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Classes à niveaux, les divergences

Soumis par SAEN le 29 juin 2016

Après une année de réforme de l’«école secondaire»

Les syndicats d’enseignants et le Département de l’éducation dressent des bilans très différents.
Les syndicats d’enseignants et le Département de l’éducation dressent des bilans très différents. KEYSTONE

Dresser le bilan de l’entrée en vigueur de la réforme du cycle 3? Une gageure! Non seulement les sujets sont multiples, mais il y a pour ainsi dire autant d’avis qu’il y a d’enseignants, de parents, d’élèves... En plus, certaines pratiques varient en fonction des centres scolaires.

Pour «contourner l’obstacle», nous avons invité les deux syndicats d’enseignants à établir la liste des principaux points qui, à leurs yeux, ont fait problème (Syndicat des services publics et Syndicat autonome des enseignants neuchâtelois). Nous avons ensuite demandé au Département cantonal de l’éducation et de la famille, et en particulier au Service de l’enseignement obligatoire, de prendre position.

LAISSÉS-POUR-COMPTE?

La critique des syndicats: dans les branches qui ne sont pas à niveaux en 9e année, et qui sont donc hétérogènes (en particulier l’allemand, l’anglais, les sciences de la nature, l’histoire et la géographie), les enseignants font face à de trop grosses différences de compétences pour un aussi grand nombre d’élèves. Difficile de s’occuper de tout le monde! Il y a donc des laissés-pour-compte, tant parmi les meilleurs élèves que les moins bons. Il y a en outre un nivellement par le bas.

Le commentaire du Département: il convient de rappeler que durant les huit années précédentes, soit de la 1re à la 8e, les élèves étaient tous ensemble, pour toutes les disciplines, et dans la même classe. Ils sont donc préparés à continuer ainsi.

C’est la première fois que cela se passe en 9e année. C’est nouveau pour beaucoup d’enseignants du cycle 3, qui doivent encore s’approprier la gestion pédagogique des classes, avec parfois de grandes différences entre les élèves.

Pour l’année scolaire 2015-2016, au niveau cantonal et dans les disciplines communes, la moyenne du nombre d’élèves se situe à 19,3 élèves par classe, soit un peu en dessous de la norme légale qui est de 20 pour le cycle 3.

Quant à la dotation en terme de soutien, sur l’ensemble du cycle 3, elle a été augmentée d’un quart pour appuyer les élèves en grande difficulté. Actuellement, aucun indicateur ne démontre que la situation s’est péjorée ou qu’il y aurait un nivellement par le bas.

LE SUIVI INDIVIDUEL

La critique des syndicats: la perte de l’enseignant de référence, qui voyait les élèves une bonne partie de la semaine, comme c’était le cas en section préprofessionnelle (PP), est lourde de conséquences: les élèves les plus fragiles sont livrés à eux-mêmes, il y a trop d’intervenants qui ne font que «croiser» les élèves. Ils ne peuvent pas leur accorder une attention adaptée. Le suivi individuel, tellement important pour cette catégorie d’élèves, est perdu. Le Service socio-éducatif est d’ailleurs surchargé de cas d’élèves dont un maître de classe de PP se serait occupé.

Le commentaire du département: avec la rénovation du cycle 3, c’est à l’équipe pédagogique qu’il appartient d’assurer le suivi de tous les élèves, ce qui ne devrait pas conduire à un manque dans ce domaine. On est passé d’un système de suivi par un seul enseignant en section PP à un système de suivi collectif (il y a deux cotitulaires par classe). La collaboration entre enseignants est nécessaire et est déjà une réalité. Elle continuera à s’intensifier ces prochaines années.

L’ancienne section PP ne donnait plus satisfaction, et les enseignants eux-mêmes ont souhaité des changements. Pour rappel, le nouveau système apporte des améliorations, puisqu’il permet de valoriser et de renforcer les compétences individuelles de chaque élève, d’améliorer leur motivation, et enfin de favoriser une meilleure orientation, notamment en fin de 11e année (dernière année de l’école obligatoire).

A noter encore que cette année, le taux d’échec en 10e PP (cette section existait encore en 10e et 11e années en 2015-2016) est bien supérieur à celui de la nouvelle 9e année à niveaux.

UN RYTHME À TROUVER

La critique des syndicats:le rythme en niveau 1 est beaucoup trop élevé, car il y a une pression constante pour «garder dans la course» les élèves à même d’aller au niveau 2. Il y a un grand nombre de non-promotions, et la gravité des cas est inquiétante. Il faut mettre en place un système de «mise à niveau» plus efficace (actuellement quelques cours de soutien) pour assurer le passage du niveau 1 au niveau 2 dans de bonnes conditions. Cela permettrait aux élèves et aux enseignants du niveau 1 de garder un rythme agréable pour tous, sans une pression exagérée.

Le commentaire du Département: le système mis en place est nouveau, et il convient de tirer les enseignements pour apporter les adaptations nécessaires. Mais les observations faites en fin de premier semestre ne concernent pas que la 9e année: elles touchent aussi la 10e année – qui comptait encore les trois sections –, ainsi que la 8e année. Les facteurs sont multiples, et la problématique de la non-promotion et de l’échec scolaire dépasse largement le cadre de la réforme engagée. Il faut en particulier mentionner les facteurs socio-éducatifs et culturels. Ainsi, la population des élèves traversant actuellement le cycle 3 est fondamentalement différente de celle d’il y a cinq ou dix ans, et ceci indépendamment du système mis en place.

Le métier des enseignants a changé, et ils doivent s’adapter à cette jeunesse en pleine mutation.

CEUX QUI ONT DÉCROCHÉ

La critique des syndicats: tout le monde a sous-évalué l’importance des classes de transition dans le système antérieur et a admis trop vite que l’augmentation de l’enveloppe dédiée aux appuis en 8e compenserait la disparition de ces classes. Cette erreur est attestée par le taux d’échec préoccupant observé au semestre – et encore en fin d’année – en 9e année. Les élèves qui avaient décroché après les sept premières années avaient l’occasion, dans les classes de transition, de combler bon nombre de lacunes, ce qui évitait de nombreux transferts en terminale. Il est urgent de compléter les appuis actuels par un environnement plus favorable aux élèves en difficulté.

Le commentaire du Département: Neuchâtel faisait partie des quatre derniers cantons à n’avoir pas changé sa structure en 8e année. Ce changement a été opéré par la majorité des cantons il y a une vingtaine d’années, et aucun d’eux ne dispose de classes comparables aux anciennes classes de transition. D’autre part, toutes les ressources utilisées pour les classes de transition ont été allouées aux classes de 8e année.

La question des élèves en difficulté reste centrale, quel que soit le système mis en place. Il s’agit à chaque fois d’analyser d’où viennent les difficultés de l’élève: s’agit-il de difficultés d’apprentissage, de comportements inadéquats, de manque de confiance en soi, de manque de soutien éducatif, etc.?

LE POIDS DES NOTES

La critique des syndicats: le système de travail par branches à niveau exige une évaluation très différente de celle pratiquée jusqu’ici. Or rien n’a été fait dans ce sens. L’utilisation de barèmes traditionnels pénalise les élèves moyens et faibles en empêchant de récompenser leurs efforts sous peine d’offrir l’accès au niveau 2 à des enfants incapables d’y progresser. Sur une échelle de notes allant de 1 à 6, on a tendance à renoncer aux notes inférieures à 3 et à distribuer celles supérieures à 4½ avec parcimonie. Pire: le règlement du cycle 3 pousse encore plus les élèves – et leurs parents – à calculer les moyennes au jour le jour, avec une précision au centième.

Le commentaire du Département: la question de l’évaluation des compétences des élèves va de pair avec une différenciation pédagogique dans les phases d’apprentissage.

Le plan d’études opère déjà une différence de niveaux sur laquelle l’enseignement et l’évaluation doivent se baser. Les barèmes doivent être adaptés en conséquence sans que cela empêche les élèves qui obtiennent les résultats nécessaires de leur permettre d’accéder au niveau supérieur. Si les modalités d’évaluation n’ont pas changé, les conditions de passage entre les niveaux, elles, ont évolué.

Avec le système des notes et des moyennes, les élèves ont toujours pu être au courant de leur situation au centième près. Le nouveau règlement du cycle 3 n’a rien changé sur ce plan.

«L’enseignement est plus personnalisé qu’avant»

Nouveau système «oblige», nous avons choisi de mettre le doigt sur les aspects qui semblent avoir fait problème en 9e année Harmos durant l’année écoulée. Mais nous avons également demandé aux syndicats d’enseignants de dresser la liste des avantages du nouveau système. Ils sont très peu nombreux à leurs yeux...

Du côté du Syndicat des services publics (SSP), on relève que «le niveau d’enseignement est plus personnalisé qu’auparavant. L’introduction des niveaux cloisonne moins que les sections. Mais il y a trop de conséquences négatives pour de bien maigres bénéfices.» Le syndicat signale aussi que «les bons élèves, par contraste avec ce qu’ils vivent dans leur classe hétérogène, se réjouissent de se retrouver avec des autres élèves dans les branches à niveau.»

Le Syndicat autonome des enseignants neuchâtelois (SAEN) indique, lui, que «le travail en équipes, la confrontation des pratiques ou encore le partage d’évaluations au travers d’épreuves communes au centre scolaire sont des éléments positifs. Mais elles sont chronophages et encore une fois mal pris en compte dans la charge de travail évaluée par les autorités.»

De son côté, le Département cantonal de l’éducation et de la famille (DEF), après avoir relevé que «le système est encore perfectible à tous les niveaux», dresse une liste bien plus longue de points positifs. A commencer par celui-ci: «L’année scolaire s’est globalement bien déroulée. La disparition des sections a supprimé certains effets, notamment la forte stigmatisation entre les élèves.»

Ceux qui dirigent et pilotent l’école obligatoire cantonale se réjouissent également de «constater que dans bon nombre d’écoles, les enseignants ont réalisé un immense travail d’équipe dans la gestion des disciplines communes et la coordination des disciplines à niveaux». Le DEF estime en outre que «grâce à la rénovation, la réflexion pédagogique est stimulée. Cette situation a amené les enseignants à des échanges au sein de leur école, ainsi qu’entre écoles. A ce titre, la mise en place d’enseignants ‘‘chefs de file’’ pour les disciplines à niveaux est ressentie comme un réel facteur de réussite.»

Le DEF considère que «les changements de niveaux au semestre ont amené une stimulation». Ou encore que «les liens avec les parents et les informations à leur disposition ont été améliorés».

CONTEXTE

L’année scolaire qui s’achève a vu l’introduction en 9e année Harmos de la grande réforme du cycle 3, l’ancienne école secondaire: disparition des sections préprofessionnelle, moderne et maturités, remplacées par deux niveaux dans certaines branches (les meilleurs élèves au niveau 2, les moins bons au niveau 1). Après avoir donné la parole à des élèves (notre édition de lundi), nous le faisons aujourd’hui avec les enseignants via leurs syndicats et avec le Département cantonal de l’éducation et de la famille.

Par Pascal Hofer

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