Aller au contenu principal

PRIMA! Wir sprechen Deutsch!

Soumis par Brigitte Hofmann le 25 novembre 2016

«Neuchâtel poursuit les cours précoces d’allemand. Au total, 28 classes bénéficieront de l’allemand par immersion.» titre 20 Minutes à la rentrée scolaire1. «Au total, 28 classes neuchâteloises, dénombrant environ 510 élèves, bénéficieront de l’enseignement de l’allemand par immersion.»

Dans un portrait de Mme Maire-Hefti dans l’Hebdo du mois de mai2, on lit: «Mais l’ultime fierté de cette Alémanique tombée amoureuse du canton, c’est le rôle de précurseur que joue Neuchâtel dans la création de classes bilingues: 650 élèves participent au projet PRIMA et les parents en redemandent!»

Ultime reconnaissance, la fondation pour la collaboration fédérale vient de décerner le prix du fédéralisme 2016 à ce projet novateur que le canton de Neuchâtel a mis en place en 2011 en partant de zéro.

Enfant de Zürich ayant appris le français comme langue seconde à l’école comme tout un chacun, j’ai toujours eu envie de transmettre le plaisir du bilinguisme aux autres. L’idée d’enseigner en allemand dans une classe francophone m’a séduite dès que j’ai eu connaissance du concept. Cette année, je me suis donc lancée. Je suis la nouvelle enseignante PRIMA au cycle 2 du collège des Parcs à Neuchâtel. Après quelques semaines d’enseignement, j’aimerais partager ici mon regard de novice sur ces classes «formidables».

Du côté des élèves d’abord: dès les premières heures, j’ai été impressionnée et même surprise par leurs compétences. Rien à voir avec les connaissances des élèves dans une classe régulière. Les formules qu’on entend dans d’autres classes ne sont pas forcément acquises. Par contre, les enfants ont retenu leurs propres phrases-type à l’aide desquelles ils me racontent leurs vacances d’automne avec le même plaisir et enthousiasme que s’ils parlaient en français. Leur allemand est hésitant, bourré d’erreurs, mais peu leur importe. Ils ont compris que l’essentiel est de communiquer. Ils se lancent dans leurs explications, butent sur un mot inconnu, cogitent, s’y prennent autrement, insistent, ils veulent y arriver, ils veulent partager leurs vacances tout simplement. D’une matière scolaire, l’allemand est passé outil de communication.

Du côté des parents, l’enthousiasme est évidemment énorme. Quand je parle de mon nouveau job, tout le monde est unanime: un projet extraordinaire! Certains vont jusqu’à dire qu’ils seraient prêts à assurer les transports depuis d’autres communes du canton afin de faire scolariser leur enfant dans un collège bilingue.

Au collège justement, une seule classe sur trois est bilingue. Les parents peuvent inscrire leur enfant au moment de sa scolarisation puis, si la demande est trop conséquente, un tirage au sort détermine les futurs heureux bilingues. C’est une première ombre au tableau contrairement à ce qui est pratiqué à Cornaux qui scolarise tous les élèves dans une filière bilingue. De même, on évoque souvent un certain «élitisme» dans les couloirs de l’école et force est d’admettre que ce sont des classes qui fonctionnent généralement mieux au niveau du suivi et de l’investissement des élèves comme des parents. Mais ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain. Et peut-être que certains de mes élèves deviendront des collègues PRIMA permettant ainsi d’augmenter l’offre par effet boule de neige!

Mais comment le système PRIMA est-il conçu? Une classe PRIMA doit impérativement commencer dès l’entrée à l’école des enfants et se poursuivre sans interruption. Pour l’instant, seuls deux collèges sont allés au-delà du cycle 1. La première volée est actuellement en 7H et il est prévu qu’elle poursuive une année encore.

Les deux premières années, l’enseignement en allemand intervient sur 50 % du temps scolaire, alors que dès la 3e année, il ne concerne plus que 15 % à 30 % de l’horaire. Au cycle 1, il est spécifié qu’au minimum une période de langue et une de math, ainsi que 2 à 6 périodes à choix parmi sports, art et environnement seront dispensées en allemand. Au cycle 2, les deux leçons d’allemand s’y ajoutent évidemment pour atteindre un maximum de 8 périodes.

Et concrètement? Quel est donc le contenu des cours? «L’avancée dans le moyen d’enseignement d’allemand officiel est adaptée pour les classes par l’enseignant-e concerné-e». Aïe! Fort heureusement, nous avons une Mme PRIMA qui est chargée de rassembler et adapter du matériel pour nous. Le travail reste néanmoins titanesque et les 240 heures attribuées me semblent bien peu pour un cahier des charges allant de l’organisation de la formation des enseignants PRIMA jusqu’aux réflexions concernant la suite à l’arrivée des élèves au cycle 3.

À l’exception des mathématiques qui contiennent peu de texte, jusqu’en 6H du moins, on ne peut évidemment pas enseigner avec les moyens romands. Plus on avance dans les années, plus il est difficile de trouver du matériel sur internet puisque l’écart entre les native speakers et les élèves en filière bilingue se creuse. Les activités proposées sont alors soit trop faciles quant au contenu, soit trop difficile dans le langage.

S’ajoutent à cela les conséquences d’une petite phrase évidente à première vue, mais qui nous complique passablement la vie. «Ce fil rouge peut être adapté en fonction des réalités locales.»

Pour ma part, à ma première année PRIMA, j’ai été engagée alors que l’année scolaire était déjà organisée. Du coup, je «bouche les trous». Un peu de géographie dans une classe, des sciences dans l’autre sans savoir si je poursuivrai dans cette branche l’année suivante. Difficile dans ces conditions construire quelque chose sur la durée. Et bizarrement, mes collègues en place depuis plus longtemps que moi vivent une situation semblable...

À mon avis, si on veut que ce projet tienne la route, il faut accorder la priorité à l’enseignement donné en allemand, définir ensemble et imposer une fois pour toutes les branches — voire les contenus — enseignées afin de permettre aux personnes en charge de la partie allemande de construire un programme basé sur le PER pour les quatre ans du cycle. De cette manière seulement, parviendra à concilier bilinguisme et plan d’étude, à donner du sens à la recherche et à la création de supports d’enseignement en évitant le bricolage.

Il est temps d’évoquer les conditions d’engagement des enseignant-e-s PRIMA. Ils sont évidemment bilingues ou du moins «suffisamment à l’aise dans cette langue pour dispenser l’enseignement en allemand.»

Dans le récent rapport sur le concept cantonal de l’enseignement des langues, on peut lire «Des études montrent que de bonnes connaissances de la langue allemande pourraient rapporter 14 % de salaire supplémentaire à un travailleur romand.» Et bien, ça ne concerne pas les enseignant-e-s des classes PRIMA qui ne tirent aucun avantage financier de leur bilinguisme! Le salaire est le même que celui de nos collègues malgré la charge de travail supplémentaire que constitue la recherche et la création de supports d’enseignement. Peu étonnant qu’on peine à trouver du monde: à part la conviction et le plaisir personnel, quel intérêt y a-t-il à travailler dans trois ou quatre classes sans moyens d’enseignement? Une modeste compensation est accordée, consistant en 30 périodes de décharge par année scolaire pour une nouvelle classe PRIMA, puis 10 pour la suite... à partager avec la duettiste francophone afin d’organiser la collaboration. Au bout du compte, donc, 5 à 15 périodes par classe sur une année. Dérisoire face à la tâche. Et peu valorisant aussi face à l’effort de concentration qu’exige l’enseignement bilingue. Il ne s’agit pas seulement de maitriser une langue, mais surtout d’adapter son langage en permanence au niveau des élèves, de reformuler constamment. Tous ceux qui ont accueilli des élèves allophones se font une petite idée de l’effort «physique» qu’impose cet exercice.

Interpellé au sujet des conditions salariales et de la charge de travail des enseignant-e-s PRIMA, le chef du SEO signale qu’un virtuose de clarinette n’est pas payé davantage pour ses leçons de musique! J’attends toujours une réponse promise de la cheffe du département, que j’imagine bien empruntée à expliquer pourquoi nous ne sommes pas considérés comme des enseignants spécialisés.

Malgré tout, je reste enthousiaste face à ce projet qui permettra à nos jeunes de mieux se comprendre avec nos voisins alémaniques et de combler un peu un fossé que j’ai tant de peine à admettre. Dans l’intérêt des élèves des classes bilingues, j’espère sincèrement que le canton de Neuchâtel se donnera les moyens de pérenniser le projet en reconnaissant le travail des personnes impliquées.

Brigitte Tisserand