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Le SAEN et les thèses

Soumis par John Vuillaume le 2 avril 2004

Le mardi 9 mars 2004, à Cescole, une trentaine d'enseignants du SAEN ont répondu à la convocation de son président Jean-François Kunzi pour débattre des thèses sur la profession enseignante définies par la "task force" de la CDIP (Conférence suisse des directeurs cantonaux de l'instruction publique).

Discussion ouverte autour d'un document dense, parfois confus dans sa formulation, et dont le public cible ne sont pas les enseignants en activité

 1. L'indispensable présence de M. Michel Nicolet, l'un des auteurs du document

Collaborateur scientifique au secrétariat de la CIIP (conférence intercantonale de l'instruction publique de Suisse romande et du Tessin), M. Michel Nicolet a eu la gentillesse de venir exposer les origines de la "task force" et des différentes thèses qu'il a mises au point avec son collègue alémanique, M. Beat Bucher. Sa première intervention de près d'une demi-heure a permis à l'assemblée de se faire une idée des principales lignes directrices d'un document dense qui de l'aveu même de son auteur "n'est pas forcément évident dans l'appropriation".

La base de discussion développe une réflexion prospective qui ne s'adresse pas à un enseignant en particulier. Mais ses partis pris rédactionnels, qui oscillent entre propagande de recrutement de nouveaux enseignants et appels du pied feutrés au monde politique, interpellent difficilement l'enseignant en activité. Du point de vue pédagogique, M. Nicolet insiste sur le développement d'équipes pédagogiques regroupant de véritables professionnels de l'éducation se répartissant les diverses tâches et missions au gré de leurs compétences et préférences.

Du point de vue institutionnel, une relégitimation sociale de l'école et de la profession enseignante est mise en avant, condition sine qua non pour toute amélioration significative des performances de l'école publique.

Lors de la discussion proprement dite des 8 thèses, dirigée par M. Philippe Vaucher, les interventions ponctuels de M. Michel Nicolet ont souvent été déterminantes pour interpréter correctement le contenu de la vue d'ensemble des 8 thèses, qui se doit d'être explicitée pour éviter de fâcheux dérapages.

S'il y a lieu de se réjouir du côté constructif des échanges, nous ne pouvons que déplorer le fait qu'il eût été impossible d'aboutir à des prises de position valables et cohérentes sans la participation active de M. Michel Nicolet. Document trop technocratique, l'élégant cahier jaune de la "task force" ne constitue donc pas une base de discussion idéale.

2. Une thèse centrale qui, si elle restait lettre morte, condamnerait toutes les autres

La thèse centrale du document est à la fois la force et la faiblesse de cette réflexion sur l'avenir de la profession enseignante et de l'école. Sans reconnaissance publique, le corps enseignant ne peut pas accomplir correctement sa tâche: "Pour effectuer le travail exigeant qui leur est demandé, les enseignantes et enseignants ont besoin de conditions cadres fiables (politique), d'une vaste marge de manœuvre (pédagogie) et de partenaires qui les soutiennent (société)." Ces conditions préalables à tout travail efficace et à toute revalorisation du métier d'enseignant ne seront pas naturellement réunies. La situation politique actuelle laisse en effet présager du pire: attaque frontale du corps enseignant dans le canton du Jura, baisses des rentrées fiscales qui péjoreront les systèmes de formation et particulièrement les conditions de travail des enseignants (charges de travail supplémentaires, effectifs des classes plus élevés, voire même éventuelles baisses de salaires).

Il ne faut donc pas se voiler la face et constater que le scénario optimiste présenté dans le document de la task force ne tient pas compte du contexte politique helvétique actuel qui ne va pas du tout dans le sens d'un revalorisation des services publics. Ceci constitue peut-être le point faible de "Profession enseignante - lignes directrices". Mais nul n'est prophète et un retour en grâce de l'Etat et des vertus collectives n'est pas nécessairement totalement utopique à moyen terme.

3. Des thèses peu innovatrices largement acceptées

Les discussions autour des thèses ont été peu controversées: elles ne font dans la plupart des cas qu'enfoncer des portes ouvertes. Les généralités qui s'enchaînent ne laissent aucune place aux spécificités des différents niveaux d'enseignement: "nous sommes l'école, nous sommes les enseignants" peuvent entonner en chœur maîtresses enfantines et enseignants professionnels!

Il faut bien avouer que le côté "prospectif" revendiqué par les auteurs des thèses n'est pas apparu évident aux yeux de l'assemblée.

4. Une seule thèse clairement rejetée

Les enseignants présents se sont montrés unanimes dans leur refus d'une thèse qui élargit de fait l'offre scolaire, qui charge le bateau, sans aucune contrepartie, sans mentionner aucun moyen supplémentaire: "Nous avons besoin d'enseignantes et d'enseignants qui assument une part active dans ce réseau social - dans la coordination des instances sociales et dans l'intégration sociale." A l'heure où un recentrage de la profession sur l'essentiel (renforcement des savoirs et de la pédagogie dans le cadre d'une formation tout au long de la vie) se fait jour un peu partout et paradoxalement dans le document contenant les thèses (!), il a semblé logique de refuser une thèse qui réduit l'enseignant à un gentil organisateur, un animateur social parmi d'autres.

Cette thèse est particulièrement malvenue dans la situation concrète actuelle. En effet, la plupart des enseignants s'investissent sans compter dans de nombreuses activités annexes (comités de soutiens divers, manifestations culturelles et sportives, échanges scolaires, visites et excursions variées,…). Contrairement à ce que l'on croit parfois, l'engagement dans les activités "extra-scolaires", s'il est souvent très valorisant pour les enseignants et très apprécié des élèves, exige plus de temps et d'énergie que la préparation des leçons traditionnelles.

5. Satisfaction et regret au terme d'une telle assemblée

Les débats et discussions ont abouti à des échanges ouverts, constructifs, nuancés, bref, de qualité. D'où une déception légitime: de nombreuses remarques, tant sur le fond que la forme, auraient pu être intégrées dans la phase d'élaboration du document. Des syndicats tels que le SAEN devraient être considérés comme des partenaires privilégiés par les technocrates de l'éducation, des relais indispensables pour donner plus de corps, de poids, de réalisme à leurs schémas souvent trop abstraits. Moins de cloisonnements et plus de collaborations sont donc souhaitables, au profit de tous.

John Vuillaume

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