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L’exclusion scolaire, miroir implacable de la ségrégation sociale

Soumis par John Vuillaume le 21 septembre 2018
côte à côte

Une famille pleine de ressources, financières, sociales, intellectuelles, peut aujourd’hui gérer la difficile scolarisation d’un enfant à « besoin éducatif particulier », « différent » de par son fonctionnement mental, une dyslexie, une déficience physique ou motrice, parce que l’acceptation de cet enfant dans la société a fait beaucoup de chemin, entraînant celle du corps enseignant sensible aux évolutions de mentalité !C'est encore loin d'être le cas des familles moins pourvues économiquement, socialement et finalement scolairement parlant.

La réussite scolaire dépend beaucoup de la faculté des enfants, même doués, à pleinement dominer ce qui définit une culture scolaire, marquée par les aspirations, les croyances et les engagements du corps enseignant, souvent conformiste, héraut d’une bien-pensance martelée par la plupart des médias : le développement est bien évidemment durable, la famille recomposée une formidable opportunité, ce qui vient de l’étranger est génial, les fins de semaine sont easyjet, les habits de marque et les jeux électroniques incontournables... mais à consommer avec modération, comme le cannabis et la vodka dont leurs anciens élèves abusent plus souvent qu’à leur tour l’adolescence une fois bien entamée…

Quand nous nous intéressons à l’échec scolaire et à l’exclusion sociale qu’elle génère, nous aimerions pouvoir réfléchir en termes de pédagogie, de didactique, de soutien scolaire ou d’éducation spécialisée, mais nous passerions à côté de l’essentiel, car l’exclusion sociale est un processus dynamique auquel l’institution scolaire participe activement. Lorsqu’un cercle scolaire a pris l’habitude, dans le cursus scolaire ordinaire, de multiplier les sous-groupes affublés parfois de dénominations exotique (oasis) ou technologique (classes jet), il agit dans le sens contraire des convictions affichées par ses autorités politiques : il exclut de l’enseignement ordinaire les élèves les plus faibles ou les moins adaptés à l’école pour les parquer entre eux, soit disant pour leur bien, mais en réalité pour homogénéiser socialement et culturellement les classes d’enfants appelées à suivre un enseignement normal exigeant, visant l’excellence et la réussite.

Il est piquant de constater que ceux qui crient sur tous les toits leur antiracisme et leur amour du multiculturalisme sont souvent les mêmes qui opèrent minutieusement une ségrégation scolaire très négative dans la perspective de l’intégration sociale et professionnelle d’enfants rarement bien nés.

Quant à l’enseignement spécialisé, il est extrêmement précieux pour permettre à des jeunes de grandir, de développer leurs capacités à leur rythme, de devenir plus forts à l’abri des regards méprisants ou apitoyés. Les mesures d’économies qui frappent aussi ce secteur sont donc particulièrement inquiétantes et mettent en péril la réussite d’une politique à la fois inclusive et différenciée qui porte déjà ses fruits.

Mais revenons à l’enseignement ordinaire et à ses principales caractéristiques en matière d’impact social à travers les différents degrés de l’école obligatoire.

Pour les tout petits, et particulièrement s’ils sont d’origine étrangère ou issus de milieux défavorisés, il est vraiment important d’être en interaction avec une enseignante qui s’exprime avec clarté dans notre langue et qui sache aussi les faire parler, les faire progresser, leur donner les mots, les phrases, des outils de communication verbale qui seuls préparent efficacement au passage vers l’écrit.

Or, les compétences langagières ne sont pas toujours perçues comme celles auxquelles il faudrait accorder la priorité en termes didactiques et pédagogiques. Les enfants d’origine étrangère ou d’extraction modeste ne progressent pas suffisamment au contact d’une enseignante taiseuse ou dont le niveau d’expression orale n’est pas toujours optimal. L’école obligatoire devrait leur offrir ce que leurs familles ne peuvent pas leur donner. Quand c’est le cas, nous assistons à des moments magiques qui dépassent une dimension strictement pédagogique. Dans le cas contraire, les inégalités déjà très criantes à cet âge-là ne font que se creuser.

Quant à l’école primaire et secondaire, rien ne sert de se mentir, de se gargariser de mots comme « Harmos » ou « réforme du cycle 3 » pour faire croire que tout a changé, qu’une véritable scolarité intégrée de 11 années a enfin vu le jour.

L’école primaire est toujours le lieu où il faudrait acquérir les bases de la langue première et celles des mathématiques. Même si les branches d’éveil possèdent intrinsèquement beaucoup de valeur, car elles permettent d’apprendre à respecter des consignes, d’acquérir des vocabulaires spécifiques ou de planifier des tâches concrètes.

La vocation de l’école primaire est de former, pas de sélectionner et l’inflation des devoirs à domicile, parfois observée, provient surtout d’une bonne intention des enseignants expérimentés qui voudraient voir les élèves atteindre les mêmes résultats que leurs anciennes volées - dans un contexte social et culturel aujourd’hui plus diversifié, notamment avec des mères qui travaillent hors du domicile et qui ne peuvent plus consacrer plusieurs heures par semaine au suivi scolaire de chacun de leurs enfants. Ici aussi, quand les tâches à domicile deviennent le cœur des apprentissages scolaires, les enfants des familles étrangères ou défavorisées sont fortement pénalisés, seuls les marmots « bien nés » pouvant bénéficier d’un encadrement familial qui complète harmonieusement en-dehors de l’école les activités initiées en classe.

La réforme du cycle 3 menée dans le canton de Neuchâtel, avec des moyens dérisoires ne permettant aucun changement majeur autre que structurel, ne change rien à la fonction première de l’école secondaire qui est de sélectionner. Saluons ici les enseignant-e-s qui malgré tout privilégient la progression scolaire de leurs élèves, par exemple avec des rédactions en français ou des expériences en sciences ! Mais au final, c’est toujours la même gare de triage, avec ses moyennes arithmétiques et un travail scolaire à domicile qui se limite à la préparation des très nombreuses évaluations.

Il est dès lors difficile pour des enfants moyennement doués, sans un entourage pouvant œuvrer comme répétiteur ou sans ressources financières permettant de payer des leçons d’appui, de maîtriser un parcours scolaire qui reste une course d’obstacles qu’il faut impérativement terminer dans le groupe de tête.

En conclusion, et c’est toujours la même depuis trop longtemps, nos autorités devraient accorder beaucoup plus d’attention aux deux premières années de scolarité, et réellement transformer en profondeur une école secondaire toujours aussi sélective et trop peu formatrice. Pour le bien de tous les enfants de notre canton et de leurs familles, quelle que soit leur origine sociale !

Publié le
ven 21/09/2018 - 11:28
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