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Les défis de l’évaluation des compétences des élèves

Soumis par Brigitte Hofmann le 24 février 2017

Contexte

Un tournant a été pris le 18 août 2014 avec l’Arrêté du Conseil d’État concernant l’évaluation des apprentissages de l’élève dans le cycle 1. S’il y est avant tout question de la forme, des différents supports utilisés, de la fréquence des carnets ou de la signification des codes, ce qui a changé fondamentalement, c’est la philosophie même. On passe de l’évaluation des connaissances à l’évaluation des compétences comme le demande le PER.

L’année passée, j’ai suivi une conférence de M. Jean-Marie De Ketele, Professeur émérite UCL (Belgique) et titulaire de la Chaire UNESCO en Sciences de l’Education organisée par le SEO1. À l’écoute de son exposé, j’ai pris conscience de l’ampleur de la tâche. Il s’agit en fait d’une véritable révolution de l’évaluation, au même titre - voire au-delà - que l’appréciation du travail de l’élève (ATE) que j’ai connue en débutant dans le métier. Bref, il s’agit de repenser complètement notre façon d’évaluer.

Apprendre à observer

enseignante.pngCôté enseignants, il va falloir passer de la situation de test avec feuille de papier contrôlant essentiellement des connaissances ou des techniques apprises plus ou moins par cœur à l’observation de stratégies et à la collecte de traces des progression des élèves.

En théorie, ça semble évident et facile, chacun de nous observe en permanence ses élèves afin de réajuster son enseignement et de permettre à chacun de progresser et atteindre les objectifs fixés.

En pratique, cela s’avère nettement moins évident. Observer est une chose, en conserver une trace à présenter aux parents lors de l’entretien semestriel en est une tout autre.

Il est impossible de presser sur «Pause» pour consigner les observations, photocopier, prendre en photo une situation significative. Pas de «Rewind» pour revoir ce qui nous apparaît après coup constituer une trace intéressante à garder. Impossible de faire visionner la séquence enregistrée dans mon cerveau.

Et comme les enseignants sont perfectionnistes et cherchent à montrer du concret aux parents et pas seulement la transcription de l’élément observé, ils se mettent la pression. Recueillir des traces devient une obsession de chaque instant. Et les guides proposés par l’OISO expliquant comment utiliser des médias numériques dans le but de nous aider ne font qu’ajouter une pression supplémentaire aux enseignants qui ont mauvaise conscience s’ils ne les mettent pas à profit. Heureusement, on peut dédramatiser en conservant à l’esprit la conclusion de De Ketele: «ce changement prendra une génération avant d’être complètement assimilé.»

Échec programmé?

Une autre phrase de la présentation de M. De Ketele m’interpelle: «Le changement repose aussi sur une posture de la reconnaissance des responsables (pression et soutien).»2

Dans notre canton, le changement a été très rapide pour ne pas dire précipité. L’arrêté a été voté sans phase pilote et pour les quatre années du premier cycle d’un coup, ce qui obligeait le cycle 2 à se lancer dans la course dès l’année suivante. Les personnes qui s’occupent de l’adaptation de l’évaluation aux spécificités du cycle 2 doivent tout à la fois la concevoir et former les enseignants qui l’utiliseront immédiatement. Tout cela sans moyens financiers suffisants et dans l’urgence. Cerise sur le gâteau, l’introduction simultanée de nouveaux moyens d’enseignement comme «Der grüne Max» demandent des formations conséquentes à celles et ceux précisément qui sont confrontés pour la première fois à la nouvelle évaluation. Bref, tous les paramètres sont réunis pour un échec programmé.

Animatrice et représentante syndicale au sein du groupe de pilotage, je participe au projet depuis le lancement des travaux au cycle 2. Après de longues discussions avec les concepteurs, si je crois avoir compris l’évaluation par compétences, je suis loin d’avoir trouvé ma pratique. Je n’ose alors imaginer ce que vivent mes collègues ayant dû se contenter d’une ou deux séances en plénum, parfois sans temps de questions et qui essaient tant bien que mal de comprendre ce qu’on attend d’eux.

Des collègues pensent qu’il faut laisser les demandes venir du terrain. À mon avis, un changement aussi fondamental ne peut réussir sans une formation et un suivi conséquent, structuré et de qualité, assurés par des personnes ayant elles-mêmes été formées correctement et ayant expérimenté les différents aspects dans leur classe. Ainsi, pour réussir cette réforme, il faut mettre en place des ateliers obligatoires et facultatifs qui permettent aux enseignants de se plonger dans des exemples concrets, d’échanger leurs essais sans peur du jugement et poursuivis sur le long terme, afin de valider les pratiques et évoluer dans le bon sens.

Soutien insuffisant

Le syndicat a interpellé Mme Maire-Hefti quant au manque de formation et de suivi. La Conseillère d’État s’est dite très sensible au problème et prête à y remédier rapidement. Dans le cas contraire, je crains que nous allions au-devant d’un foisonnement hétéroclite de pratiques plus ou moins conformes. Crainte renforcée par le fait que certaines directions (davantage informées que formées sur l’évaluation) soucieuses d’aider leur corps enseignant émettent des directives contraires à la philosophie même de l’évaluation par compétences et du recueil de traces. Cette dernière expression est interprétée comme un objet (recueil) alors qu’il s’agit de l’action, de la collecte des traces; celles-ci se présentent d’ailleurs sous diverses formes qui ne rentrent pas souvent dans un classeur fédéral ou un contenant unique.

Nous espérons également que la forme austère du carnet remis aux parents sera modifiée et le résultat plus accessible aux parents comme cela a pu être fait pour les années 1 et 2 à la suite d’une pétition lancée par les syndicats.

Le défi du cycle 3

Il reste un dernier chantier que le groupe de pilotage vient tout juste d’entamer: l’évaluation au cycle 3. La réforme des filières soulève une multitude de questions sans réponse. Déjà la fin du cycle 2 s’avère peu cohérente avec des codes en accord avec l’emploi de la nouvelle évaluation en 7e et des notes en 8e, scorie de l’époque où ce degré faisait encore partie de l’école secondaire et que certains veulent voir comme une préparation indispensable au cycle 3.

Tant en 8e qu’au cycle 3, la moyenne des notes semble désormais totalement incompatible avec la notion de progression des apprentissages puisque le bulletin annuel tient compte de tout ce qui s’est passé durant l’année scolaire au lieu d’évaluer les compétences attendues de l’élève au moment de l’établissement du carnet.

Parallèlement, il faudra bien trouver une solution pour les bons élèves du niveau 1, trop peu récompensés pour leur travail, puisqu’on ne peut leur attribuer une note au-dessus de 5 au risque de les voir passer au niveau 2 alors qu’on peut avoir la conviction que ce n’est pas leur place. Non seulement, il est peu motivant de ne jamais obtenir de «bonne» note, mais de plus, on peut craindre la réaction des patrons d’apprentissage qui, en prenant connaissance de notes plutôt médiocres pour un élève du niveau 1 concluront qu’il n’arrivera pas à suivre les cours professionnels.

La tâche s’annonce donc compliquée, le défi consistant à tenir compte de la volonté politique du maintien des notes, soutenu par de nombreux collègues du cycle 3, tout en y insufflant l’esprit de l’évaluation des compétences prôné par le PER et tenant compte du message envoyé aux élèves et à leurs parents... sans oublier de mettre en lumière leurs compétences réelles pour leur permettre de décrocher une place d’apprentissage.

Brigitte Tisserand

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