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Les temps changent...

Soumis par Brigitte Hofmann le 22 décembre 2017

Lorsque j’ai entamé ma carrière d’enseignante, c’était dans une classe à degrés multiples, de la première à la cinquième année primaire. Par la suite, pendant plus de quinze ans, j’ai eu deux voire trois niveaux dans ma classe. Convaincue par ce fonctionnement multiâge, je l’ai longtemps défendu, car il me semblait comporter plus d’avantages que d’inconvénients.

Dans ces classes-là, les rentrées scolaires se passaient bien plus harmonieusement. Pour une moitié des élèves (voire plus), c’était la deuxième ou troisième année avec moi. Ils connaissaient le fonctionnement de la classe. J’avais donc le temps d’accueillir sereinement la poignée de nouveaux, ayant à mes côtés mes jeunes assistants fiers de pouvoir aider leurs jeunes camarades.

Si les leçons et les préparations étaient plus intenses, j’y voyais un immense avantage pour les élèves dans ce qui semble, au premier abord, être un inconvénient : il y a souvent des moments durant lesquels je n’étais pas à disposition d’une partie de la classe, occupée à expliquer une notion à un degré. Les autres enfants n’avaient dès lors d’autre choix que d’essayer de se débrouiller. Les collègues qui ont accueilli ces élèves par la suite ont souvent remarqué leur autonomie. Les enfants se sont habitués à lire et à comprendre la consigne par eux-mêmes, collaborer plutôt que d’attendre l’aide de l’enseignant. Un autre avantage résidait dans le fait que les plus grands d’une classe pouvaient réentendre des explications sur des notions abordées une ou deux années plus tôt. Ça peut être un grand atout également pour les enfants les plus fragiles qui dès la deuxième année dans ce genre de classe peuvent avoir l’occasion de se sentir valorisés en aidant un camarade plus jeune.

Après quelques années dans des classes ordinaires, j’ai retrouvé avec bonheur, le temps d’une année, ma classe à trois ordres. Toutefois, à mon grand regret, je dois dire que l’évolution de l’école a aujourd’hui inversé la vapeur. Les difficultés liées aux classes multiâges en font désormais un modèle à éviter. Je suis devenue dubitative quant aux vertus des classes réunissant l’ensemble des élèves du cycle 1, comme on en rencontre souvent à la campagne depuis l’introduction d’HarmoS et la mise en place de la régionalisation. La différence de maturité et les programmes imposés dans ces classes sont tels qu’il devient presque impossible de trouver des activités adaptées à chacun et des activités communes.

Ma dernière année en classe à trois degrés a été un casse-tête quotidien. Avec des élèves de cinquième, sixième et septième Harmos, il y avait déjà 6 leçons d’allemand à donner. S'y ajoutait l’anglais en 7H et ça faisait déjà 8 leçons, plus d’une journée d’enseignement durant lesquelles je n'étais pas disponible pour la majorité de la classe. Quant au nouveau moyen de français, mon Manuel de Français (MMF), il demande un accompagnement intensif de la part de l’enseignant.

Aujourd’hui, certains cercles scolaires installent des classes 7/8H. Moi qui ai pourtant toujours défendu les classes multiâge, je n’aimerais absolument pas me retrouver à la tête d’une telle classe. Aux leçons de langues étrangères et programmes nécessitant un enseignement plus frontal s’ajoute cette terrible scorie de l’ancien système : les notes qui creusent un fossé supplémentaire, quasi philosophique entre ces deux degrés.

Je dois malheureusement l’admettre : le temps des classes à deux ou plusieurs niveaux est révolu. Dans la majorité des cas, les inconvénients l’emportent sur les bienfaits de ce fonctionnement. Même s’il reste peut-être encore quelques circonstances favorables à cette pratique dans la première partie du deuxième cycle — où l’intérêt des élèves et des enseignants se rejoignent — cette formule est hélas vouée à disparaître… et ça me fend le cœur de l’admettre.

Brigitte Tisserand