver et passer au stade de la mise en œuvre.

                    En outre, dans ces textes réglementaires, il est très clairement écrit que cette nouvelle organisation « s’appuie sur l’analyse, par le chef d’établissement et les équipes pédagogiques, des besoins spécifiques de chaque élève, telle qu’elle résulte des conseils école-collège, de l’expertise des professeurs et de l’exploitation des résultats des évaluations de début d’année en collège ». On ajoute que « ces groupes peuvent porter sur divers aspects : l’un des domaines des évaluations nationales (notamment de rentrée en classe de sixième), une partie du programme, ainsi que différentes compétences transversales, par exemple la capacité à se concentrer, à mémoriser ou à organiser son travail ». Voilà pour ce qui est du cahier des charges. Notons qu’une fois encore, cette façon de précéder confirme une tendance à n’user de cette logique du classement des élèves en « groupes de besoin » (ou autres modalités d’accompagnement personnalisé) que dans le seul but de venir en aide aux élèves en difficulté. Nul ne doute que c’est là un objectif qu’il convient de se fixer, mais doit-il être le seul ? Pourquoi ne se préoccupe-t-on pas plus qu’on ne le fait dans l’enseignement secondaire français d’aujourd’hui de permettre aux élèves les plus performants de s’élever plus encore ?Pourquoi si mal récompenser le mérite des meilleurs ? Se fixer un objectif d’amélioration de la réussite des élèves les moins performants c’est bien ! Le faire tout en proposant à celles et ceux qui sont les plus performants des enseignements en « groupes de besoin d’excellence », ne serait-il pas mieux ?

                    5.  Les moyens nécessaires seront-ils au rendez-vous ?

                    Comme chacun peut s’en douter, une telle réforme n’a de chance d’être bien appliquée que si les moyens nécessaires sont octroyés aux établissements scolaires concernés. Les autorités ministérielles et académiques ne cessent d’affirmer que ce sera le cas. La majorité des responsables de syndicats et associations d’enseignants, personnels de direction, parents d’élèves … y croient d’autant moins que chacun sait désormais que la tendance est aux restrictions budgétaires, et que l’Education Nationale n’échappe pas à l’exigence nationale de restreindre la dépense publique. « Qui peut croire que le Ministère de l’Education Nationale va nous déléguer les moyens en ressources humaines et financiers que cette réforme exige, alors que dans le même temps, il nous est demandé de nous préparer à nous serrer la ceinture, donc d’accepter de voir le budget de l’Education Nationale baisser dès 2024, dans le cadre du plan national d’économies, et ce sur plusieurs années ? En réalité, nous avons bien compris que si la réforme du collège se met en place, ce sera en grande partie en demandant aux équipes de chaque établissement de se débrouiller en plus ou moins grande partie avec les moyens préexistants », nous déclare le Principal d’un collège qui souhaite que son anonymat soit protégé.

                    D’après la Direction des ressources humaines du Ministère de l’Education Nationale, la seule mise en place des « groupes de besoin » aux niveaux sixième et cinquième nécessiterait dès la rentrée 2024 la création de 2330 postes supplémentaires de professeurs de mathématiques et lettres, auxquels devront s’ajouter autant de plus à la rentrée 2025, pour pouvoir étendre ce dispositif pédagogique aux classes de quatrième et troisième. Or, ces deux disciplines sont d’ores et déjà fortement déficitaires, nombre de postes offerts aux concours nationaux de recrutement n’étant pas pourvus faute d’un nombre suffisant de candidatures, obligeant à des recrutements compensatoires de professeurs vacataires, nettement moins bien formés.

                    Comment dès lors, croire que l’on va pouvoir répondre de manière satisfaisante à de tels besoins ? Le Ministère a beau répondre qu’il devrait être possible d’y parvenir en recrutant des professeurs vacataires, en utilisant  le vivier des professeurs de mathématiques et lettres partis ou se préparant à partir à la retraite dont une partie pourrait accepter de prolonger leur activité à temps complet ou partiel, en proposant à certains professeurs des écoles d’apporter leur contribution en contrepartie d’une rémunération attractive, en invitant celles et ceux qui sont en activité à augmenter le nombre de leurs heures supplémentaires, en organisant des « sessions spéciales » des CAPES de mathématiques et lettres modernes pour augmenter le nombre des recrutés dans ces deux disciplines…

                    Ce ne sont là que des hypothèses hautement incertaines, qui, au mieux, ne permettront que de satisfaire une partie des besoins. Quant aux moyens financiers que tout cela exige, le Ministère a annoncé qu’une importante partie proviendrait du passage de 26 à 25 heures par semaine du temps de formation hebdomadaire en collège. Rappelons que dans le cadre actuel, la grille horaire hebdomadaire des collégiens comporte quatre heures consacrées à divers enseignements complémentaires de ceux du tronc commun : l’accompagnement personnalisé, diverses activités interdisciplinaires, l’accompagnement aux devoirs…

                    Il a été décidé de réduire cette dotation horaire hebdomadaire à trois heures, libérant une heure qui sera désormais consacrée à la mise en place des « groupes de besoin ».  Pour la rentrée 2024, cette « vingt sixième heure » devrait permettre de financer la création de 1500 postes nouveaux de professeurs de mathématiques et lettres. On est donc loin des 2330 annoncés comme étant nécessaires, auxquels viendront s’ajouter un besoin supplémentaire de 2330 postes supplémentaires qu’il faudra créer à la rentrée 2025.

                    La tentation du recours aux dotations horaires globales (DHG) de chaque collège

                    Nombreux sont celles et ceux qui prédisent qu’il ne sera possible de mettre en œuvre de façon satisfaisante la réforme du collège telle que la veut le gouvernement, qu’en puisant dans la DHG (la dotation horaire globale) qui est chaque année calculée par les services rectoraux pour chaque établissement scolaire secondaire, public ou privé sous contrat. Rappelons qu’il s’agit d’une enveloppe d’heures destinées à assurer l’ensemble des enseignements obligatoires et facultatifs dus aux élèves.  Composée d’heures fixes (parfois nommées « heures postes »), d’heures supplémentaires et de diverses indemnités pour des missions particulières, elle est composée de deux grands blocs : les « heures incompressibles » qui sont destinées à financer les enseignements obligatoires tels que fixés par l’Etat, et des actions pédagogiques supplémentaires facultatives (des options complémentaires en langues ou arts, un club théâtre, une préparation à un ou plusieurs concours, etc.).

                    La crainte de nombre d’acteurs de terrain c’est de voir l’Etat céder à la facilité qui consisterait à demander aux établissements de puiser dans la partie facultative de la DHG pour financer une partie de la mise en place des « groupes pour répondre aux besoins des élèves », obligeant à faire des choix qui conduiront inévitablement à supprimer certaines actions éducatives préexistantes, afin de transférer les moyens correspondant pour mettre en œuvre la réforme du collège.

                    6.  Et si on faisait plus confiance aux capacités de placer de telles démarches dans le cadre d’un renforcement de l’autonomie des établissements et de leurs équipes ?

                    Une fois de plus, pour réformer le collège, le gouvernement s’est inscrit dans une logique « jacobine », en ayant une démarche fondamentalement centralisatrice et donc hiérarchique. A celles et ceux qui se situent au sommet de la pyramide hiérarchique revient le soin de penser et de décider par des textes réglementaires, aux acteurs de terrain la charge d’appliquer ces directives. Comme le faisait remarquer le sociologue des organisations Michel Crozier dans un livre célèbre paru en 1963 (« Le phénomène bureaucratique »), ce mode de fonctionnement hyper centralisé est particulièrement présent dans l’administration Française.

                    Il découle d’une conviction largement répandue qui est que toute décision émanant de l’Etat central devrait être appliquée en strict respect de l’obligation d’égalité, ce qui ne peut être garanti que par une gouvernance fondamentalement encadrée par l’Etat central. La façon dont a été conçue cette réforme du collège en France est typique d’une telle démarche. On a largement fait l’impasse sur la priorité qu’on devrait accorder à la consultation préalable des acteurs locaux, et donc de se fonder sur les réalités particulières propres à chaque territoire. Comme le font collectivement remarquer les signataires d’une tribune libre parue dans le journal Le Monde du 4 avril 2024 sous le titre « La démarche concernant les groupes de niveau est anachronique et inefficace », la démarche choisie par le gouvernement « méconnait un principe que formulait très clairement le sociologue Emile Durkheim il y a plus d’un siècle, dans « L’Evolution pédagogique en France » en considérant qu’« arrêtés et règlements (…) ne peuvent avoir d’autorité véritable que si l’opinion compétente les a devancés, préparés, réclamés, sollicités en quelque sorte, que s’ils en sont l’expression réfléchie, définie et coordonnée, au lieu de prétendre l’inspirer en la règlementant d’office ».

                    En d’autres termes, si on veut motiver les acteurs de terrain pour qu’ils mettent véritablement en œuvre une telle réforme, il convient de commencer par leur exprimer confiance et considération en ne perdant pas de vue le fait qu’un collège est certes placé sous la responsabilité de l’Etat central, mais que fondamentalement, il est ancré sur un territoire qui est doté d’un caractère propre. Perdre de vue ce principe c’est courir un grand risque de refus d’appliquer les normes descendantes et donc de tuer dans l’œuf toute tentative de réforme, fut-elle nécessaire. Si on va au bout d’un tel raisonnement, on peut concevoir un mode de gouvernance du système éducatif qui s’inscrirait dans le cadre de contrats tripartites élaborés entre les responsables et acteurs de terrain dans l’établissement, la ou les collectivités territoriales concernées (ville, commune, département, région selon le type d’établissement scolaire), et l’Etat. C’est selon nous ce qui manque le plus à l’accompagnement du projet de réforme du collège.

                    Conclusion :

                    La réforme du collège, telle que partiellement définie par les arrêtés numéros 2024-228 et 2024-229 du 17 mars 2024 (d’autres textes suivront) et par la note de service du 18 mars 2024, est une réforme qui, pour certains, « fleure bon le retour vers le passé », est tournée vers une époque où, tout au long des années collège, les élèves étaient incités à produire des efforts, à se montrer méritants, au sein de classes différenciées composées d’élèves aux niveaux nettement plus homogènes qu’aujourd’hui, où le pouvoir de décider du passage d’une année scolaire à une autre ou de redoubler était entre les mains des personnels de direction et des enseignants, ou nul ne pouvait entrer en seconde des lycée s’il échouait à se doter du brevet.

                    Cette vision conservatrice du collège repose sur l’idée que, malgré la massification des effectifs d’élèves entrant dans le collège unique, mêlant des élèves aux niveaux différents dans des classes indifférenciées où tous sont supposés pouvoir absorber les mêmes programmes d’enseignements fondamentalement généraux, tous les collégiens parviendront à se doter des acquis de base permettant d’entrer au lycée et de réussir les épreuves du brevet.  Or, tel est loin d’être le cas, ainsi que le démontrent diverses évaluations comparatives comme l’étude PISA.

                    Dès lors, la tentation est forte de réintroduire en collège des filières différenciées, pour mieux répondre aux besoins et capacités différents des élèves, et donc de rompre avec le modèle du « collège unique ». Car il ne faut pas s’y tromper : la constitution en mathématiques et français de groupes selon les niveaux atteints par les élèves constitueraient une différenciation des contenus enseignés et une séparation des élèves, et ce bien avant l’âge de la fin de l’obligation de formation désormais fixée à 18 ans en France.

                    Certains cependant voient dans les diverses mesures de réforme du collège formulées dans les arrêtés du 17 mars 2024 une volonté de trouver une sorte de point d’équilibre entre les tenants de la ligne du maintien du collège unique, et les partisans du retour vers le collège aux filières différenciées. Il est vrai qu’en l’état actuel des textes réglementaires publiés, les groupes de besoin ne sauraient être considérés à eux seuls comme étant une réintroduction de filières séparées. T

                    outefois, en ajoutant à la création de ces groupes de besoin, le fait de rendre aux équipes de direction et d’enseignants le pouvoir de décision en matière de redoublement, en faisant de la réussite au brevet une condition nécessaire mais non suffisante du passage en lycée, en créant pour certains élèves des « classes préparatoires à la classe de seconde », on montre que les groupes de besoins ne sont pas un simple dispositif isolé s’inscrivant dans le cadre du collège unique. On peut y voir les premiers pas vers une réforme beaucoup plus en profondeur qui reviendrait sur le principe du collège unique.

                    Bruno MAGLIULO

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                      Magliulo Bruno

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                      « Une de plus, d’autres suivront » diront certains, accoutumés à voir l’Etat se pencher fréquemment sur le malade que serait à leurs yeux le « collège unique », et prescrire quelques potions de peu d’effets pour l’en guérir, mais suffisantes pour le maintenir en vie. D’autres – moins nombreux semble-t-il – voient dans les décisions qui viennent d’être prises de quoi espérer ce qu’ils pensent être un salutaire retour vers le collège d’antan, celui de l’époque où il était organisé en filières séparées, permettant que chaque élève y reçoive une formation adaptée à son profil, et facilitant le travail des enseignants qui bénéficiaient d’une plus grande homogénéité des élèves de chaque classe, propice à plus d’efficacité des apprentissages.

                      A chacun de se situer par rapport à cette double vision. Seul point de convergence ou presque : une majorité des acteurs de terrain s’accordent pour dénoncer le manque de moyens pour bien appliquer les décisions prises, le déficit en consultation préalable notamment au niveau territorial, le risque de dérive vers une école plus ségrégative … et se rejoignent pour en demander le report, voire la suppression pure et simple.

                      1.  C’est quoi le « collège unique » ?

                      Cette appellation fut donnée à ce maillon de la scolarité mis en place par une loi en date du 11 juillet 1975, dite « loi Haby » du nom du Ministre de l’Education Nationale qui, durant la présidence de Giscard d’Estaing, supprima les trois filières séparées de collège qui existaient jusqu’alors pour les fusionner en une seule, repoussant à l’entrée en lycée le moment où les élèves se répartissent entre diverses filières différenciées.

                      Avant la réforme du 11 juillet 1975, en France, le collège était organisé en trois voies d’études séparées : le « collège d’enseignement secondaire (CES) », qui était un premier cycle de l’enseignement dispensé dans les lycées (voie longue en sept ans, conclue par l’examen du baccalauréat); « le collège d’enseignement général (CEG), d’une durée de quatre ans après le certificat d’études primaires » (voie courte conclue par le « brevet d’études ») ; « le collège d’enseignement technique (CET)».  Pour organiser la répartition des élèves issus de l’enseignement primaire entre ces trois voies, outre l’obligation de réussite au certificat d’études primaires, on soumettait les candidats à la poursuite des études aux épreuves d’un « examen d’entrée en sixième » : à celles et ceux qui obtenaient les meilleurs résultats l’admission en CES, les candidats « moyens » passaient en CEG, le CET accueillait les moins bons.

                      Les objectifs visés par la « réforme Haby » étaient multiples. En tout premier, on lui assigna de bien accompagner la politique de démocratisation marquée par l’ouverture du collège à tous les enfants d’une classe d’âge, portée par la forte croissance démographique d’alors et la décision de faire passer l’âge de la scolarité obligatoire de 14 à 16 ans à partir de 1959. Rappelons que la croissance du nombre des collégiens, longtemps modeste, a commencé à être forte à compter de 1950, et s’est accélérée entre 1950 et 1970, faisant passer les effectifs de collégiens de un à trois millions en vingt ans, ce qui est considérable. C‘était l’époque où le gouvernement annonçait fièrement l’inauguration d’un collège nouveau par jour en moyenne, ce qui permit d’apporter la scolarité en collège jusqu’aux zones géographiques les plus reculées.

                      Un consensus émergea progressivement pour décider d’un objectif de « 100% d’une tranche d’âge au niveau brevet », et conduisit à la conception d’un « collège unique », chargé de doter tous les élèves de ce que l’on que l’on nommait alors un « SMIC culturel commun »

                      Cette politique fit l’objet de vives réserves et oppositions,  exprimées par une majorité des enseignants et de leurs syndicats, qui étaient et sont encore fortement hostiles au surcroit d’hétérogénéité provoqué par cette nouvelle organisation du collège, et le nivellement vers le bas que représentait à leurs yeux l’objectif de doter tous les élèves d’un « SMIC culturel commun » et le placement de tous les collégiens dans des mêmes classes, proposant les mêmes programmes d’enseignement pour les mêmes disciplines. Une partie des familles aussi, notamment celles qui appartenaient à des catégories socio-professionnelles favorisées, qui soutinrent très majoritairement les critiques exprimées par les enseignants.

                      Dès la mise en place du collège unique, en 1977, on assista dans certains collèges à des actes de résistance par la décision de constituer des classes regroupant les élèves selon leurs niveaux respectifs, et ce bien que l’Etat prôna une organisation pédagogique dite « des trois tiers », exigeant que chaque classe de collège additionne environ un tiers de bons élèves, un tiers de moyens et un tiers de faibles. En outre, pour pouvoir atteindre l’objectif de réussite de tous les élèves, on suscita l’invention et l’introduction de « pédagogies d’accompagnement personnalisé des élèves », en particulier conçues pour venir en aide aux élèves en difficultés.

                      Loin de céder, l’Etat choisit de maintenir le collège unique, mais en proposant ou imposant des aménagements supposés suffire à surmonter les difficultés induites par cette réforme. Ce fut d’abord la mise en place de ce que, durant les années 1980, on a nommé « les pédagogies différenciées ; ce fut aussi « l’éducation prioritaire » qui se concrétise par l’introduction de dispositifs de soutien aux élèves les plus en difficultés (le dédoublement de certaines classes, une aide en petits groupes voire individualisée au profit des élèves en difficulté, l’incitation à gérer ces difficultés dans le cadre d’une autonomie pédagogique plus grande de l’établissement scolaire …).

                      Par la suite, chaque nouveau Ministre de l’Education nationale a été confronté à cette très complexe difficulté pédagogique qu’est l’hétérogénéité des élèves constituant une même classe de ce nouveau collège. Ce fut donc normalement le cas pour les deux derniers : Gabriel Attal – devenu Premier Ministre après cinq mois en tant que Ministre de l’Education Nationale – et Nicole Belloubet. Une différence importante cependant : ces derniers portent un projet de réforme du collège qui va beaucoup plus loin que ceux de leurs prédécesseurs depuis 1975, au point que certains y voient une volonté de revenir à un collège structuré par classes de niveaux, voire par filières.

                      2.  De l’étude internationale comparative PISA à la volonté de réforme du collège unique :

                      C’est par un discours de présentation qui a fortement marqué les esprits, exprimé le 5 décembre 2023 par Gabriel Attal, qui était alors Ministre de l’Education nationale, que l’expression « choc des savoirs » a été mise sur le devant de la scène politique en général, éducative en particulier, pour désigner le projet de réforme du collège. Le facteur déclenchant découle en grande partie de la publication des résultats de l’évaluation internationale PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) qui, tous les trois ans depuis 2000, compare les acquis des élèves âgés de 15 ans dans 85 pays. Les domaines faisant l’objet de cette étude comparative réalisée en 2022 sont la culture mathématique, la culture scientifique, et la compréhension de l’écrit en langue maternelle.

                      Une fois de plus, l’étude PISA aboutit au constat que les jeunes collégiens français se classent globalement en rang moyen, ce qui n’a rien de flatteur. Mais surtout, si on ne considère que les 10% des élèves français les meilleurs, majoritairement issus de milieux sociaux favorisés, on constate qu’ils obtiennent des résultats parmi les meilleurs des pays faisant l’objet de cette étude, tandis que les 10% des élèves français les plus faibles, majoritairement issus de milieux sociaux défavorisés, obtiennent des résultats inférieurs à ceux des élèves les plus faibles des autres pays.  En d’autres termes, à l’issue de l’enseignement primaire et des trois premières années du collège français, le système scolaire de notre pays fait la preuve de son incapacité à atteindre l’objectif de permettre à tous les élèves de se hisser vers un niveau de réussite digne de ce nom. Il est de ceux qui subissent les plus grands écarts entre les meilleurs élèves et les moins bons.  

                      Comme beaucoup d’autres, le Ministre a été profondément choqué par ce mauvais positionnement des élèves formés en France, et en a conclu que c’est la preuve que notre système d’enseignement primaire et secondaire n’est pas suffisamment efficace. Il y aurait donc nécessité de le réformer en profondeur. Et pour bien enfoncer le clou, le Ministère de l’Education Nationale a publié dans le Bulletin Officiel de l’Education Nationale du 17 mars 2024 une note de service au titre évocateur (« Choc des savoirs, une nouvelle ambition pour le collège »), qui s’ouvre par une longue et édifiante présentation des évaluations PISA et fait observer que « cette situation se traduit, de fait, par l’installation durable de la difficulté scolaire, conduisant la majorité des élèves en grande difficulté à l’entrée en sixième à le rester jusqu’à l’entrée au lycée »

                      3.  Le « choc des savoirs » où le collège tel que Gabriel Attal et son gouvernement le conçoivent :

                      Outre diverses déclarations d’intention étalées de novembre 2023 à mars 2024, les grands contours de cette réforme sont présentés officiellement par deux textes réglementaires en date du 16 mars 2024 : le décret N° 2024-228 « relatif à l’accompagnement pédagogique des élèves scolarisés en collège », et le décret N° 2024-229 « relatif à la mise en place, pour l’année scolaire 2024-2025, d’une phase pilote de l’instauration d’un cycle préparatoire à la classe de seconde »

                      Tous deux ont été publiés au Journal Officiel et au Bulletin Officiel de l’Education Nationale. On y a ajouté une « note de service » en date du 15 mars 2024, qui se veut plus « pratique » que les deux décrets précités en exprimant quelques précisions concernant l’organisation des enseignements en groupes, leurs contenus pédagogiques, la façon d’ajuster les enseignements dispensés en groupes aux besoins des élèves…  D’autres textes réglementaires sont en préparation, qui ne manqueront pas de s’ajouter dans les semaines prochaines, malgré la vive opposition d’une majorité de syndicats d’enseignants, de syndicats et associations de personnels de direction, de parents d’élèves… Sur ce point, la Ministre de l’Education Nationale s’est montrée très déterminée : interrogée sur France Inter le 7 avril 2024 sur ces diverses oppositions, elle a fermement répondu : « je ne leur laisserai pas le choix ! ». C’est donc un véritable « bras de fer » qui est engagé.

                      Concernant le premier de ces deux décrets, il y est rappelé que « lorsqu’il apparait qu’un élève risque de ne pas maîtriser certaines connaissances et compétences attendues à la fin d’un cycle, il implique des pratiques pédagogies diversifiées et différenciées ».  Et d’ajouter que désormais, pour s’efforcer d y remédier, à compter de la rentrée de 2024 pour les classes de sixième et cinquième, puis de la rentrée de 2025 pour les classes de quatrième et troisième, « les enseignements de français et mathématiques, sur tout l’horaire, seront organisés en groupes pour répondre aux besoins des élèves (…). La composition des groupes s’appuie sur l’analyse par le chef d’établissement et les équipes pédagogiques des besoins spécifiques de chaque élève ». Elle « est réexaminée au cours de l’année scolaire afin de tenir compte de la progression et de la diversité des besoins des élèves ». Enfin, il est précisé que « les groupes qui comportent un nombre important d’élèves en difficultés sont en effectifs réduits, le nombre d’une quinzaine d’élèves pouvant à cet égard constituer un objectif pertinent ».

                      On note qu’entre les déclarations qui, dans la courte période où Gabriel Attal était Ministre de l’Education Nationale, annonçaient la future création des « groupes de niveaux », et la date de publication du décret du 17 mars 2024, il y a eu évolution sémantique. La nouvelle Ministre de l’Education Nationale a bien senti que cette expression clivante et stigmatisante ne manquerait pas d’alimenter les oppositions. Elle est donc passée à l’expression « groupe de besoins », et dans sa mouture finale, le décret évoque la volonté d’une organisation en « groupes pour répondre aux besoins des élèves ». C’est là une terminologie plus neutre, mais qui, pour autant, ne change rien à un principe porté par cette réforme qui est de voir le collège unique mis en place en 1975 se muer en une organisation plus différenciée et diversifiée, qui pourrait être un premier pas de côté, au service d’une politique qui réintroduirait des filières séparées et donc reviendrait vers l’esprit du collège d’avant la réforme Haby. Le gouvernement s’en défend bien sûr, mais le doute est permis.

                      Le second décret est « relatif à l’instauration d’un cycle préparatoire à la classe de seconde », et ce dès la rentrée de 2024. De quoi s’agit-il ? Pour bien comprendre cette décision, il faut partir du constat que, tout au long des années 1980/2020, les taux de redoublement en collège, et notamment lors du passage de collège en lycée en fin de troisième, se sont effondrés : en fin de classe de troisième, alors qu’il était proche de 10% en 2000, il a baissé jusqu’à 3% aujourd’hui.

                      Cette évolution découle en partie de diverses mesures ayant permis de placer le pouvoir de décision finale entre les mains des parents d’élèves, consacré par le décret N°2005-1014 du 24 août 2005, et un arrêté en date du 5 décembre 2005, rendant le redoublement « exceptionnel » et n’étant désormais possible que sur demande des familles, et avec l’accord du conseil de classe. Comme alternative au redoublement, ces textes réglementaires invitent les équipes de direction et pédagogiques des établissements scolaires à privilégier le passage en classe supérieure, avec « mise en œuvre d’un dispositif d’aide » au profit des élèves en difficulté, à définir pour chaque élève concerné, dans le cadre d’un « programme personnalisé de réussite éducative ».

                      En outre, le passage en classe de seconde des lycées a longtemps été conditionné par l’obligation de réussite aux épreuves du brevet, examen final des années collège. 0r, alors qu’il était encore Ministre de l’Education Nationale, Gabriel ATTAL – actuel Premier Ministre – a en plusieurs occasion exprimé sa volonté de redonner au brevet (aujourd’hui nommé « diplôme nationale du brevet ») un peu de son lustre passé en en refaisant une condition (parmi d’autres) du passage en lycée. Il est vrai qu’il y avait quelque chose d’incongru dans le fait qu’à l’issue du « collège unique », certains élèves pouvaient être admis en seconde bien qu’ayant échoué à se doter de ce diplôme, et certains autres non admis bien qu’ayant réussi. Par la suite, Nicole Belloubet a confirmé ces annonces, et a concrétisé les choses en édictant le décret N° 2024-229 du 17 mars 2024 dans lequel il est écrit (article 1) qu’à compter de la rentrée 2024, à titre expérimental, « il sera mis en place des classes préparatoires à la classe de seconde (…) accessibles aux élèves admis dans une classe de détermination des voies générale et technologique ou de seconde professionnelle (des lycées), n’ayant pas obtenu le diplôme national du brevet (…) et qui sont intéressés par ce dispositif ».

                      En l’état actuel des choses, ces classes préparatoires à la classe de seconde des lycées seront peu nombreuses, donc proposées par un petit nombre de lycées. Les programmes des enseignements à dispenser dans le cadre de cette classe préparatoire, et leurs horaires hebdomadaires, figurent en annexe du décret précité. « L’organisation et la mise en œuvre de cette formation s’appuient sur un ou des projets pédagogiques dont la thématique est définie par l’équipe pédagogique, à partir de l’identification des besoins, et validée par le chef d‘établissement »

                      4.  Comment mettre en œuvre les « groupes de besoin » ? :

                      Le principe général porté par les deux décrets pré cités et la note de service qui les accompagne est donc qu’il convient (dès la rentrée de 2024 pour les classes de sixième et cinquième, 2025 pour les classes de quatrième et troisième) de répartir les élèves en « groupes de besoin », pour les matières fondamentales que sont les mathématiques et le français, et ce tout au long de l’année scolaire. Il est précisé que ces groupes seront constitués prioritairement pour rassembler les élèves les plus en difficulté, dans des groupes à effectifs réduits. Dans un souci de ne pas figer cette nouvelle organisation sur l’année entière, la note de service pré citée dit que « par dérogation, et afin de garantir la cohérence des progressions pédagogiques des différents groupes, les élèves pourront à titre dérogatoire, être rassemblés dans leur classe de référence, pendant une ou plusieurs périodes, de une à dix semaines dans l’année ». Bel exemple d’usine à gaz ! Bon courage aux équipes pour s’y retrouver et passer au stade de la mise en œuvre.

                      En outre, dans ces textes réglementaires, il est très clairement écrit que cette nouvelle organisation « s’appuie sur l’analyse, par le chef d’établissement et les équipes pédagogiques, des besoins spécifiques de chaque élève, telle qu’elle résulte des conseils école-collège, de l’expertise des professeurs et de l’exploitation des résultats des évaluations de début d’année en collège ». On ajoute que « ces groupes peuvent porter sur divers aspects : l’un des domaines des évaluations nationales (notamment de rentrée en classe de sixième), une partie du programme, ainsi que différentes compétences transversales, par exemple la capacité à se concentrer, à mémoriser ou à organiser son travail ». Voilà pour ce qui est du cahier des charges. Notons qu’une fois encore, cette façon de précéder confirme une tendance à n’user de cette logique du classement des élèves en « groupes de besoin » (ou autres modalités d’accompagnement personnalisé) que dans le seul but de venir en aide aux élèves en difficulté. Nul ne doute que c’est là un objectif qu’il convient de se fixer, mais doit-il être le seul ? Pourquoi ne se préoccupe-t-on pas plus qu’on ne le fait dans l’enseignement secondaire français d’aujourd’hui de permettre aux élèves les plus performants de s’élever plus encore ?Pourquoi si mal récompenser le mérite des meilleurs ? Se fixer un objectif d’amélioration de la réussite des élèves les moins performants c’est bien ! Le faire tout en proposant à celles et ceux qui sont les plus performants des enseignements en « groupes de besoin d’excellence », ne serait-il pas mieux ?

                      5.  Les moyens nécessaires seront-ils au rendez-vous ?

                      Comme chacun peut s’en douter, une telle réforme n’a de chance d’être bien appliquée que si les moyens nécessaires sont octroyés aux établissements scolaires concernés. Les autorités ministérielles et académiques ne cessent d’affirmer que ce sera le cas. La majorité des responsables de syndicats et associations d’enseignants, personnels de direction, parents d’élèves … y croient d’autant moins que chacun sait désormais que la tendance est aux restrictions budgétaires, et que l’Education Nationale n’échappe pas à l’exigence nationale de restreindre la dépense publique. « Qui peut croire que le Ministère de l’Education Nationale va nous déléguer les moyens en ressources humaines et financiers que cette réforme exige, alors que dans le même temps, il nous est demandé de nous préparer à nous serrer la ceinture, donc d’accepter de voir le budget de l’Education Nationale baisser dès 2024, dans le cadre du plan national d’économies, et ce sur plusieurs années ? En réalité, nous avons bien compris que si la réforme du collège se met en place, ce sera en grande partie en demandant aux équipes de chaque établissement de se débrouiller en plus ou moins grande partie avec les moyens préexistants », nous déclare le Principal d’un collège qui souhaite que son anonymat soit protégé.

                      D’après la Direction des ressources humaines du Ministère de l’Education Nationale, la seule mise en place des « groupes de besoin » aux niveaux sixième et cinquième nécessiterait dès la rentrée 2024 la création de 2330 postes supplémentaires de professeurs de mathématiques et lettres, auxquels devront s’ajouter autant de plus à la rentrée 2025, pour pouvoir étendre ce dispositif pédagogique aux classes de quatrième et troisième. Or, ces deux disciplines sont d’ores et déjà fortement déficitaires, nombre de postes offerts aux concours nationaux de recrutement n’étant pas pourvus faute d’un nombre suffisant de candidatures, obligeant à des recrutements compensatoires de professeurs vacataires, nettement moins bien formés.

                      Comment dès lors, croire que l’on va pouvoir répondre de manière satisfaisante à de tels besoins ? Le Ministère a beau répondre qu’il devrait être possible d’y parvenir en recrutant des professeurs vacataires, en utilisant  le vivier des professeurs de mathématiques et lettres partis ou se préparant à partir à la retraite dont une partie pourrait accepter de prolonger leur activité à temps complet ou partiel, en proposant à certains professeurs des écoles d’apporter leur contribution en contrepartie d’une rémunération attractive, en invitant celles et ceux qui sont en activité à augmenter le nombre de leurs heures supplémentaires, en organisant des « sessions spéciales » des CAPES de mathématiques et lettres modernes pour augmenter le nombre des recrutés dans ces deux disciplines…

                      Ce ne sont là que des hypothèses hautement incertaines, qui, au mieux, ne permettront que de satisfaire une partie des besoins. Quant aux moyens financiers que tout cela exige, le Ministère a annoncé qu’une importante partie proviendrait du passage de 26 à 25 heures par semaine du temps de formation hebdomadaire en collège. Rappelons que dans le cadre actuel, la grille horaire hebdomadaire des collégiens comporte quatre heures consacrées à divers enseignements complémentaires de ceux du tronc commun : l’accompagnement personnalisé, diverses activités interdisciplinaires, l’accompagnement aux devoirs…

                      Il a été décidé de réduire cette dotation horaire hebdomadaire à trois heures, libérant une heure qui sera désormais consacrée à la mise en place des « groupes de besoin ».  Pour la rentrée 2024, cette « vingt sixième heure » devrait permettre de financer la création de 1500 postes nouveaux de professeurs de mathématiques et lettres. On est donc loin des 2330 annoncés comme étant nécessaires, auxquels viendront s’ajouter un besoin supplémentaire de 2330 postes supplémentaires qu’il faudra créer à la rentrée 2025.

                      La tentation du recours aux dotations horaires globales (DHG) de chaque collège

                      Nombreux sont celles et ceux qui prédisent qu’il ne sera possible de mettre en œuvre de façon satisfaisante la réforme du collège telle que la veut le gouvernement, qu’en puisant dans la DHG (la dotation horaire globale) qui est chaque année calculée par les services rectoraux pour chaque établissement scolaire secondaire, public ou privé sous contrat. Rappelons qu’il s’agit d’une enveloppe d’heures destinées à assurer l’ensemble des enseignements obligatoires et facultatifs dus aux élèves.  Composée d’heures fixes (parfois nommées « heures postes »), d’heures supplémentaires et de diverses indemnités pour des missions particulières, elle est composée de deux grands blocs : les « heures incompressibles » qui sont destinées à financer les enseignements obligatoires tels que fixés par l’Etat, et des actions pédagogiques supplémentaires facultatives (des options complémentaires en langues ou arts, un club théâtre, une préparation à un ou plusieurs concours, etc.).

                      La crainte de nombre d’acteurs de terrain c’est de voir l’Etat céder à la facilité qui consisterait à demander aux établissements de puiser dans la partie facultative de la DHG pour financer une partie de la mise en place des « groupes pour répondre aux besoins des élèves », obligeant à faire des choix qui conduiront inévitablement à supprimer certaines actions éducatives préexistantes, afin de transférer les moyens correspondant pour mettre en œuvre la réforme du collège.

                      6.  Et si on faisait plus confiance aux capacités de placer de telles démarches dans le cadre d’un renforcement de l’autonomie des établissements et de leurs équipes ?

                      Une fois de plus, pour réformer le collège, le gouvernement s’est inscrit dans une logique « jacobine », en ayant une démarche fondamentalement centralisatrice et donc hiérarchique. A celles et ceux qui se situent au sommet de la pyramide hiérarchique revient le soin de penser et de décider par des textes réglementaires, aux acteurs de terrain la charge d’appliquer ces directives. Comme le faisait remarquer le sociologue des organisations Michel Crozier dans un livre célèbre paru en 1963 (« Le phénomène bureaucratique »), ce mode de fonctionnement hyper centralisé est particulièrement présent dans l’administration Française.

                      Il découle d’une conviction largement répandue qui est que toute décision émanant de l’Etat central devrait être appliquée en strict respect de l’obligation d’égalité, ce qui ne peut être garanti que par une gouvernance fondamentalement encadrée par l’Etat central. La façon dont a été conçue cette réforme du collège en France est typique d’une telle démarche. On a largement fait l’impasse sur la priorité qu’on devrait accorder à la consultation préalable des acteurs locaux, et donc de se fonder sur les réalités particulières propres à chaque territoire. Comme le font collectivement remarquer les signataires d’une tribune libre parue dans le journal Le Monde du 4 avril 2024 sous le titre « La démarche concernant les groupes de niveau est anachronique et inefficace », la démarche choisie par le gouvernement « méconnait un principe que formulait très clairement le sociologue Emile Durkheim il y a plus d’un siècle, dans « L’Evolution pédagogique en France » en considérant qu’« arrêtés et règlements (…) ne peuvent avoir d’autorité véritable que si l’opinion compétente les a devancés, préparés, réclamés, sollicités en quelque sorte, que s’ils en sont l’expression réfléchie, définie et coordonnée, au lieu de prétendre l’inspirer en la règlementant d’office ».

                      En d’autres termes, si on veut motiver les acteurs de terrain pour qu’ils mettent véritablement en œuvre une telle réforme, il convient de commencer par leur exprimer confiance et considération en ne perdant pas de vue le fait qu’un collège est certes placé sous la responsabilité de l’Etat central, mais que fondamentalement, il est ancré sur un territoire qui est doté d’un caractère propre. Perdre de vue ce principe c’est courir un grand risque de refus d’appliquer les normes descendantes et donc de tuer dans l’œuf toute tentative de réforme, fut-elle nécessaire. Si on va au bout d’un tel raisonnement, on peut concevoir un mode de gouvernance du système éducatif qui s’inscrirait dans le cadre de contrats tripartites élaborés entre les responsables et acteurs de terrain dans l’établissement, la ou les collectivités territoriales concernées (ville, commune, département, région selon le type d’établissement scolaire), et l’Etat. C’est selon nous ce qui manque le plus à l’accompagnement du projet de réforme du collège.

                      Conclusion :

                      La réforme du collège, telle que partiellement définie par les arrêtés numéros 2024-228 et 2024-229 du 17 mars 2024 (d’autres textes suivront) et par la note de service du 18 mars 2024, est une réforme qui, pour certains, « fleure bon le retour vers le passé », est tournée vers une époque où, tout au long des années collège, les élèves étaient incités à produire des efforts, à se montrer méritants, au sein de classes différenciées composées d’élèves aux niveaux nettement plus homogènes qu’aujourd’hui, où le pouvoir de décider du passage d’une année scolaire à une autre ou de redoubler était entre les mains des personnels de direction et des enseignants, ou nul ne pouvait entrer en seconde des lycée s’il échouait à se doter du brevet.

                      Cette vision conservatrice du collège repose sur l’idée que, malgré la massification des effectifs d’élèves entrant dans le collège unique, mêlant des élèves aux niveaux différents dans des classes indifférenciées où tous sont supposés pouvoir absorber les mêmes programmes d’enseignements fondamentalement généraux, tous les collégiens parviendront à se doter des acquis de base permettant d’entrer au lycée et de réussir les épreuves du brevet.  Or, tel est loin d’être le cas, ainsi que le démontrent diverses évaluations comparatives comme l’étude PISA.

                      Dès lors, la tentation est forte de réintroduire en collège des filières différenciées, pour mieux répondre aux besoins et capacités différents des élèves, et donc de rompre avec le modèle du « collège unique ». Car il ne faut pas s’y tromper : la constitution en mathématiques et français de groupes selon les niveaux atteints par les élèves constitueraient une différenciation des contenus enseignés et une séparation des élèves, et ce bien avant l’âge de la fin de l’obligation de formation désormais fixée à 18 ans en France.

                      Certains cependant voient dans les diverses mesures de réforme du collège formulées dans les arrêtés du 17 mars 2024 une volonté de trouver une sorte de point d’équilibre entre les tenants de la ligne du maintien du collège unique, et les partisans du retour vers le collège aux filières différenciées. Il est vrai qu’en l’état actuel des textes réglementaires publiés, les groupes de besoin ne sauraient être considérés à eux seuls comme étant une réintroduction de filières séparées. T

                      outefois, en ajoutant à la création de ces groupes de besoin, le fait de rendre aux équipes de direction et d’enseignants le pouvoir de décision en matière de redoublement, en faisant de la réussite au brevet une condition nécessaire mais non suffisante du passage en lycée, en créant pour certains élèves des « classes préparatoires à la classe de seconde », on montre que les groupes de besoins ne sont pas un simple dispositif isolé s’inscrivant dans le cadre du collège unique. On peut y voir les premiers pas vers une réforme beaucoup plus en profondeur qui reviendrait sur le principe du collège unique.

                      Bruno MAGLIULO

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                        Magliulo Bruno

                        10 scénarios pédagogiques avec l’IA

                        1 semaine 2 jours ago
                        Voici, pour les enseignants, 10 scénarios pédagogiques à mettre en œuvre tout en s’aidant de l’intelligence artificielle, permettant de créer…Voilà ce que propose cette nouvelle formation dans laquelle les participants peuvent choisir voire composer, un peu comme dans un buffet, le plat de leur choix.

                        Ces scénarios sont classés par ordre de difficulté et se présentent sous la forme de challenges à relever.

                        À chaque fois, un bonus permet d’aller un peu plus loin pour ceux qui le désirent, en suggérant une difficulté ou une étape supplémentaires.

                        Tout est expliqué et détaillé sur ce document qui fait office de menu et si certains scénarios vous paraissent difficiles à réaliser, une aide est proposée pour vous mettre le pied à l’étrier :

                        Scénario 1 Un imagier sonore

                        Scénario 2 Le jeu des sept différences

                        Scénario 3 Une carte pour rédiger

                        Scénario 4 Des textes à écouter

                        Scénario 5 Un texte annoté et un quiz

                        Scénario 6 Un texte différent par élève

                        Scénario 7 Un tuteur personnel

                        Scénario 8 Créer une bande dessinée

                        Scénario 9 Écoute d’un podcast

                        Scénario 10 La chasse au trésor

                         

                        Ci-dessous, un exemple de carte au trésor (dixième scénario) dont l’image a été générée avec Midjourney, le contenu des exercices avec chatGPT, les exercices eux-mêmes avec H5P et le tout présenté dans Genially. Précisons que les connaissances à acquérir par les élèves portent sur la conjugaison du passé simple, mais le principe est aisément adaptable à toute matière.

                        Cette formation s’inscrit dans la continuité de celle qui avait été proposée en janvier dernier et qui s’intitulait 21 ateliers sur l’IA pour les enseignants.

                        https://www.ralentirtravaux.com/le_blog/10-scenarios-pedagogiques-avec-lia/

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                          Houry Yann

                          IA World Summit Americas 2024

                          1 semaine 2 jours ago
                          The Times They Are a-Changin prophétisait Bob Dylan, ce barde de la contre-culture états-uniennes dans les années 60.  Je ne…L’intelligence artificielle (IA) réinvente le monde, en voici quelques exemples bonifiés avec l’assistance de ChatGPT : Netflix révolutionne l’industrie cinématographique.

                          Très souvent Netflix joue tous les rôles autrefois réservés aux sociétés de production de cinéma étant à la fois, réalisateur, scénariste, producteur, monteur, désigner de production et distributeur en streaming, donnant accès à ses productions à tout moment et en tout lieu, depuis n'importe quel appareil connecté à Internet.

                          Que sait-on de l’impact probable de la technique de synthèse multimédia qui repose sur l’intelligence artificielle que l’on nomme hypertrucage ou DeepFake sur les élections prévues dans plusieurs pays dans les deux prochaines années ?

                          Désinformation et manipulation électorale : créer des vidéos trompeuses de candidats politiques ou de personnalités influentes, diffusant ainsi de fausses déclarations, des comportements compromettants ou des discours incendiaires

                          Diffusion de fausses nouvelles : créer des reportages vidéo falsifiés ou des interviews fictives conçus pour ressembler à des informations légitimes et contribuer à la propagation de la désinformation et à la manipulation de l'opinion publique.

                          Attaques contre les candidats : les adversaires politiques pourraient utiliser des deepfakes pour diffuser des vidéos compromettantes ou diffamatoires dans le but de discréditer un candidat ou de nuire à sa réputation.

                          Perte de confiance dans le processus électoral : la prolifération des deepfakes pourrait éroder la confiance des électeurs dans l'intégrité du processus électoral semant le doute sur l'authenticité des informations et des médias diffusés pendant la campagne électorale Difficulté à détecter les manipulations : les deepfakes peuvent être extrêmement difficiles à détecter, en particulier pour les électeurs qui pourraient être peu familiers avec cette technologie.

                          Il est crucial pour les gouvernements, les institutions électorales, les plateformes de médias sociaux et les citoyens de rester vigilants, de promouvoir la littératie numérique et de développer des outils et des méthodes de détection des deepfakes.

                          L’IA dit-on rendrait l’humain paresseux car les applications de cette technologie automatisent une grande partie du travail.

                          L'IA peut automatiser de nombreuses tâches, ce qui signifie que les humains n'ont plus besoin de les accomplir manuellement.

                          À mesure que les systèmes d'IA deviennent plus avancés et omniprésents, les gens peuvent devenir dépendants de ces technologies pour résoudre des problèmes ou prendre des décisions à leur place, ce qui peut entraîner une diminution de l'initiative individuelle et de la motivation.

                          Si les humains se reposent trop sur l'IA pour prendre des décisions ou résoudre des problèmes, cela peut conduire à une diminution de leur capacité à penser de manière critique et à trouver des solutions par eux-mêmes.

                          L'IA peut également rendre les humains paresseux sur le plan cognitif en effectuant des tâches intellectuelles à leur place. Par exemple, les assistants virtuels peuvent effectuer des recherches, résoudre des problèmes mathématiques ou même composer des messages écrits, réduisant ainsi le besoin pour les individus d'engager leur propre réflexion.  Qui refuse le correcteur automatique de ses textes ?

                          C'est la responsabilité des individus et de la société dans son ensemble de trouver un équilibre sain dans l'utilisation de l'IA.

                          L'adoption de l'IA pourrait aggraver les inégalités économiques et sociales si elle n'est pas correctement gérée.

                          Les entreprises et les gouvernements devront s'efforcer de garantir que les avantages de l'IA sont répartis équitablement et que personne n'est laissé pour compte.

                          Différents pays intègrent différemment cette technologie. 

                          Pour faire face au vieillissement de sa population et d'une concurrence internationale renforcée, le gouvernement japonais se tourne vers l’intelligence artificielle (IA), le big-data et l’internet des objets (IdO) qu’il place au cœur de sa stratégie de relance nationale.  Par contre, on observe une grande résistance au Royaume Uni à l’adoption de l’intelligence artificielle.   

                          Le débat sur la réglementation des systèmes d’intelligence artificielle (IA) génératives comme ChatGPT divise le monde en deux. Si, au sommet de Hiroshima en mai 2023, le G7 a préconisé “une IA digne de confiance”, certains pays comme le Japon se montrent plus réticents à réglementer ces technologies qu’il considère essentielles à son développement.

                                                  Par contre …

                          Le MIT a fait une étude en 2023 et 75% des entreprises interviewées affirmaient adopter l’IA dans la prochaine année pour améliorer leurs rendements.  Or, un an plus tard, uniquement 9% d’entre elles utilisent des technologies d’intelligence artificielle.  Que réserve l’avenir ?

                          Connaissez-vous cette anecdote qui date de la course vers l’espace ?  La NASA disposait alors d’imposants budgets pour surpasser l’URSS.  Or, on n’arrivait pas pas à utiliser les stylos traditionnels pour prendre des notes. Sans l’influence de la gravité, l’encre du stylo ne parvient plus à la bille.  La NASA a lancé des recherches autour d'un stylo fonctionnel mais s'est rapidement rendu compte que les coûts seraient ridiculement importants. C’est pourquoi les astronautes américains et les cosmonautes soviétiques utilisaient initialement des crayons à papier lors des vols spatiaux.  Cette historiette est utilisée comme exemple quant à l’utilisation de l’IA par une entreprise. Faut-il choisir la solution de l’Intelligence artificielle quand il existe une façon plus simple, moins dispendieuse de régler un problème au sein de l’entreprise ?

                          Le lancement de Chat GPT a éveillé des millions de personnes sur Terre en novembre 2022 à la réalité de l’intelligence artificielle

                          Depuis toutes les rencontres (en éducation entre autres) en discutent, quand elles ne lui sont pas entièrement consacré. L’IA est le sujet du jour et bien sûr personne ne veut sembler ringard.  Chacun veut placer son grain de sel au débat.

                          L’IA c’est un peu le monde d’Harry Porter.  C’est la magie technologique. Ses sortilèges peuvent être bénéfiques ou maléfiques ou complètement ratés selon les talents et les intentions du magicien.  Lambert Hogenhout, Chief Data, Analytics and Emerging Technologies aux Nations Unies, le rappelle … un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. De nos jours, être un expert en IA ou un data scientist, c'est comme avoir des super pouvoirs : avoir un impact disproportionné sur le monde. Cela signifie également avoir une responsabilité quant à la manière dont est exercé ce pouvoir. A-t-on besoin d’un serment d’Hippocrate pour la science des données ? Comment pouvons-nous, en tant qu’individus et entreprises, nous comporter de manière responsable ?

                          IA World Summit 2024 Les thèmes clés de 2024 sont indicatifs des tendances.  Quelques exemples :

                          Adoption de l’IA : qu’est-ce qui favorise l’adoption réussie de l’IA en entreprise ?

                                      AI adoption – making the right decisions for your organization

                                      Adoption de l’IA – prendre les bonnes décisions pour votre organisation, un atelier.   

                          Les participants à cet atelier ont bénéficié d'une expérience pratique d'évaluation de cas d'utilisation de l'IA par rapport aux valeurs de leur propre entreprise, à l'aide d'un cadre d'éthique des données et de l’IA.

                          IA centrée sur l’humain : Comment l’essor de l’IA générative va-t-il orienter le débat sur la nécessité d’une IA centrée sur l’humain ?

                                      Human at the helm: Leading in AI today, preparing for the AI of tomorrow

                                     L’humain aux commandes : leader en IA aujourd’hui, préparer l’IA de demain

                             Marc Mathieu, Cofondateur. Salesforce Emerging Studio. 

                          Comment favoriser un environnement d’IA sûr, sécurisé et digne de confiance où les humains et l’IA peuvent travailler en harmonie ?

                                      Human by design: How AI unleashes the next level of human potential

                                      Human by design : comment l’IA libère le prochain niveau de potentiel humain

                          Krish Banerjee, Directeur - Data & AI Lead, Accenture Canada.

                          Nous créons une génération de technologie plus humaine. Nous devons nous efforcer de rendre la technologie plus intuitive, plus intelligente et intégrée de manière transparente à tous les aspects de nos vies.  Dans les années à venir, les entreprises disposeront d’un éventail de technologies de plus en plus puissantes qui ouvriront de nouvelles voies pour libérer davantage de potentiel humain, de productivité et de créativité…leurs stratégies s’appuient sur un fil conducteur : la technologie devient plus humaine.

                          Maximiser les opportunités de l’IA : devrions-nous sprinter vers un avenir alimenté par l’IA ou faire une marche prudente, en équilibrant innovation et sécurité ?

                                      Maximizing the AI Opportunity: Balancing competitive-advantage and safety with AI innovation

                                      Maximiser les opportunités de l’IA : équilibrer l’avantage concurrentiel et la sécurité avec l’innovation en matière d’IA

                          Table ronde avec : Alyssa Lefaivre Škopac, Head of Global Partnerships and Growth, Responsible AI Institute, Onyinye Enyia Daniel, Vice President, Data & Analytics Strategy, Highmark Health, Elena Fersman, VP Head of Global AI Accelerator & Head of Silicon Valley Site, Ericsson, Chantal Guay, CEO, Standards Council of Canada, Marc Mathieu, SVP AI Transformation & Vice Chair, Salesforce Global Advisory Board, Salesforce

                          Modérateur - Philip Dawson, Head of AI Policy, Armilla AI

                          Des leaders et des experts discutent de stratégies visant à synchroniser l’adoption de l’IA avec une gestion efficace des risques et des mesures de sécurité afin de tirer parti de l’innovation en matière d’IA en toute confiance.

                          Cyber- sécurité: quel sera l'impact des LLM et de l'IA sur le paysage de la cyber-sécurité?

                                      AI: Unexplainable, Unpredictable, Uncontrollable

                                      IA : inexplicable, imprévisible, incontrôlable

                          Dr. Roman V. Yampolskiy, Author; Associate Professor of Computer Science and Engineering, University of Louisville -

                          Quels sont les progrès actuels de l'intelligence artificielle et les développements futurs prévus, notamment l'intelligence artificielle générale et la super -intelligence. L'exposé aborde certains obstacles au progrès dans le développement d'une IA sûre ainsi que les questions éthiques associées aux machines intelligentes avancées. La problématique du contrôle est abordée dans le contexte de la sûreté et de la sécurité de l’IA.

                          L’IA et le lieu de travail : comment devrions-nous nous préparer à l’ère d’une main-d’œuvre augmentée ?

                          Carrefour: how AI and Gen AI are boosting the retail giant’s operational efficiency and customer experience

                          Carrefour : comment l’IA et la Gen AI boostent l’efficacité opérationnelle et l’expérience client du géant de la distribution

                          Sebastien Rozanes, Global Chief Data & Analytics Officer, Carrefour.

                          Carrefour a développé une stratégie qui place la data et l'intelligence artificielle au cœur de son modèle économique, avec pour objectif de rendre les collaborateurs plus efficaces et d'améliorer l'expérience client. La data, l'A.I. et, plus récemment, l'IA générative révolutionne ce géant de la vente au détail.

                                      How should we prepare for the era of an augmented workforce?

                                      Comment devrions-nous nous préparer à l’ère d’une main-d’œuvre augmentée ?

                          Mar Carpanelli, Head of AI & Skills Research, LinkedIn, Dr Kevin J.Jones, IU Columbus Director of the Center for Teaching and Learning; Director, Center for Teaching and Learning; Associate Professor of Management, Division of Business, Indiana University - Columbus, Jared Spataro, Corporate Vice President, AI at Work, Microsoft, Natalie Mayerhofer, Associate to the Chief Learning Officer (CHUM), Co-Founder, CHUM School of AI in Healthcare

                          Modérateur - Alka Roy, Product & Technology Leader, Founder, RI Labs & The Responsible Innovation Project, Guest Lecturer, University of California, Berkeley. 

                          Quelles sont les compétences de demain sur lesquelles nous devons nous concentrer aujourd’hui ?  L’IA aidera-t-elle les humains à accomplir le travail qu’ils effectuent déjà, mais simplement avec plus de rapidité et d’efficacité ? La créativité humaine authentique sera-t-elle noyée par une vague de contenu généré de manière algorithmique ?

                          Démocratiser les connaissances sur l’IA :

                          Pouvons-nous démocratiser les connaissances sur l’IA et l’IA responsable afin que les gens puissent comprendre de manière significative les impacts, les méfaits et les opportunités de la plus grande innovation technologique d’une génération ?

                          Un changement majeur prévisible …

                          Une boutade souvent lue : « les gens ne lisent plus, ils écrivent..» Et c’est de plus en plus vrai dans le domaine des publications scientifiques à un point tel que les bibliothèques universitaires ne peuvent plus se payer les revues savantes trop nombreuses. L’Acfas y a d’ailleurs consacré l’une de ses chroniques [i] où on peut lire entre autres : 

                          Les périodiques scientifiques : peut-on gérer le raz-de-marée ? par Yves Gingras de l’Uqam. [ii]

                          soyons sans illusion : la prolifération de la littérature scientifique …  ne pourra poursuivre indéfiniment sa course exponentielle, comme l'avait déjà prévu avec bon sens Derek Price il y a 30 ans déjà. En attendant, on continuera d'entendre de nos Cassandre que le système de la communication scientifique court à l'effondrement par sa surabondance même, mais on continuera néanmoins de mieux et plus rapidement s'informer que nos prédécesseurs.

                          Et si l’IA venait à la rescousse ! 

                          C’est ce que propose avec grand sérieux et expérience à l’appui, le professeur Larry Heck de la Georgia Tech (Georgia School of Technology).  Après avoir travaillé 30 ans au sein de l’industrie (SRI’s Nuance Communications, Yahoo, Microsoft, Google Research) où il a été le pionnier des assistants personnels conversationnels basés sur l'apprentissage profond et l'intelligence artificielle, il revient comme professeur à Georgia Tech où il a mis en place son laboratoire AI Virtual Assistant (AVA), où lui et ses étudiants développent son assistant de nouvelle génération, le « AVA Digital Human ».

                          Plutôt que de remplacer les humains, cette perspective considère l’IA comme un collaborateur qui augmente et élève l’humanité. L’IA travaille en tandem avec les humains, étendant nos capacités bien au-delà des limites actuelles et nous conférant des super pouvoirs de créativité et de productivité sans précédent. Au lieu de considérer l’IA comme un simple automate, elle se transforme en notre combinaison « Ironman », un allié puissant dans nos poursuites du savoir. L’objectif ultime est d’exploiter le potentiel de l’IA pour faciliter l’innovation au rythme de la pensée, avoir une idée et collaborer de manière transparente avec votre assistant virtuel IA (AVA) pour concrétiser cette idée.

                          Même si les progrès récents en matière d’IA générative représentent un pas significatif dans cette direction, il reste encore un chemin considérable à parcourir.  Les progrès réalisés vers cet avenir visionnaire mettent l’accent principalement sur le dépassement des barrières de communication entre les humains et les machines. Pour en souligner le potentiel, il traite d’une application spécifique de cette vision : la recherche scientifique à la vitesse de la pensée. 

                          Le cheminement classique d’une recherche universitaire comporte une revue de la littérature.  Or, compte-tenu de la prolifération actuelle des publications, est-ce réaliste pour un être humain de réaliser une revue de la littérature acceptable ? 

                          C’est ici, que l'AVA devient un véritable assistant de recherche grâce à ses capacités d’analyse de Grands modèles de langage (LLM de l'anglais Large Language Model). Les LLM sont capables d’analyser non seulement les textes des publications, mais aussi lire les tables et les tableaux. Il importe de comprendre comment travaille cet assistant. Sans surprise, ils produisent parfois des hallucinations ou des biais. C’est au chercheur d’en contrôler les réponses. Le chercheur doit demeurer en mesure d’expliquer la réponse du système. 

                          Bref, ces applications sont une porte ouverte sur une nouvelle vision de la recherche où l’intelligence artificielle et le chercheur forment un tandem et l’IA devient un véritable Virtuel research Assistant (AVA) »

                          Et le mot de la fin 

                          Yoshua Bengio, Canada CIFAR AI Chair; Full Professor, Samsung AI; Professor, Université de Montréal; Scientific Director, Mila & IVADO

                          AI safety and democratic governance of powerful AI systems

                          Sécurité de l’IA et gouvernance démocratique de systèmes d’IA puissants

                          Voici le lien vers une entrevue de Yoshua Bengio avec Patrice Roy de Radio-Canada

                          https://ici.radio-canada.ca/info/videos/1-8927962/entrevue-avec-yoshua-bengio-une-100-personnalites-influentes-time

                          Ninon-Louise Le Page

                          [i]   Revues savantes, Chroniques, Acfas

                           https://www.acfas.ca/publications/magazine/chroniques/revues-savantes

                          [ii]  Les périodiques scientifiques : peut-on gérer le raz-de-marée ? Yves Gingras, Uqam, 2017

                          https://www.acfas.ca/publications/magazine/2017/11/periodiques-scientifiques-peut-on-gerer-raz-maree

                          [i]  Darren Martin

                            https://www.atkinsrealis.com/en/media/trade-releases/2023/2023-11-17

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                            Ninon Louise LePage

                            FoodTech : Va-t-on manger autrement ?

                            1 semaine 4 jours ago
                            Depuis 2010 l’innovation alimentaire, du champ à l’assiette, est stimulée par le développement du concept de la FoodTech sur lequel…FoodTech de quoi parle-t-on ? La FoodTech désigne communément un ensemble hétérogène d’entreprises qui proposent des produits ou services innovants pour le secteur alimentaire.

                            Les innovations reposent sur la numérisation des procédés mis en œuvre de la production des matières premières à la ferme jusqu’à la livraison du produit fini au consommateur, d’une part, et sur les progrès récents de la biologie, d’autre part, pour proposer de nouvelles ressources (insectes,..) et fabriquer de nouveaux ingrédients à l’échelle moléculaire ou cellulaire (substituts de protéines animales…).

                            La FoodTech a émergé aux États-Unis à la fin des années 2000 et a commencé de se développer en Europe et en Chine à partir de 2010. Les entreprises qui la composent (principalement des start-ups) sont classées en 6 catégories : AgTech, FoodScience, FoodService, Retail, Delivery, ConsumerTech.

                            AgTech

                            L’AgTech regroupe les entreprises qui proposent des solutions pour optimiser la qualité et le rendement des productions agricoles et la qualité de l’agriculture.

                            Cela porte sur organisation et la gestion numérique des exploitations, sur la robotisation des tâches, sur le déploiement de places de marchés dédiées au secteur, sur la sélection de variétés résistantes au stress climatique ou au ravageurs, sur la recherche de ressources nouvelles pour l’alimentation animale ou sur la conception de systèmes de production en milieu urbain.

                            FoodScience

                            Les entreprises de cette catégorie développent de nouveaux ingrédients et de nouveaux produits.

                            Cela porte sur les protéines alternatives (extraites de plantes ou issues de culture cellulaire), sur les additifs fonctionnels (améliorant la qualité des produits : goût, texture..), sur l’élaboration de produits nouveaux comme des substitut de produits carnés ou de produits laitiers.

                            FoodService

                            Le Food Service a pour objet d’améliorer l’organisation et la gestion de la restauration hors foyer.

                            Cela porte sur des solutions numériques qui rationalisent le process de la réservation d’une table au paiement de l’addition en passant par la gestion des stocks et de la traçabilité ou le développement de robots et d’imprimantes 3D pour la préparation des plats ainsi que le déploiement de cuisine virtuelles fournissant le marché de la livraison à domicile.

                            Retail

                            Ce secteur développe des services pour l’approvisionnement, la la logistique et la gestion des invendus :

                            Automates de préparation en libre service, magasins autonomes, applications anti-gaspillage…

                            Delivery

                            Les entreprises de cette catégorie offrent des services de commande et de livraison des denrées ou des repas.

                            A coté des plateformes de livraisons qui sont les plus visibles on y trouve des place de marché locales et aussi des offre de dîner en kit.

                            Consumer tech :

                            Les entreprises de cette catégorie proposent des startups proposent des informations, des recette ou des instruments pour aider le « mangeur » à choisir ses aliments et/ou à les cuisiner

                            A voir ce panorama, il semble que le champs des possibles est très vaste. On verra plus loin que limites technico-économiques des projets et la réalité du marché (à ce jour) incitent à modérer les discours dithyrambiques.

                            Depuis la nuit des temps l’Homme invente pour manger

                            Le chasseur cueilleur se sert du feu pour cuire aliments. Le néolithique marque la domestication des plantes et des animaux ainsi que les premières utilisation de la fermentation. Le travail du sol apparaît dans l’Antiquité. Au Moyen-age la charrue remplace à l’araire et la conservation des aliments dans ou avec du sel se généralise.

                            La découverte de la machine à vapeur ouvre la voie à la mécanisation et les progrès de l’agronomie permettent d’améliorer les rendements grâce aux amendements et aux fertilisants. Avec le blocus continental de Napoléon apparaissent de nouveaux produits : la chicorée et surtout le sucre de betterave grâce auquel les produits de confiserie ont été démocratisés au point d’être vendus par des distributeurs automatiques à partir des années 1880.

                            La découverte de nouvelles techniques de conservation (dessication, appertisation) sont mises en œuvre dans les premières productions alimentaires industrielles qui émergent à la fin du 19ème siècle pour connaître un développement tous azimuts après la deuxième guerre mondiale aidées par la production de masse d’aliments « prêt à l’emploi» qui affranchissent le consommateur des tâches (parfois) fastidieuses de préparation.

                            Au cours des dernières décennies la rationalisation des circuits de distribution autant que les attentes des consommateurs tirent une innovation alimentaire qui met en œuvre de nouveaux ingrédients (extraits de végétaux ou issus du « cracking » du lait), des emballages performants (sous atmosphère modifiée) et de nouveaux services : livraison au domicile ou sur le lieu de travail (dès la fin des années 1950), click and-collect au « drive » (à partir de 2007 en France);

                            FoodTech aujourd’hui Marché en devenir

                            D’après les dernières études publiées en 2022, le marché mondial de la Food Tech s’élève 250 milliards de dollars et devrait connaître une croissance de plus de 5 % par an d’ci à 2030, la FoodTech représente donc moins de 3 % de tout le marché de l’alimentation sur la planète estimée à 9000 Milliards de dollars (STATISTA) . 

                            Si on le décompose en fonction des 6 catégories le marché de la FoodTech, il apparaît que c’est le Delivery qui est le plus actif avec un marché d’un peu plus de 200 milliards de dollars (STATISTA), suivi par la Food Science etl’AgTech dont le business s’élèvent à 23 et 16 milliards de dollars respectivement . Le marché des autres « catégories » est encore confidentiel.

                            La FoodTech est plus particulièrement active au Etats -Unis, en Europe (Royaume- Uni, France, pays nordiques, Allemagne, Autriche Suisse et les Pays-Bas), Israel, Chine

                            Les enjeux socio-économiques mondiaux (nourrir une population planétaire de 10 milliards de personnes en 2050 dans des conditions environnementales acceptables) autant que le wishfull-thinking du secteur lui confèrent un avenir prometteur qui attire les investisseurs notamment vers les levées de fonds des startups. Bon an, mal an les investissements varient de 5 à 10 milliards de dollars par an en Europe et environ 5 fois plus au niveau/échelle mondial ce qui n’est pas négligeable comparé au montant total des investissements industriels mondiaux (1300 milliards de dollars en 2023 – source Trendeo).

                            A en croire ses promoteurs la FoodTech est partout. Certes, aucun des maillons de la « chaine alimentaire » n’échappe à la frénésie de ses innovations au cours des dernières années. Toutefois l’observation du marché, relativement modeste et encore très contrasté, est plutôt de nature à nuancer les commentaires enthousiastes relayés par les médias.

                            Incertitudes et limites

                            Dans la FoodTech comme dans d’autres secteur tirés par l’innovation (numérique, biotech) toute les idées ne sont pas vouées au succès. Séduisantes sur le papier de nombreuses innovations butent sur les contraintes techniques (agriculture en container) ou réglementaires (alicaments). Des produits nouveaux conceptuellement parfaits sont boudés par les consommateurs à cause de leur goût ou de leur apparence (tomate Calgen).

                            On ne peut passer sous silence ici l’arlésienne de la viande de synthèse produite « in vitro ». Alors que le premier steack cellulaire a été produit en laboratoire en 2003, il a fallu attendre 2013 pour que soit présenté au public un prototype dont le coût de fabrication s’élevait à 250.000 dollars. Des nuggets de poulets sont commercialisés dans un restaurant de Singapour depuis 2020 au prix de 50 dollar pièce. En 2023 les États-Unis sont le deuxième pays à autoriser la production et la commercialisation de viande de synthèse. Outre les débats réglementaires et les questions de faisabilité industrielle que génèrent la production à grande échelle de cette viande cellulaire, son empreinte carbone est loin d’être négligeable si l’on prend en compte l’ensemble de son process qui nécessite une production en bioréacteur stérile maintenu à 37° et alimenté par un milieu de culture constitué de produits hautement purifiés.

                            D’autres innovations restent confinées à des marchés de niche comme les aliments alternatifs. Alors que des substituts de produits laitiers à base de végétaux sont commercialisés depuis plus de deux décennies et que les premières productions de « steacks » végétaux ont commencé à la fin des années 2010, la commercialisation de ces produits (en France) représente moins de 0,1 % des ventes de produits d’origine animale alors que 2,2 % des consommateurs déclarent avoir adopté un régime sans viande.

                            Il y a d’autres facteur limitants qui se rapportent à l’acceptabilité culturelle : alors qu’elle fait partie des habitudes alimentaires en Afrique et en Asie la consommation d’insectes, riches en nutriments essentiels, rencontre de très fortes réticences dans les pays occidentaux.

                            FoodTech demain : évolution ou révolution ?

                            La FoodTech à ouvert une nouvelle page de l’histoire de l’alimentation en utilisant les avancées d’autres secteurs (numérique, biologie, biochimie) pour créer de nouveaux produits et de nouveaux services. Elle répond déjà à des besoins (productivité agricole) et à des attentes (praticité, confort, traçabilité) et elle promet d’apporter des solutions pour nourrir 10 milliards de Terriens en 2050, pour résoudre des problèmes environnementaux (empreinte carbone de la consommation de viande) ou éthiques (bien-être animal).

                            Toutefois, manger est bien plus qu’un besoin vital et une nécessité physiologique. Chaque bouchée active nos 5 sens et induit le plaisir ou le dégoût. Si son menu a évolué avec le temps, le repas est toujours un moment de convivialité et bon nombre d’habitudes alimentaires renvoient à l’appartenance à un groupe social ou religieux. De plus, bien que l’alimentation ne représente qu’une faible part du budget du foyer (15% en France), elle est chaque jour l’objet d’arbitrages économiques pour le consommateur comme pour le consom’acteur.

                            Bref, si notre nourriture va vraisemblablement (continuer de) changer, au gré de nos aspirations et de nos contraintes, il est peu probable que la FoodTech renverse la table.

                            Xavier Drouet
                            Photo : © Ivan Radic

                            Commentaires sur le site : FoodTech : Va-t-on manger autrement ? - Hommes et Sciences

                            • Société
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                              Drouet Xavier

                              Demain, quand je serai architecte

                              1 semaine 5 jours ago
                              De Sophie Bordet-Petillon et Rémi Saillard : comment découvrir l'architecture et l'urbanisme...Les atouts du livre
                              • Quatrième et dernier volet de la série « Archi et Basile », récompensée par le prix spécial du jury du livre d’architecture pour la jeunesse (2023)
                              • Découvrir l’architecture et l’urbanisme en s’amusant
                              • Un duo de héros drôles et attachants que l’on a plaisir à suivre
                              • Des jeux pédagogiques et des activités créatives
                              Présentation Dans ce quatrième et dernier volume de la collection, le duo tendre et attachant formé par Archi etBasile montre comment l’architecture de demain s’inscrit au cœur des problématiques écologiquesactuelles.

                              À travers un projet de dessin de la ville de demain proposé par le professeur de Basile, le rôle del’architecte, qui doit rendre la ville et les bâtiments le plus agréables à vivre possible pour tous,est largement mis en valeur. Les enfants donnent figure à leur rêve de maisons, immeubles, parcsd’attractions... et réalisent ensemble une grande fresque.

                              Auteurs

                              Autrice jeunesse engagée, Sophie Bordet-Petillon conçoit et écrit des livres documentaires,des cahiers d’activités et des livres-jeux pour raconter le mondeaux enfants et aux adolescents.

                              Elle travaille pour les éditionsGallimard jeunesse, Bayard,Tourbillon, Rue du monde,Magnard, Palette... Journaliste deformation, elle a été rédactrice àMonQuotidien(journal d’actualité pour les 10-14 ans -PlayBac Presse) pendant plus de dix ans. Elle estformatrice à l’Asfored à Paris et en Master Métiersdu livre et de l’édition à l’Université Rennes 2.

                              Rémi Saillard, est diplômé des Artsdécoratifs de Strasbourg, ville où il travailledepuis plus de trente ans pour la pressepour enfants (Bayard, Milan, Fleurus) etl’édition jeunesse. Il a publié de nombreuxouvrages entre autres chez Milan,Nathan, Mango, La Martinière jeunesse,Syros, Gautier-Languereau, Tourbillon,Gallimard... Sa palette de techniquesd’illustration est riche et variée, donnanttoute sa force à son univers graphique,tour à tour drôle et tendre.

                              Article publié sur le site : Archi et Basile - Demain, quand je serai architecte - Babelio

                              • Architecture
                              • Publication
                              • Enseigner et apprendre
                              • Bibliographie
                                An@é
                                Educavox.fr - Ecole, pédagogie, enseignement, formation - Medias des acteurs de l'ecole. Medias citoyen, actualite de l'education, web2.0, tribune libre, medias, politique, societe ...
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