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Régionalisation : quelles garanties pour les enseignant-e-s ?

Soumis par John Vuillaume le 30 octobre 2010

L’après-midi de notre journée syndicale du 3 novembre à Couvet est consacré au projet de régionalisation de l’école obligatoire neuchâteloise. MM. Raphaël Comte, Conseiller aux Etats, et Jean-Marc Haller, secrétaire général du Syndicat des enseignants romands (SER) ont accepté d’en débattre avec nous.

Enfin un statut cantonal pour tout le corps enseignant ?

Un statut cantonal pour tous les enseignants du canton de Neuchâtel est depuis longtemps une priorité de notre syndicat. Le projet de régionalisation semble aller dans ce sens, mais à condition que la gestion des ressources humaines soit la même partout, ce qui paraît difficilement possible si les directions des futures structures régionales désirent, légitimement, jouer à fond la carte de l’autonomie, notamment en matière de gestion du personnel.

Quelles garanties pour le corps enseignant en ce qui concerne le respect du principe de l’égalité de traitement ? Comment œuvrer au mieux avant le passage du projet de loi devant le Grand Conseil pour que tous les partenaires, y compris les communes pour le moins réticentes à lâcher du lest sur cette question, puissent être convaincus que la mise en place d’un véritable statut cantonal de tout le corps enseignant neuchâtelois serait profitable pour tous, et pas seulement pour notre corporation ?

Pour éviter les dérives et piloter le système, le Chef pense à une direction cantonale de l’école obligatoire qui chapeauterait les futures directions régionales. Un garde-fou peut-être intéressant et même particulièrement bienvenu s’il joue efficacement son rôle : en effet, si ce type de « structure-tampon » ne voit pas le jour, chaque problème rencontré sur le terrain par un-e enseignant-e avec sa direction ou avec les autorités politiques locales devra directement remonter au Conseil d’État, et plus précisément au Conseiller d’État en charge de l’éducation.

Même si l’on peut estimer que la professionnalisation de l’encadrement de toutes les écoles obligatoires neuchâteloises devrait limiter les risques de relations conflictuelles qui dégénèrent entre les différents acteurs, ces dernières ne sont malheureusement pas à exclure, notamment si une partie des nouveaux cadres de direction ne se montrent pas à la hauteur de leur tâche.

Encadrer ceux qui encadreront, une condition nécessaire pour qu’un véritable statut cantonal de tout le corps enseignant neuchâtelois devienne réalité ?

Régionalisation financée par la hausse des effectifs de classes ?

À l’heure où j’écris ces lignes, la seule certitude est que l’arrêté sur les effectifs des classes fixant le nombre moyen d’élèves à 21 dans les « campagnes » et à 19 dans les « villes », distinction qui hérisse de nombreux membres de notre syndicat bien résolus à obtenir son abrogation, n’a pas encore déployé tous ses effets. Les effectifs n’ont par exemple guère évolué dans les centres secondaires (les deux classes de 28 enfants dans le Val-de-Travers sont pour l’instant vraiment une exception) où la nécessité de dégager des ressources financières pour payer de nouveaux postes de direction est certes totalement absente : la régionalisation n’aura que très peu d’effets à ce niveau de la scolarité. Les directions d’établissement sont bien rôdées et ont fait leurs preuves.

Par contre, le département et les grandes communes ont imaginé une régionalisation qui verra les mêmes structures s’appliquer pour les écoles primaire et enfantine. Et l’opération se veut blanche sur le plan pécuniaire, c’est-à-dire que l’État ne veut pas débourser un franc de plus pour l’école obligatoire malgré la mise en place d’une nouvelle structure particulièrement onéreuse.

Depuis quelques années, des hausses d’effectifs à l’école enfantine et à l’école primaire sont monnaie courante. Les difficultés financières de l’État et de certaines communes couplées aux préjugés idéologiques de passablement d’élus locaux rétrogrades ont accéléré le mouvement, tout en le maintenant dans des normes acceptables dans une majorité de classes. Mais la pression se fait sentir, plus un collègue qui n’en connaît pas un autre touché par le phénomène ou frappé lui-même par cette inflation des effectifs qui péjore parfois sévèrement nos conditions de travail.

Quelques dizaines de postes de direction devront être créés pour que le projet de régionalisation voie le jour. Si l’État verse le 25 % du salaire des futurs cadres de direction (contre 75 % aux communes), comme au secondaire I, le canton devra dégager près de 1,4 million d’économies sur l’enveloppe annuelle allouée aux deux premiers cycles (1-8, terminologie HarmoniSée). Si les communes agissent de même, c’est 4,2 millions de francs supplémentaires qu’il faudra économiser dans les écoles des huit premiers degrés pour payer les nouveaux directeurs.

Si on divise la somme totale de 5,8 millions, qui équivaudrait en gros aux futurs salaires directoriaux, par le coût annuel moyen d’une classe primaire (environ 150 000 francs), nous obtenons le nombre de classes des deux premiers cycles de l’école obligatoire qu’il faudrait supprimer pour financer par ce biais cette nouvelle structure découlant du projet de régionalisation, soit une quarantaine pour tout le canton. Pour faire simple, un nouveau poste directorial à temps plein nécessiterait la suppression d’une classe.

Si l’on rapporte ces chiffres à la volonté des communes de pouvoir dégager un temps plein pour 400 élèves, le calcul est vite fait. Prenons pour l’exemple une école régionale qui comporterait 20 classes de 20 élèves. Il suffirait d’augmenter les effectifs d’un élève par classe pour en fermer une et financer le nouveau poste de directeur. Mais pour réaliser ce tour de passe-passe, une multiplication des classes à degrés multiples est obligatoire : les augmentations des effectifs moyens seraient beaucoup plus difficilement réalisables dans des établissements d’assez petite taille si l’on s’en tenait uniquement à des classes de même degré. Est-ce un hasard si nous avons vu passer dernièrement un projet du département visant à généraliser les classes à plusieurs degrés (les appuis y afférant coûtant bien moins cher qu’un dédoublement de la classe) ?

Nous aimerions beaucoup que les responsables politiques cantonaux et communaux nous éclairent de manière loyale et précise sur le mode de financement de ce projet de régionalisation. Le débat gagnerait en clarté, notamment à la veille du passage du projet de loi devant le Grand Conseil. 

Mis à l’écart du projet de régionalisation, les syndicats d’enseignants ne peuvent que tirer des plans sur la comète.

Mais à l’heure de l’introduction d’HarmoS et surtout du PER (programme d’études romand) dans notre canton, une multiplication des classes à plusieurs degrés pour parvenir à une augmentation des effectifs qui financerait le nouvel encadrement des deux premiers cycles de notre école obligatoire serait un très, mais vraiment très mauvais signe pour les enfants, les familles et le corps enseignant de notre canton.

John Vuillaume

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