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Faire d’une place de jeux un lieu de dégustation de la lecture: le réseau PIP

Soumis par Saïd Khamlichi le 3 novembre 2006

Une expérience originale pour l’éveil aux (en)jeux du lire

Difficile d’imaginer en arrivant à la place de jeux des Acacias, un complexe locatif situé dans le haut de la ville de Neuchâtel et habité majoritairement par une population défavorisée et multiculturelle, que l’on pourrait y assister à une animation d’un genre particulier : Une dizaine d’enfants est réunie autour de deux dames lisant des histoires, des contes, des récits. Les toboggans, balançoires et filets semblent côtoyer en bonne intelligence les livres et albums. Le verbe lire rimerait-t-il avec jouer ?

Cette animation-lecture, qui constitue l’un des axes d’intervention du réseau PIP, se tient depuis un an environ, généralement tous les 15 jours (quand la météo est clémente), le mercredi en fin d’après-midi. Deux à trois animatrices bénévoles arrivent avec des caisses de livres soigneusement choisis par des bibliothécaires et les mettent à la portée de mains des enfants. Ces derniers peuvent les choisir, les feuilleter, se les faire lire et relire par les animatrices, à loisir et en toute liberté. Il n’y a aucune obligation d’écoute, de participation, ni même de silence. Les animatrices lisent à la demande les albums choisis par les enfants, lesquels arrivent à l’improviste et peuvent quitter à tout moment l’animation-lecture. Comme l’explique Mme Catherine Gerber, une des responsables du réseau, le but est de « créer un moment de plaisir autour du livre ». L’approche se veut donc résolument ludique, « sensorielle », « globale ». L’observation des attitudes des enfants et des lectrices lors de l’animation permet de percevoir la pertinence et la valeur de la démarche, la richesse et la diversité des interactions et apprentissages qui s’y accomplissent. Ainsi, même s’ils sont encore non lecteurs, les enfants adoptent des postures de lecteur : ils tiennent des livres dans leurs mains, s’habituent à les voir, à les toucher, à les sentir, font semblant de les lire, imitent les gestes de l’animatrice ou les voix des personnages, s’amusent à répéter des expressions, regardent avec plaisir les images ; ils intègrent ainsi des notions essentielles : la compréhension de ce qu’est le code écrit et ce qu’est l’activité de lecture. Ils se familiarisent avec les signes et se rendent progressivement compte de leurs fonctions. Les animatrices, en lisant les histoires à haute voix et avec expression et en glissant les doigts sous les mots, les aident à faire le lien entre sons et lettres dans un véritable bain de l’écrit. D’apparence simple, le concept de cette animation-lecture repose en réalité sur de solides connaissances des différents aspects et enjeux inhérents à l’apprentissage de la lecture et des processus d’acquisition de l’écrit ; des connaissances acquises et nourries par un effort consistant d’auto- et de co-formation des membres du réseau. A l’origine de la création du PIP[2], se trouve une réflexion de trois formatrices d’adultes du groupe neuchâtelois de l’association « Lire et Ecrire » lesquelles ont eu l’occasion d’observer, d’une part, que souvent les enfants des apprenants qui participaient à leur cours rencontraient, comme leurs parents avant eux, des difficultés avec la lecture et l’écriture au début de leur scolarité et, d’autre part, que dès la maternelle déjà, des différences entre les élèves sur le plan de la maîtrise du langage et du rapport à l’écrit existent. Ces observations les ont conduites à comprendre que le processus d’appropriation de l’écrit commence bien avant un apprentissage formel de la lecture dans un contexte scolaire et qu’il a un fort ancrage socioculturel. En effet, dans les familles et quartiers défavorisés le rapport à l’écrit est souvent problématique. Objet de honte et de souffrances, il est identifié à la contrainte, à la coercition, etc. (factures, formulaires administratifs, etc.) Alertées par ces constats, la familiarisation précoce avec les livres semblait incontournable pour ces formatrices. Elles se sont alors tournées vers d’autres spécialistes (orthophonistes, bibliothécaires, maîtresses d’école enfantine, puéricultrices-éducatrices, psychologues, conteuses et le délégué cantonal à la lecture) et ont créé un réseau pour développer ensemble des actions de prévention de l’illettrisme en âge préscolaire. A ce jour, le réseau PIP compte une quinzaine de membres mettant en commun leurs réflexions, expériences et connaissances et agissant pour amener les livres et la lecture aux enfants et à leurs familles. Le réseau mène des actions selon 6 axes :

  • Sensibilisation de tous les acteurs concernés par la petite enfance (professionnels et parents) par l’intermédiaire de présentations et par l’élaboration de brochures ;

  • Animations-lecture : sur des lieux où se trouvent des enfants et leurs parents, notamment dans des quartiers défavorisés ;

  • Formation des éducatrices de la petite enfance, des auxiliaires de crèches et des étudiant-e-s de 2ème année appartenant au profil « Langues » de la HEP de Fribourg ;

  • Actions à l’école enfantine : sensibilisation et formation continue des maîtresses d’école enfantine du canton à l’importance d’un éveil précoce à l’écrit ;

  • Bibliographie : établissement d’une liste de références sur la question de l’éveil à l’écrit et sa diffusion aux milieux concernés par la petite enfance ;

  • Autres projets : participation au débat politique sur la prévention de l’illettrisme, collaboration avec les structures parascolaires (structures d’accueil des écoliers).

Le PIP a mené plusieurs actions notamment sous forme d’animations-lectures, avec une attention toute particulière envers ceux qui proviennent d’un milieu éloigné de l’écrit. Ainsi un projet a été conduit entre 2002 et 2004 dans l’espace enfants du Centre de rencontres et d’échanges interculturels pour femmes réfugiées, immigrées et suisses (RECIF) à Serrières, près de Neuchâtel : Pendant que les mamans allophones suivaient un cours d’alphabétisation, des moments de lecture ont été aménagés au profit de leurs enfants. Un projet semblable a été mis sur pied à Haut-RECIF à La Chaux-de-Fonds depuis 2004. Dans cette même ville, une animation-lecture a été organisée à La Pinãta (garderie d’enfants ouverte dans la rue des Forges et co-gérée par des éducateurs de rue et les femmes du quartier, majoritairement d’origine étrangère) sous une forme légèrement modifiée : Ce sont des élèves de niveau secondaire en difficulté, supervisés par leur enseignant membre du groupe PIP, qui se sont chargés des lectures. Ces animations ont suscité beaucoup d’intérêt. Elles ont été suivies d’une visite de la Bibliothèque des Jeunes. Par le succès qu’elles ont rencontré et par l’originalité de l’approche qu’elles ont mise en œuvre, ces actions témoignent d’une réflexion bien menée, d’un travail structuré et d’une préparation minutieuse de la part des membres et animateurs du PIP. Ils méritent amplement félicitations et encouragements. Pour plus d’informations : PIP c/o aldebosset@yahoo.fr.

Said Khamlichi


[1] Prévention de l’illettrisme au préscolaire.
[2] La réflexion sur ce projet a commencé en 2000 et un embryon de réseau a été créé en 2001.
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